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['A VOIS réfléchi un ioar entier fur le bonheur qui eft le par- tage du méchant , & fur Tin* fortune qui pourfutt Thom- me vertueux , la nuit déployoit Çt% voiles ; mais qui peut dormir fur le duvet, tandis que le malheureux fou& {tc f Sa que fes gémi(femens^plainti(s accufent notre repos, tandis qu'ils ré« veillent dans nos cœurs l'invincible A^ fentîment de la pitié ? Ce n*eft point le Pbilofophe , ou pour mieux le qua- lifier ^ ce n'eft point l'ami des hom* mes I fon ame fenfible eft trop bien liée au fort de fon femblable , pour qu'elle s'ifole comme celle du mé- chant. L'ame de Phomme vertueux ne veut point être heureufe^ ou veut i'écre avec l'univers. Mes fens àfToiblis avoient cédé aux pavots du fomnieil ; mais ma penfée libre & puiflfance n'en fuivit pas moin^ le cours de fes méditations. Je ne per- dis point de vue les deftins de Tinfor- tuné ; mon cœur veilloît & s'intéref- foit pour lui. J'étoîs encore irrité ( quoiqu'en fonge ) du fpeâacle que m'offroit cette mtférable terre , où lé vice infolent triomphe , oh la vertu timide eft flétrie , perfécutée. J'é» prouvois ces tour mens,, dont ne peue le défendre l'homme qui ne reflferrô point fon être dans le point de fon exiftence. Attrifté , je craverfois d'uii pas lent les belles campagnes d'Azora; mais la tranquillité qui régnoit for U 9 &ce liante de la Nature , ne péné- troic point }ufqy'à mon coeur. Tooces lesfe^nesd^injuflicefy de forfaits, de tyrannie , s'offrirent plus vivement à xnapenfée. D'un côté j'entendois les cris de l'indigence affamée, qui fe per- doient dans les airs ; de l'autre , la joie folle & bruyante d'hommes infenfiblet & barbares , regorgeant de fuperflui* réf. Tous les malheurs qui accablent la race humaine , tous les chagrins qui la ruinent & la dévorent , fe retrace* rent en foule à ma mémoire ; je fou» pîrai , & la pointe douce & amere de la pitié. bleâa délicieufement mon cœur. De^ larmes brûlantes ruiffele^ rent fur mes joues : j'exhalai mes plain- tes, & j'oubliai la fageffe , jufqu'à murmurer contre la main puiilante quiarrangea les événemens du monde. Dieu ! m'écriai-je , que mon oreille n'entende plus les foupirs de la mi« (ère & les hurlemens du défefpoir; que mes yeux ne tombent plus fur J'homme égorgeant fon femblable ; que je ne fois plus témoin du glaive 16 etincelant dit defpocifme , & des chal« Des honceufes de refc^^vage, au doa^ ne- moi ^aranue cœur ^ afin que )e ne foufTref plus avec uo rnoode de mal* heureux] Hélas f m as daaiié la vie à taoe d'innocente& créatures qui ne ce la demandoienc pas ! écoîc^ce feule* mehc'pour les voir naître, fouffrir & mourir? La douleur parcourt ce cri£^ te univers comme un ouragan fou-* gueux f tandis que le plaiBr eft auiS rare & aufC léger que Taile inconftan* te du zéphyr. J*aliois continuer mes plaintes , lorfque je me fentis enlevé dans les airs par une force inconnue^: la terre tremoloit , le ciel s'allumoit d*éclairs » & mon œil mefuroic avec effroi VeC* pace immenfe qui fe découvroit fous mes pieds. Je reconnus que j'avois péché. Je criois : grâce , 6 mon Dieu, grâce à une faible créature qui fadare , mais dont le cœur a été trvpfenjible aux maux de thumanité. Tout à coup je fentis mes pieds affermis fur un fol inconnu ; je me trouvai dans une obf« ti cûrîté profonde , fy te(Ui ptotigS quelque tems , & voici qu'un rayon plus rapide & plus perçanc que Té* clair j vint difliper les ténèbres qui m'enFeloppoient. Un Génie revécu de ûiL ailes brillances , fe préfenta devant moi : à la flamme célefte qui luifolt fur fa céce , aux caraâeres de la Divinité empreints fur fon vifage lu- mineux y )e le reconnus pour un des Anges de rÉcernel. Écoute, me dic*il^ d'un ton qui me rendit le courage, écoute ^ àr ne cenfurt pas plus hng^ tems la P rovidence , faute de la mieux connaître : fiiis-moL Je le fuivis au pied d'une montagne, dont le fom* met fendûit les cieux. Je monte , ou plutôt )e gravis : figurez-vous des ro- chers énormes fofpendus les uns fur les autres ^ qm y à chaque inftanc, me^ nacent de tomber & d'écrafer tes plaines. An milieu de ces poihcs de vue efiTrayans, l'œil cbereboit en vain un arbre ou une plante , qui lui rap- pellât la Nature animée ; il ne décou* vioit qa'une chaîne de rocs à moitié' AtJ ' calcines par les éclats de la foaJrei Je fuivols en tremblant mon conduc»- teur ^ & les hurlemens des tigres &- des lions , rendus plus affreux par l'é** cho , épouvantoient mon oreille : à chaque pas j*avois befoin du bras de cet Ange fecourable powr me (butenir^ & je voyois à mes côtés ,. ô fpeâacle terrible ! des compagnons malheu- reux^, qui, voulant efcalader ces ro« chers élevés , fe tenoient fufpendus à leurs pointes^ mais qui bientôt laflfés de l'effort > chanceloient , appelloienc en vain à lei>r £ecours^ rouloienc , tom« boient écrafés , & devenoient la proie des tigres qui fe difputoient dans les vallpns leurs membres palpitans. Je crus qu'un pareil fort m'atten^^ doit, lorfque l'Ange me dit: ainfila Providence punit Vaudace timdraire de^ mortels i. pourquoi V homme veut-^ il pénétrer ce ^ui efi impénétrable ? Jbn premier devoir e fi de reconnoîtrefafbi* tlejje , tout roule invifiblementfous la main d!im Dieu; ce Dieu veuttepar^ éina^r^ il veMglus^ ilveutt^&laincik A ces mots » il me coucha la maio, ât je me troavai an fommee de la mon- tagne. Quelle douce furprife ! le peit* chant oppofé où nous defcendîmef , étoic un jaidÎDyà la fois agréable & ma« gnifique , où la verdure, le chant des oifeaux , le parfum des fleurs enchan* toient tous les fens ; un charme fupé» TÎeur y paflîonnoit l'être le plus indtf^ ierent. Mon divin couduâeur me XDontra dans réioignément un temple d'étonnante flruâure ; la route qui y conduifoit ëtoit (i myftérieufe , que fans guide il étoit impof&ble d*y par* venir. A notre approche les portes du temple s'ouvrirent ; nous entrâmes^ & ioudain elles fe refermèrent avec un bruit de tonnerre , fous une mafn invflible : perfonne ne peut les ouvrir, perfonne ne peut les fermer , (i ce n*e(l la voix puiifante de Dhu, me dit mda proteâeu^ augufte. Saiiî de refpéâ'j^ )e\us ces mots écrits en lettres d'or : jÙieu ejljufie ; fa voie efi cachet , qui êjèra vouloir approfondir f€S décrue i Je jettat un coup d'œil fur k hauteur inagnifique de ce temple : tout cet édifice maieftueux repolbic fut trois colonnes de marbre blanc ; au milieu s'élevoic un autel ; à la place de l'ima- ge de la Divinité moncoic une funiée odoriférante , doue la douce vapeur rempliiToit le temple. A droite de Fautel étoit fufpendu un tableau de marbre noir ^ 6c vis- à« vis étoit un mi- roir compofé du plus pur cryftal. L'Ange me dit : e'efl ici que tu vas apprendre que y fila Providence tend quelquefois un homme de bien malhew* reux y c^efi pour le conduire plus fûre^ ment au bonheur. Il dit , & difparut. Ce n*eft plus la froide terreur qui gla- ce mes fens , c'eft une joie pure ^ dou- ce , ineffable^ qui remplit mon ame* Je verfai des pleurs d'attendriflTement; mes genoux fléchirent , mts bras fe levèrent vers le ciel , & )e ne pus qu'a- dorer en filence la Bonté fuprême. Une voix màjeAueufe qui n'avoit rien de terriUe^me dit ; levé- toi , regardes ttlis. . Je portai les yeux fiir le mireit, 9t Vy vis mon ami Sadak , Sadak donc la vertu cooflance & courageufe m'avoit fouvenc éconoé , qui dans l'indigence Avoir la braver 5c même la fiiire ref^ Eeâer. Je le vis aflis dans une cbarn* re dont les murs étoient dépouillés ; il appuyoh fa tête languiiTante fur le dernier meuble qui lui reftoîc , le cœur confumé par la faim , & par le défefpoir plus cruel encore. Une feu- le larme s'échappdt de fa paupière^ laro^ de fang! malheureux , il n'o* {bit pleurer. Quatre enfans crioient à leur père , & lui demandoient du pain ; le plus jeune fbibte & languif^ îànt, couché fur un refte'de paille^ n'ayoit plus la force de gémir , il ex- haloic les derniers fooplrs d'une vie ùmocente. La femme de cet infbrtiK né , aigrie par le malheur , oubliait fa tendreffè & fa douceur naturelle ^ pour lui reprocher Texcès de leur mi* iere« Cesplainte»cruellesdéchiroient /on cœur , Se ajoutoient à fon fuppli* ce j;^ Sadak fe levé i détourne la vue de X ftseofans» &, toac malade qu'il ed, fe traîne pour leur cherchex quelque^ fecours, 11 rencontre un homme au- quel il avoit rendu, ci<-devant, les plus grands fervices; cet homme lui dévoie remploi honnête dont il jouifToit, Sa* dak lui expofe Tétat déploiable ob il fe trouve; il lui peint fes enfans prêts à expirer dans fes bras , faute d*un peu d'alimens... Celui-ci rougit d'être forcé de le reconnoître , regarde d'un œil inquiet fi on ne Toblerve poinc parlant à un homme qui porte la li« vrée de l'indigence ; il fe débarraflfe du pauvre fuppliant par de vagues pro* mettes p & par des politeflfes froides^ & tout à coup s'écarte à grands pas : c'étoit , au moins, pour la dixième fois qu'il traitoit avec inhumanité ce* lui de qui il tenoit tout» Sadak défet péré porte fes pas au hazard^ lorfqu'un de les créanciers l'arrête , le charge d'injures , raflemble le peuple autour du malheureux , le menace publique- ment, & eft prêt à le frapper, plus par mépris que pat courroux. Ènfia^ îa le VIS errant dé porte en porte , teo* dre une main fuppliante, tantôt rebii- té y tantôt recevant l'aumône qu'oa donne à rimporcunké : il achette un pain , le porte , le partage à fes eii« tans ^ pleure de joie en appaiTant leur faim f & remercie à genoux la Provi* dence des riches bénédidions qu'elle vient de répandre fur lui. Je jettai un cri de douleur , d'é« tonnemenc & d'effroi. Mes yeux char« gés de pleurs fe tournèrent fur le ta* bleau de marbre noir , & une main învîfible y traça ces mots : Achevé de contempler Sadak , & condamnes , Ji tu tofes y la Providence qui régie tout» Je reportai la vue dans le miroir, & j'y revis mon ami Sadak ; mais qu'il étoic changé / que la fcène étoit différente! ce n'eft plus l'indigent Sadak , pauvre il eft vrai 9 mais tendre, vertueux^ compatiflknc y plein d'honneur & d*hu« inanité. C'efl Sadak dans l'abondance, devenu opulent par un héritage inac«& tendu; c'eft Sadak qui dans le feini corrupteur des richeffes , a mis en ou* 18 tiii les vertus qui lui écoîent dierei; Âflbupi dans le luxe, il eftdur, ilcom» mande avec aigreur , de ne fouffranc plu4 , il ne fe fouvienc point qu'il eft des malheureux, & que lui-même l'a été. Je lus aufli*tôt avec une admira- tion refpeâueule , ce que le tableau myftérieux m'enfeignoit« Souvent la vertu fouffie , parce qu^elle cejferoit S!(tre vertu , fi elle ne combattait pas. LorfqueV Augure Providence fait défi cendre la miferefurla t€te d*un mortel^ làpûfdence , pifieur^ raccompagne , le courage lafoutient, &c^ejiparce don que la vertu fefuffit à elle-m(me , 6* qu'elle devient heureufe lors mime que t infortune femble V accabler. Mon œil avide ne tarda point à fe Reporter fur le miroir. Quel objet plus intéreflfant pour mon cœur! c'efl ma patrie que j'apperçois , ma chère pa- trie y la ville heureufe où j'ai pris naif^ fance! mais ciel! que vois* je? tout à coup une armée formidable à inon- dé fes campagnes, environné Tes for- itesmurailles, a préparé, pour fa ruine^ les machines infernales de là iettrM^ tion. Le fer eft préc> la Teogeance de la rage aUninent leurs flambeaux. O fuperbe ville ! ta trembles malgré tes fie/s défenreurs. Tes trëfora enfkm- ment dans le cœur de Tennemi , la foif du pillage. Tu veux lui oppofer une courageufe réfifiance , vains et &Jts ; il monte , il efcalade tes or- gueilleu(es tours; le fang coule» la mort vole , la flamme ravage, tu tfea plus qu'un trifie monceau de pierres que couvre une épaiflfe fumée. Mes malheureux concitoyens échappés à i'embrâfement errent dans les dois; maïs Vh'orrible famine les attend dans ces déferts ; elle les dévore lentement , & prolonge leur fuppttce & leur mon. Dieu jufte ! m'écriai -je, un million d^hommes tomberont les vic^ times d'un feûl ambitieux. Les enfans feront égorgés fur le fein de leurs mè- res; les cheveux blanchis des vieil- lards feront traînés dans le fang & la pouBiere ; l'innocente beauté devien- ara ia proie d'une foule meurtrière » taae ville entière dirparoîtra» parce que la cupidité d'un monftre aura convoité fes richeffes ! Un pays rtm^ pli de prévaricateurs » ( répondit le tableau ) mériee le châtiment d'une Divinité trop long^tems méprifée. Ceux fui n' étaient point coupables font ar-^ rachés au danger de le devenir ^ &Ji la main de la Providence les a frappés , cHtoit pour les préferver d'un nau-- frage bien plus horrible que ne Feft le tourment d'une mort pajjagere ; leur refuge efi dans le fein de la clémence Hun Dieu éternel. Le Palais du Minière Aliacin dont les pyramides dorées percent la nue \ s'élevoit avec trop de magnificence ^ pour qu'il ne vint point frapper mes re- gards. Que de fois l'indignation avoic iaili mon cœur à Taipeâ de ce mon£* tre heureux , qui , avec une ame ve« nale, un cœur barbare, des mœurs dé- pravées, & un génie defpotiquey avoît comme enchaîné la fortune à Ton char! Son élévation étoit le fruit de fes bat fefles ; fes créfors le prix de fa trahi- foD. Il avoît vendu fa patrie pour de Vor, & des vices frappés d'opprobres Tavoient décoré des plus rares dîgni* tés. Une Province entière gémiiToic fous fà dure oppreflion. Tantôc il rioic du foible murmure d'un peuple ployé à l'cfclavage ; tantôt il traicoit leurs gémilTemens étoufies ^ de cris de ré- volte. Chaque Jour il commettoic un nouvel attentat , & chaque jour le fuccès couronnoic Ton audace. Cepen- dant l'intérieur de Ton Palais n'ofTroic, tant (ut\a foie que fur la toile , que des traits de généroficé & des exemples de vertus. Les bulles des grands hom- mes de l'antiquité ornoient la maifon dii plus lâche fcélérat , & ces marbres muets , loin de parler à fon cœur , ne le fâifbient pas même frémir lort qu'il les regardoit. Je confidérai ce méchant y revêtu de puiifance , en- touré de flatteurs , redouté de fes en» nemis, encetifé publiquement, & mau- dit , mais feulenient tout bas. Mille rareiés précîeufes décoroient fon ça* binet , & chacune d'elles ne lui avoit ^1 coûté qu'une injuftice. La pburprd dont il écoit couvert , étok aux dépend de ceux qui alloient nuds , & le vin 3u'on lui ver foit dans une coupe ornée e pierreries , pouvoit être confidéré , comme un extrait des pleurs qu'il fai« foit répandre. Il fort d'une table fafiueufe , Se va mettre aux pieds d'une concubine , lé patrimoine d'un orphelin. Il fe tient avec elle à la fenêtre , & de-là , il voie tranquillement mettre à mort un ci* toyen fenfiblè & courageux ^ qui avoit ofé lui repréfenter l'abus de Ton pou- voir. On étrangle l'homme de bien , & un courrier vient annoncer une heure après au Miniftre , que le Sultan pour reconnoître fes fervices fignalés , lui fait préfent d'une terre conddé râ- ble. Le monftre fourit , & en deve« nant plus puiflfant , il fonge à fe ren« dre plus terrible. Ma haine contre cet odieux tyran devint fi forte , qu'impatient, je tour* sois à plufieurs reprifes mes regards fur le tableau p comme pour hâter Tar^ ^ «3 réc qu'il devoît prononcer ^ maïs ri'ea n'y^ paroiflfoic encore tracé. Ma vue retombe triftenxenc fur le cryflal mer- TciUeux. J'apperçus le monfire qui ^mron dans un cabinet fecret ; quelle Atis&âion pour mon cœurJ la Nature, le5 malheureux & la terre font vengés ! cet homme puiiTanc qui fembloit le plus faeureux des hommes y lie une lettre^ pâlit , tremble» crie à voix bafle, frappe (on front de cette même main donc il égorgeoic Tinnocent. Agité d'un défefpoir qu'il ne peut vaincre, il va y vient y erre en furieui; , déchiré par la crainte^plus que par les remords. Il arrache toutes les marques de fa dignité, les foule aux pieds, & dans ÙL rage , il pleure comme un enfant. Je cherchois à deviner le fujec de (à fureur , lorfqu^un de fes favoris , plus vil que fon maître , perce jufqqes à foQ cabinet , & j'appris la caufe de fon défefpoir. Un de fesconfidens, efpioa à la Cour , vepoit de lui écrire qu'un orage nouveau s'étoit formé , qu'il alloic perdre fon rang U fon crédit ^ f'' il ne pofledoit pas aflez d'adreflè pour détourner le coup : auffi-côc ^ ce hpn« ceux favori confeilla, d'une voix ferme à fonmaicre, ceque tout autre n'auroic pu entendre fans le punir de fa propre main. Ce confeil affreux plût au bar- bare. Il ordonna qu'on amenât fà £lle en fa préfence. Nouremi parut. Elle étoit belle ^ & elle avoit des ver* tus. Dieux ! avec quelle horreur elle entendit que fon père vouloit la livrer aux defirs du Sultan , comme une vic« time immolée à fon infatiable ambi-» tion ! Elle tombe prefque fans fenti- ment aux genoux de fon père, elle fait parler les pleurs de la beauté , de la na* ture y de l'innocence* ... Un regard févere lui commande d'obéir ; elle obéit y & meurt. Aliacin en devint- il plus heureux P je le vis dans l'afyle du repos; étendu fur le duvet , ou plongé dans un bain délicieux, on le croiroit couché fur des épines. Il craint pour (a vie ; il fe levé , il parcourt, à pas tremblans , fon Palais ; il trouve fes efclaves endor- mis « ^5 mis, k envie leur paifible (bmmeit. Le jour \uk ; toujours inquiet , tou- )oaTs Soupçonneux, il frémit quand il mange; il pâlit lorfqu*ii boit^incer- tain s'il fait couler la nourriture ou k mort dans Ton fein. Il redoute ju& qu'aux carefles des femmes quMl ty- tanuîfe , & dont il eft Tefclave. Si quel- qu'un s'élève , mille ferpens rongent ion fein ; c*eft Tadverfaire qui doit un jour le renver/êr ; c'eft l'homme re- doutable qui doit s^aflfeoir à fa place. Plein d'une attente refpeâueufe , je confultai la table des augulles juge- mens de TÉternel , & je lus : La vérité eft terrible au méchant; elle ejl/ans cejfe préfente à fis yeux ; cUjl elle qui /ait/on fupplice ; il ne voit que ce mi-' voir redoutable , oà il lit fin injufiice & la difformité de fin ame. Tout à coup un bruit fourd, comme teluî d'un tonnerre lointain , fê fie en- cendre ; je tournai la vue fur le Palais d'AViacto. ^^% jardins , fes pyramides , ks /tacues , lui-même , tout étoit dif- paru \ A la placjç de ce féjour , où 1.2 ortie. ^ B tputes les voluptés étoient raflTembléefit on ne voyoic plus qu'un repaife de couleuvres impures , qui rampoienc dans des marais fangeux. Tel efl le fondemenc des Palais que le crime a bâtis. Ces mots fuivans gravés fur le Ijiarbre noir me découvrirent ce qo' A- liacin étoic devenu. Il a été balayé de dejjlis la terre comme la vile pouffiere p & les races futures douteront s'il a exijlé. Cet effrayant tablean ne fortira ja- mais de ma mémoire y 2c depuis ce tems , je gémis en voyant un homme puiffant^ on contemple fes richeiïes , moi je le vols expofé au bras de la îudice Divine. Mon œil plus atten- tif revola fur le miroir, & j'apperçus !Mirza & Fatmé ^ amans tendres » gé- péreuk , & dans cet Ige où Ton coni* ïioît renthoufiafrae de la vertu. Ce même jour venoit de les upir , & leur tendreÔe mutuelle leur promettoit une longue fuite de jours auili fortunés. L^ douce ivreffe du bonheur brilloit dans )ç\^i> regards ^ legrs jjgiaips f tpwnç çfl^ 17 trelalTéês^ & leurs foupirs fe confon- doient avec une douceur couchante. Fatmé avoir la beauté d'une vierge , fa pudeur , Tes grâces , & ce doux in- carnat donc réclac efl Ci fugitif. Le plus beau fein enfermoic le cœur le plus noble. Muet d'amour , Tame pion* gée dans un ravilTement inexprima- ble, Mirza embrafloit Fatmé , & des mots incerrompus étoient les feuls fie foibles interprètes des mouvemens de fon cœur, Fatmé récompenfoic la ten« drefTe de fon amanc d'un aimable fou- rire ; fon front rougilToii, & ce rouge adorable écoir l'ouvrage de l'amour le plus pur. Comme leur (ilence expri« moit ce que leur langue ne pouvoic rendre / Alon cœur crefTaillit de joie au féduifanc tableau de la Vertu cou* ronnée des mains de l'Amour; & corn-* mène Tami deJ'homme pourroît-il voir deux cœurs heureux , fans être ému de plaifir ^ & fans applaudir à Jeur bonheur? Ces deux amans fefélicîtoîent d'être finis I parce qu'ils pourroienc faire le B z 2i bien enfemble. Ib écoieat riches , 8c facisËtics de l'être , parce qu'ils pou- voient foulager la foule des malheu- Teux. Le jour de leur hymen , ils voulurent que des cœurs auffi (enfîbles que les leurs , goôtâflent la même fé- licité. Us marièrent de jeunes filles à leu1*s jeunes amans , lorfque l'infortune étoit le feul obftacle qui s'oppofoit à leur union. Mirza veut que tous 1^ cœurs foient à l'unifTon du (ien ; fon ame fublime voudroic (oufEer fur la Nature entière , une volupté univer- felle, inaltérable. >3 Chère Fatmé ; (di« 93 foit-il ) dans le fein du bonheur ^ nous » pourrons dire : nous ne fommes pas 3> les feuls heureux. Nous jouilTons , 9> & dans ce moment quelqu'un nous » bénie ; nous avons fait defcendre 3) THymen dans de triftes chaumières. 3» Des cœurs innocens fe font ouverts à » la joie; l'Amour confolateur a efiacé -» l'image de leur mifere ^ & nous , :»> nous verrons leurs en fans fourire à 3> notre approche. Fatmé ! leurs caref- 3D Tes feront notre plus ciouçe récom^ ») penfe ! tence qu'ils aviliroient à nos yeux » comme aux tiens yy • Leurs bras fup- plians écoient entrelaflTés , lorfque le plafond de la chambre crie ^ s'ébranle, racmé s'évanouit de frayeur : Mirza pouvoir encore fe fauver ; mais com- ment abandonner fa chère Farme'! Il veut l'enlever dans fes bras, le mur chancelle , tombe , écrafe & enfevelit ces deux amans. Le monde perd fon plus digne ornement , & le genre hu-* main l'exemple des plus rares vertus. Je cachai mon vifage pour pleurer librement. Je fouhaitai d'être accablé fous ces triftes ruines avec Mirza & Fatmé: long-tems immobile, je n'ofai hazarder mes regards fur le tableau. Je levai enfin un œil tremblant , & je lus : L'aveugle e/prit de rhomme , ne yoit rien que dans le préjent; la Pro^ vidence feule connoît F avenir; la mort la plus foudaine a été la récompenji des vertus de Mir^a & de Fatmé x el9t les a fait pajfer à un état de délices dont ce monde n'ocre point d'idée , ea m(me tems qiûdte les afauvis de thof» nur de mettre au Jour des defcendam indignes d'eux. 3e conclus que je ne devois rien ii^ cîder déformais , moi ^ foible atome ^ donc la vue bornée ne poovoic em^ brafiet ma propre exiftence. £o re* gardant de nouveau Vincompréhenfi* bJe miroir j '^twi un nouveau fujec d'é* tonnement ; j'apperçus Agenor , mal- heureux jeune homme adonné à toute force d'excès , & le libertin le plus dé- cidé d'une ville diflfolue. Il étoïc pâle ^ défait, violemment agité ; il fe pro- menoit à grands pas dans fa chambre; portant en fureur la main à fon front , & prononçant à baffe voix quelques imprécations. Il refteun moment com- me irréfolu ; bientôt toute fa ragé éclate; il court à une armoire fecret» te f en tire un papier , verfe dans une taffe d'une certaine poudre. . . . Oui , dit il , avec des yeux allumés , ce poi- fon fera Tunique leflburce que j'em- bra/îèrai ; il me fauvera de l'opprobre* qui m'attead. L'infidelle Koxane me* 3^ /acri£eàrinâfgneDaboar : mon père ne veut plus payer mes plaifirs; mes créanciers me menacent chaque jour de la prifôn ; vengeons-nous à la fois de JEloxane , de mon père & de mes créanciers. 11 porcoic la cafTe à fa hpu- che , & j'étois peu affligé de voir le monde perdre un débauché furieux , lorfque tout à coup il s'arrête. Quoi î s'écria t il , d'un ton fourd & étouffé ; je mourrois , & fans être vengé ! per- fide rival ! Ah ! je veux rougir la terre de ton fang l Tu tomberas fous ma main , Se ra mort doit fs^tisfaire à ma fureur ! Il dit , pofe la taflfe , prend fon cimeterre , & fort. A peine eft-il dans la rue , que fon père , vénérable vieillard y monte à la chambre de fon fils. Hélas! il eût été heureux iàns ce fils. On lifoit fur fon front cette dou- leur vive qui abat une ame paternelle. Il venoit repréfenter à ce fils ingrac les loix de l'honneur , celles de la pro- bité & du devoir. Il efpéroît de tou- cher fon cœur, de le ramener à la vertu. Ses rides , fes nobles rides , Se fes chç» 3J yenx blancs , Im larmes qt&î baigooiene fon vifage ^ tout infpiroic le refpeâ & la pitié. En le voyant , Tame la plus dure fe feroic émue. Ce vieillara in* fortuné 9 fatigué des mou vemens qu'il s'était donné , écoic alcéré. Il apper- jioic la tafle fatale ; il boit , combe i terre , & rend Tame dans les plus hor- ribles convulHons. J'ofai confier ma furprife à la Indice fapréme , H elle traça de fon doigc invifible , les mots foivans fur le tableau redoutable. Le pen dTjigenors'étoit rendu far fa cou» fable négligence , la caufe de la perte de fon fils , il itoit jufie qu'Agenor devint à fon tour F infiniment de fin fiipplice. O pères / connoiffe^ toute retendue de vos devoirs , & f^^JF'^l f Tolérer le vice , c'ejl le commettre. A peine ces mots furent- ils traces , qu'ils difparurent , & ceux-ci prirent leur place. Conjideres le tout ^ afin dt ne point errer i & auflî tôt j'apperçus dans le niiroir une grande ifle, fé* parée en deux par un fleuve. La pap- Me rfraite formoit une plaine florifi^ 54 faate, couverte de Filais fomptueinr^ de jardins magnifiques; elle étoit peu- plée d'hommes richement vécus. La gauche , au contraire , préfentok un défert aride , ou quelques mifcrables cabannes entr'ouvertes , laiflToient voir les indigens qui, y menoient une. vis obfcure & pénible. Cette ifle pouvoic être confidérée comme une image du globe delà terre . On appelloit le pays à droite^ le pays des heureux ; des chants, des danfes , des feflins , des fpeâacles , fembloient leur unique occupation. La volupté fourioit dans les yeux des beautés tendres qui les accompa- gnoienr; elles fe laiffoient mollement entraîner veri des ombrages folîtaires. Cependant je remarquai que la plu» part d'entre eux ne s'eftimoient heu- xeux , qu'autant qu'ils étoient apperçus des gens qui habicoient la rive oppo- fée. Dans les repas les plus fplendides, ils paroiffbient d'une joie extrême , xnab moi , qui découvrois leur cœur à nud , je le voyois dévoré de vers xongeurs. Ils fembloient à la table des Dieux bbife le neâar, & YnfeTétoit dans lent fein. Quoiqu'au fcin de l'a- bondance leurs defirs étoient loin dette ûnsfaits ; ils n'avoient qu'uoe bouche pour favourer les alimens, & ieur imagination aûlve & infenf^e dé- peuplou la terre & les mer», pour iournir de nouveaux mers à un Palais We par des feniàtions trop fr^quem- ment répétées. Parmi cei prétendu, tout a coup les plaifirs pour courir yt es un certain feu follet , au bruic des tambours & du canon. JI5 rêve! noient tout fanglans , quelquefois mu- '«les , & alors ils fe faifoicnt appeller Héros. D'autres iaifoienc leî^p « grands efforts pour monter iix fommet d un gradin , lequel écoit occupé . Pû trouver une place fort, commode. - é^^,n '«Hf'^fntoient d'une manier» Ja' • '^ P'"* '""v^"^ on les jettoif ^"dermer rang. Rien ne les rebutoit,: «» «œontoxent j ai s'ils réuffiflbient ' ibît par adreffi? » foie par importunicily' alors ils n'avpient pas feulement le tetns de s'afleoir^ aUez embarraiTés , a0ez occupés à fepouflTer Tambicieux , qux^àfon tour^ vouloit ufufper leur place; Plus. loin, j'appercevois de£ têtes légères qui couroient çà & là j^ jfâns occupation comme fans aâaires ^ femant des pièces d'or (ans plaifir , & fiuiflant par mettre le feu à leur Palais, pour réjouir un inftant les yeuj( d'une concubine capricieufe. Enfuite, ilsre- gagnoient à force de bras le pays dé- i'ert ^ dit le pays des malheureux. Dans ce miférable féjour, on n'entendoit que des plaintes & des cris ; cous les habitans marchoient courbés fous le fardeau d'une loupe de chair qui op«« primoit le derrière de leur col. Cétoîc d'un regard trifte & envieux qu'ils contemploiem ie pays de félicité; & qu'obeenoient-îls par ces vains defirs? La boffe qu'ils portoicnc^ devenok beaucoup plus pe(ànte; s'ils s'appr:o* f hoient de ces hommes fortunés ^ ils ^7 emendoient les railleriei pjqisuiréf lancées a Venvi l'on de Tautre , contre les miCéTables porteurs d'une loupe de cWiT. Il n'étoic pas ^ile, mais ce* pendant il n'étoît pas abiblumenc dé- fendu aux habitans du pays malheu* leux y de traver fer le fleuve à la nage , & de s'établir dans le pays des riches x mais après avoir eflàyé quelque cems ' de l'air du canton , ils reveaoieat pref« que tous voloncairement , ainunc mieux encore porter une boâe pe- lante , que d'être toujours en guerre avec leur propre confcience* Si quel- qu'un fe plaîgnoit de ce que ia loupe ëtoit beaucoup plus lourcle que celle de fqn confrère ^ il avoit le pouvoir de rëchanger j mais il fe repencoit ordi«^ oairement du croc , & reprenoit fon premier fardeau. Ces maues de chais se me parurent point aufli infuppor- tables que le porteur l'afluroit; en gé- ferai 9 i\ me fembla que (i dans le pays de SXiçhé, on exagéroic par air le fen- ûmtni di] plai& i dans le pays de mi*^ iete 9 ori exftgerok par foiUefle te fem cimeftc de la douleur ;. car c*e(l uno' ancienne manie , & toujours fubfi£> tante , que celle de voulair écre plaint.. Je remarquai que la maladrefle de ces derniers y rendoit le fardeau beau* coup plus difficile q.u'il n'étoit. Ceux qui favoienc le porter allègrement , j^aroiffoient contens & difpos. A peine l'habitude leur rendoit - elle le poid» ienfible; au lieu que ceux qui nes'é<» tudioient pas à favoir maintenir un fo&e équilibre , chancetloient à chaque pas y & rendoienc leur marche très- pénible.rUn autre avantage du pays de mifere, c'efl que Tes habitans fe con<* fioient en afTurance aux vagues irri« cées. Leur bofTe les foutenoit toujours fur la futface des flots ; ils avoient beau être ballot es, les plus rudes fe- couiTes de la tempête n'apportoienc aucun dommage à leur ftcuation; au contraire, les citadins du pays de fé- licité', voyoïent fouvent les plaine» unies de leurs belles campagnes ^ cou& i conp boufeverfées au moindre mo» vemenc de Tempire liquide. Enx" mêmes emportés par tes coorants , ne pouvoîenr furnager , & l'or qui coo- \wk leurs habits ne contribuoic pat peu à les engloutir. J'obfervai auffi que dans le pays fortuné» on étoîc bien moins habile , bien moins indut trieex , bien moins humain , bien moins charitable » que datns le pays des malheureux. Mon œil avide cherchoitquelqu'at»- tre ob)et de comparaifon , lorfque le ciel de l'iûe fe couvrit de fombres nua^ ges ; Je tonnerre fe fit entendre, des cclairs furieux déchirèrent la nufi , une grêle effroyable fonJit fur la terre. Tous les cœurs furent confterné»; mais voici que la mer fouleve fcs aby* mes; fes vagues ipipétueufes s'cleve- lent jufques au ciel , afTiégerent la double ifle , & bientôt Tengloutirenc avec tous les habitans. Je né vis plus dans le miroir qu'une lugubre Se pâle cbjfcurité qui couvroit un acaas im- 40 menfe d'eaux , d*où perçoient quel- ques gémiATemens confus. A rinilanc même , une lumière furnacurelle rem- plie le Tetnple ^ le nuage odoriférant qui fumoit fur Tautel , fe transforma en une colonne de flamme , & la voûte de l'édiBce fubitemenc enlevée ^ m'offrit le fpeâacle d'un trône lumi- neux qui defcendoit lentement au bruit majeflueux du tonnerre. Je tombai de frayeur devant la Divinité de ce licH redoutable. Un bras divin daigna me relever, & ]e revis auprès de moi, l'Ange qui avoit daigné me fervir de guidé. Sa voix me rendit le courage ; }e lûs^ies mots écrits en traits de flam- me fur le marbre myftérieux. La mort rend les hommes égaux. Cejlr éternité qui ajfigne à Vhomme fon véritable fartage : la juflice efi tardive , mais elle eji immuable. L'homme jujîe , r homme bon fe trouve à fa place , <& le méchant à la jitnne. Mortels I la balance d'un Dieu étemel panche dans les abymes de tétemiîé. Alors , U. . . 4t piroir redevint par âitetneot clair. & le VIS une grande & belle femme . re- vêtue d'une majefté célcfte , affife fur >ine demi-colonne. Elle tenoic d'une i^àin une balance , & de l'aurre «ne epée flamboyante. Des million» d hommes de toute Nation & de tout âge , etoient raflemblés autour d'elle • elle pefoit les vertus & les vices , si pardonpoit aux défauts, enfans de la Ipibleflè. La patience & la réfignation etoient recompenfées , & les murmu, les indifcreis étoient punis. Je vis avec Bne joie inexprimable, que les pleurs des malheureux fe féchoient fous fa main bienfaifante ; ces infortunés bé- niUoient leurs mauxpafles, fource de leurbonfieur préfent : plus ils avoient loufiert , plus grande étoit leur té- compenfe; ils entroient dans les de* meures éteroelles, où le Dieu de bon- w fe plalt à exercer ùl démence , le premier, le plus grand , le plus beau, jy^ plus adorable de tous fes attributs, TçQs ceux que l'Éternel avoit daigné 42 animer de fon fouffle divin, Icoîent nés pour être heureux. Les taches qu'imprime à Tame le vil limon^du corps y difparoifToient devant Téclac dil vrai Soleil ; fa fplendeur abforboit ces ombres paiïageres. Le Créateur de ce vafte univers étoit un père tendre qui recueille Tes enfans, après un long & tride pèlerinage, & qui n'arme point fa main contre leurs fautes paflTées. Ceux qui avoient ouvert leurs cœurs à la judice, à la douce pitié , qui avoient fecouru l'innocent , foulage le pauvre , recevoient un double degré de gloire. Un cantique immortel de louanges, répété par la race entière des hommes, annonçoit la réparation des chofes. Les tems de la douleur , de la crain^ te , du défefpoir étoient à jamais écou- lés; les beaux jours de Tétcrnité s'ou^ vroient , la figure de ce monde étoit évanouie; aucun gémilTement ne de* voit troubler la célefte harmonie de la félicité univerlelle» Ce Dieu bon^ dont . 43 ^ la main magnifique eft empreinte for toute la l^aiure , qui a embelli iut qu'au lieu de notre exil , embralToic dans Ton fein toutes Tes créatures ; le père & les enfans ne feifoienc plus qtfune même famille. Alors une voîx tonnante fe fit entendre. V-a , foihle mortel , efprit audacieux & borné ^ ya , apprends à adorer la Provi'^ dence , lors mime qu'elle te paroîtroit injujle. Dieu a prononcé un feul & mime décret ; il ejl étemel , il eji irré^ vocable , il a tout vu avant que de te porter. Etres finis ! vos Jyfiémes , vos yœuxj vos penfée s ^ entroient dansfon plan; foumette^-vous, e/pére^, & n*ac-^ cufeipointfon ouvrage.Le temple pa- rut alors s'écrouler fur ma tête. Je m'é- veillai , incertain fi ce que favois vu étoit une apparition ou une réalité» Dois-je encore m'indigner de la prof* péncé du méchant ? dois je murmurer du tnalheur de l'homme jufte , ou plu- tôt nedois-je pas attendre que le grand rideau ^étendu fur l'univers, foit tiré à ♦4 . , nos yeux par la main de la mort; cVft elle qui doit nous faire vivre p en découvrant la vérité immuable^ éternelle y qui ordonna le cours des événemens pour fa plus grande gloi* te , & pour la plus grande félicité de Vlu>mme. ^ SONGE SECOND. De VAme. JE me trouvois au lever da (bleil /ur une haute montagne. Mes regards tournés Vers Torient , fe promenoiene fiirla magnificence de la Nature variée & renaiuante. Après avoir embrafle cet horilon immenfe , revenant fur ce q\ii m'envitonnoic , )*apperçtts fous ua jeune cèdre le même Génie que j'avois VD ia nuit précédente. Pénétré de re£> peâ & de reconnoiflance , je mMncli« nai pour embralTer fes genoux. Il me releva avec une bonté majeftueufe , âc me die d'une voix donc la douceur inrpiroic la confiance & la joie : Ami, je veux encore t'éclairer, puîfque tu as un defir fi vif de Têtre. 3e vais te dévoiler ce qu'il t'eft permis de comprendre fur cet efpric caché qui vit en toi , qui t'anime , qui or. donne à la fois ta penfée & ton ac- tion. Avant que ce corps que tu irai- 4* fies fous la volonté d'un Dieu , foîc ren« tré dans la poufliere donc il eft formé , )e tâcherai de faire deicendre les cho- fes céiefles à ta portée. Je voaiIus une féconde fois embraifer fes genoux; laiiTe f me dit- il, ces génuflexions pour les erïfans gfodlers des hommes : mon œil lie dans ton cœur: regarde du côté du couchant. J'obéis , *& je vis une plaine agréable , furmontée d'une colline que couronnoient des citro- niers, qu'embaumoienc des groupes de ro(es» Je la crus d^abord inhabitée^ mais bientôt j'apperçus une belle per- fonne, au corps lumineux , à la taille fnajeftueufe & plus qu'humaine , qui defcendoic de la colline ; elle étoît environnée de jeunes enfans y à la dé- marche légère , au fourire gracieux. Ils annoncoient la joie & la gaité ; tels la Fable nous peint les Amours » les Ris & les Jeux accompagnant la Déede de la Beauté. Cette Nymphe majeftueufe ( me dît monconduâeur) (enomme Ame; elle tire fon origine des cieux , elle en fut (exilée ; mais la caufe de cet exil eft au 47 rang des chofes qui font cachées. Let uns difent que c'cft parce qu*elleavôic trop bu de neûar dans l'Olympe , & les autres parce qu'elle avoir conçu d'elle-même un (entitnenc d'orgueil trop deraifonnable. Quoiqu'il en fok, îeccée fur ce malheureux globe, elle eft devenue à moitié cerrellre. Tan* dis que le Génie parloir , l'Ame s'ap- prochoir de plus près , & je pouvoisla mieux confidérer^ elle & fa fuite. Son vifage fembioir encore étonné de fon nouvel état; la phylionomie incertaine étok mélangée de deux nuances prêt queoppoiees; elle paroiflbit confulter en elle-même fi elle devoir fe fier aux ol}]ets qui l'environnoienr , & fur- tout à ces enfans qui l'accompagnoienr ; ils s'appelloienr les De(irs. Leur phy« fionomie étoit Gmple & crédule ; elle annonçoir plutôt l'inexpérience que la dépravation ; ils étoienc tous d'une forme agréable & fort ieduifanre. Ce^ pendant je crus appercevoîr quelque ebofe de volage dans leur vivacité brillante, U Ame^urnoit fouvcnt lei 48 regards vers le ciel ^ & à Ton fourire contemplateur y aux foupirs qui lui écbappoient y on pouvoit aifémenc interpréter qu'elle n'avoic pas perdu la mémoire du féjour divin qu'elle avoic habité. Non loin de cet endroit étoit une éminence couverte de fleurs , qui for- moient un lit embaumé. DejQTus re|)o- foit une femme dont tous les traits du vifage étoient fins & délicats ; ce- pendant fon front eflleminé portoit une certaine empreinte de hardiefle. Ici bas on la nomme Félicité terre Are ^ mais les habitans de l'Olympe ne ba« lancent point à l'appeller FolU. Elle étoit environnée d'une multitude m-- tiombrable de Silphes & Silphides de toutes fortes de formes & de couleurs^ & tous légers comme l'air. Tels on voit des papillons diflFëremmenc bi- garrés 9 errer au milieu des parterres odoriférans» & d'une aile inconftante fe repofer tantôt fur les tiges touffues des (leurs y tantôt ^ans leurs calices emr'ouverts. Us percent pour nom^ Us 49 les volagts Flaijîrs ; ils font enfâns it la Folie ; elle les a élevés & nourris daos de fecrets embraflêmens. Cet efiain de PlaiGrs reflembloic à ces xnouc/ies colorées , qui , fur le foir d'un beau jour , volent & bourdon- nent dans les derniers rayons du foleil, ils forp[)oienc un certain bruit flatteur^ qui ré^'eiUa TAme de fa den}i-lechar^ gie. Les Defirs coururent aux PlaiHrs dès qu'ils les apperçurent ; c'étoît une fympathie lecrette & forte qui les ac- tiroit l\iti vers l'autre. Ils s'etnbraffe* rent avec la plus vive. ardeur , & cha- que couple paroîiToit comme un jeune berger qui s'unic à fa nymphe. L'Ame, indécife de Ta Nature , ne favoit de quel côté elle tourneroit fes pas. Elle écoutoic avec une complaifance fe- crette les fons attirans de la Félicité ; elle vouloit s'avancer vers elle , mais je ne faîs (\ViOi Téloignoit de la route , & lotfqueje cherchois à comprendre ce myftere, j'apperçus un petit Ange aux ai/es d'or, qui planoit fur fa tête. Il bacrof c des aîles de joie ^ lorfqu'il la X FartH% C voyoîc s'écarter du chemin trompeur des Flaifirs; au contraire, il crembloic de frayeur , lorfqu'il la voyoic y re- xneccre le pied , & fa douleur allôic jufqu'à verfèr des larmes. Je priai mon divin conduâeur de n^*expliquer ce qu'il vouloic bien me dévoiler ; il me dit : aulTi fouvent que tu vois rAme s'approcher avec im- paiiçncc du côté où la Félicité Tinvite par fa voix de fyrene , auffi fouvent un fbmbre fenti ment s'empare d'elle; tu la vois qui s'éloigne triftement mal- gré les vifs Defirs. Teleft l'effet du îbuvenir de fon état précédent que lui renouvelle avec fa tendreffe tou^ joiirs vigilante, cet Ange charitable. Autrefois elle vivoit fous les céleftes lambris^ comme fœur & compagne des pures Intelligences. Elle étoît ac- coutuméeà un jour, près duquel celui- ci n'eft que ténèbres. Son oreille en- tendoit une harmonie dont on n'a point ici la moindre idée; Au jour de (on banniflTemeht , elle fut forcée de boire dans Ic^ .âeuve d'Oubli ; mais 5t rimpreflion de ft^ bonheur paflTë étoîc fi profonde , qu'H lui en eâ reflé une mémoire confufe^ Dès qu'elle fixe le ciel , /on ordVe fublîrae remeat , elle reconnoît fon ancien domicile, & cette majefté imprimée fur le front des aftres , Télève , la tranfporte & la fait foupirer. Mais^ lorfque les attraits de cette trompeufe DcefTe, que les mortels nomment Félicité , la maî- trifent, au point qu'elle eft prête à fuccomber , alors cet Ange du ciel, qui Va toujours aimée , protedeur compatifTant , luinndnue de les ailes divines une force furnaturelle ; elle abandonne les routes dangereufes , & ce bel Ange que le ciel a chargé du foin de la conduire , la remet avec des tranfports de joie dans le fen* tier étroit , qui peut feul la rendre à fa grandeur pa/fée; mais tu vois qu'il eflr fouvent trop foible pour l'écarter des puiflantes amorces d'une volupté préfente ; tu vois comme elle s'ap- proche de plus en plus de la colline' dangereuTe; ta vois comme la maia / 5^ des DeGrs l'emmené mollement. Hé- las ! elle efl: en péril / elle va céder à leur pouvoir. L'Ange bac en vain des ailes; fes foupirs, les pleurs, Tes e& forts font impuifTans. Les PlaiGrs lui bandenc les yeux de guirlandes de fleurs; ces guirlandes font enchantées, tous l'entourent , tous luf font une douce violence , fourient d'une réfif- tance inutile , & Tentrainenc d^ns les bras de la Folie. Tandis que je confidéroîs cette fcè- rie , un grand changement furvinc teut à coup, entre la troupe des Defirs & la troupe des Plaifirs. Ces enfans na- guère fi attrayans, fi doux , qui s'em- braflToient avec les plus vifs tranfports, fe transformèrent foudain en ferpens , en couleuvres , en fpedres horribles* Les plus jolis devinrent les plus hi- deux. Les Defirs fe féparerent en fré- miflant des Amours. Je vis TAme elle- même s*arrachçr avec dégoût de ces çmbraflemens qijî lui devenoienc odieux; mais à peine eut-elle fait un pas en arrière , que tpu^ ces petits en* L Aanteors teprîrenc a les yeux leUt forme çtemiere & fôcJuifance. Folble, elle (e laiflà entraîner de nouveau ^ abufée qu'elle étok par leurs grâces nouvelles & décevantes. £n même tems , la Félicité menfongere faifoît la prude ; elle fembloit vouloir fuir les Defifs, pour en être pourfuivie avec plus d'ardeur. Lorfque les Defirs, quelquefois rebutés, retournoient en grondant fur leurs pas , .alors cette magicienne îngénieufe couroit après 'cux.llélas! dans leur naïve crédulité ils revenoîent toujours pour rejoin* dre rindéfiniflable Déefle ; elle fuyoîc de nouveau pour les mieux attirer dans fes pièges. On ne voyoit qu'un tourbillon dîverfement bigarré, qui, dans un mouvement continuel 6c ra- pide fbrmoie un bruit confus. Les plaintes des Defirs trompés, l'impa- tience fougûeufe des Plaifirs , leurs re- grets, leurs reproches , les cris de la Jaloufie furieufe , tantôt plaintive , tantôt éclatante, enfantoient un mur- mure perpétuel. Et que faiD>it TAmef C3 54 .l'Ame fommeUloit à côté de kFoIte , fur un lie de rofes ; (a main xioncba- lance laiiToic é.chapper les rpnfis des Defirs: elle s'éveilla au bniic .uitnul- tueux de cane de voix difcordances ; .& fe voyaric enchaînée , elle voulut rap- peller cous le$ Defirs vagabonds, pour leur donner des fers & les emprifon- ner dans fon fein. Vaines tencacives ! la Folie plus force capcivoit fa volonté foible , foumife à un inflind iiopé- lieux; elle ne pouvoic fe faire obéir, Alors , une femnie pefance » d*une lourde figure, nommée THabicude ,, vinjc , & d'un bras invjncibfle la lia de nouveaux acewds fur le lit de la faufle Félicité ; & les Delirs en taucxianf autour d'elle- avec une rapidité conxi- nuelle, la lafferenc tellement , qu'elle tomba dans ràffaupiflecnenc , ou,plu- tôx comme engourdie dans une lé- thargie profonde; Au milieu de ce calme funcde, & du fein de ce fonimeil de:mort, TAmie entendic quelques fons lointains , mais doux & perçans, qui par degrés ^ Î5 , .^ .t^veîUcrent & la roaicnferent d'une manière (\ puiflTanre , qu'elle fie tes plus stands efforts pour te relever , 8c déchirer les guirlandes qui la rere- uoienr. J'.apperços alors l'Ange aux aîles d'or, que je n'avois point vu de- puis long-cecns , errer à Pencour d^etle avec empreflement , Texcirer du ge(hî .& de la voix , pleurant de joie , lort qu'elle redoubloit de force & de cou- rage. Elle lutta long^cems avant èe fe dtbarraiïèr de (es liens. Elle alla léveiWer \a foule des Defirs endormis , qui étoient couchés cà & là , (à voix les engagea à diiiger leurs pas vers la fymphonie héroïque & fubltme , qui fembloic s'éloigner ^ & donc les der- tiiers fons, encore raviffans, venoienc expirer dans fon oreille; mais je crois qu'elle n'auroit jamais pu s'arracher de l'autel de la Folie , malgré certe mufique céleàe , âc malgré ce bel An- ge aux ailes d'or , fi elle n'eue trouvé à propos une belle femme , d'une H- gurenoble , qui paroiflfoic d'abord fé- jieufe*! & même un peu auilere , ,56 rmaîs dont on découvroît les charmes : en la confidéram de pins près. Mon conducteur me dit qu'elle s'appetlo-ic .la Réflexion* Elle tenoic en main un verre myftérieux ; elle le donna à .rAme,en lui ordonnant de contempler la Folie & fes filles. L'Ame regard^. Quelle furprife! ces nymphes qui lui avoient femblé (i charmantes, lail- ^férent tomber le mafque qui couvroîc • leur difformité. Quel contrafte ! c'eft la laideur hideufe du crime âc du re- , mords. L'Ame examina à travers te ;mêmecryflal la^Félicité terreftre ; fon iburire étoit faux & cruel ; fes yeux qui fembloient fi doux, étinceloienc d^s feux de la haine & dé la vengean- ce; des ferpens entrelacés avec aft ibrmoient fa chevelure ; on lifoit dans fon regard qu'elle ne foageoit qu*à tromper les humains, qu^àcreufer fous leurs pas les abymes du malheur Se de la honte. L'Ame étoit obligée de clignoter des yeujt pour foutenir fon ,afpeâ. La fage Réflexion lui ordonoa une féconde fois de regarder, a c6c« d*elfe dans le loincaia , & elle décou<* vric fur un monc efcarpé un beau Gé- nie y dont réclac furpafToic tout ce que peut créer rimaginacion. L'Ame après l'avoir confidéré long • cems , crut fe reiTouvenir d'avoir vu quelque chofe de femblable dans ce féfour où elle étoic heureufe. Elle vola comme fi elle eut eu des ailes aux pieds , à rendroic d'où partoic cette divine mélodie qui rem pliifoit les airs. L'A- me marchoîr ^ accompagnée du bel Ange aux ailes d'or qui précédoit fa marche I & fourioit d'allégreflTe , en lui indiquant la route. Les Délits vo« loîent fur fes traces , ils voloient pleins d'impatience , & paroilToient deviner par un fecret preflenciment , que le vuide qu'ils ^prouvoienc dans le cœur feroit bientôt rempli. Ils arrivèrent au pied de la monta- gne , & s'y arrêtèrent ; elle leur parue d*un abord difficile ; mais voici quef trois femmes , femblables à des Dtfef- /ês, non par la richeffe de leurs atours, SUÛ5 par la funpUcué majeftueufe de ^8 leur li^miiïcht, Sç pa:r h oobielfe St la douc£49r de leucs trai^ , defcf ndî* rent vers eux, Céioic la Tem|M?rance^ la Modécacîon Se la P^ui&nc^. £lle$ offririçpt à TAi^ve de la traiifporceT en- tre leiurs bra$ aq fcmmec de la rnon* tagne : quant aux DeGrs, irrités par Tabllaclei ils écoienc trop aâifs €c trop eiivpr^flcs pour ne pas atteindre leur but fans fecours & fans guide. Alors, il me fetnbla par un mouve- ment auffi prompt qu'imperceptible , être porté moi-même fur le froQt de cette montagne , & je conHdérai de près la fcène augufle & brillante qui s'oflrit à mes regards. Je vis une efplanade entourée d'un côté de liaucs cèdres, & de l'autre d'arbufles odoriférans. Le penchane étoit femé de plantes falutaires. On rerpiroit en ces iieux Tair pur de la vie & de l'immortalité. On s'y trou- voit plus dq férénité dans refprit , 6c quelque chofe de célefte dans le cœur ; mais la Divinité de ce féjour frappa spa yûe fous le corps qu'elle avoit bicfi 19 voulu revêtir. Elle s'ayançoft Je dcff foQs les cèdres. Son vi (âge étoîc brillanc comme \efoleil orné de cousfcsf ayons; .c'étoit cette même divinité que TA* me avoir apperçue de loin par le verre admirable de la Réflexion. Lorfqu'on aétéaiTez heureux pour Tenvifager, on ne peut rien deCttet de plos beau ; mais il eft impofllbie d'en tracer un Êjftraît à l'œil qui ne Ta point vue. Ile porte une bande d'or fur fon front; deflus efl écrit fon nom en caraâeres facrés-, W n'appartient qu'aux inteili» gences céleftes de pouvoir le lire ; les profaoes mortels doivent baiflTer en (a préfence un œil refpeftueux. Ici bas nous Vappellons Vertu. A fa gau- che ^t oit une Déefle femblable à une filie ravivante , mais d'une beauté (i noble , ft Kjuchante, qu'en la voyant, on fc fentoir ému ^un plaî-jr înalié» rable. Mon divin condoSeur me die que c'étoit F Harmonie , que la lyre d'or qu'elle portoit fur fes épaules d'albâtre étoît celle qui régloit le mouvement des mondcs^dc des foleils ^ C6 6o (Tti même tems qu'elle mârquoic par>i mi les Anges les hymnes éternels , confacrés aux louanges du Créateur. Quoiqu'elle ne touchât point alors fa lyre, il s'en écouloit un frémiflement harmonieux qui me ravillbic en extar fe -^ainfi lorfque le foleil fe couche- der-î liere les montagnes , il répand encore dans Les plaines des airs , des lances dorées y qui annoncent de quelle ina<- goiBcence il couronnoit fa tête, lorfr qu'il pourfuivoit fa courfe^au fommec brûlant des Cieux. Dès que 1! Ame apr perçut la Vertu qui venoit au-devanç d'elle avec un air de tendrefTe & de bonté , elle s'emprefla de fe jetter à fes pieds , & d'embraffer fes genoux ; c'eft alors qu'elle refTentit pour la première fois, depuis qu*eHe avoic abandonné les céleftes lambris , quel- que choie de femblable à la félicité divine dont elle jpuiffoit dans l'aflem- blée des Anges. Elle crut même dé- couvrir fur le vifage de la Vertu, jufques dans les draperies, dont eue éiQh revêtue,, quelques traiw de le^. 6i ternelie l>eauté , qu'elle avoic chdevaoe adorée fans voiles. La Vertu en la relevant t*embra(Tâ tendrement, & la conduinc à côté de fa fœiirl'Harcnoniei fur an gazon uni où elles s'affirent.Je découvris fur le vifàgc de l'Ame un^ contentement radieux; il fembloit convenable à Tordre de fon excellenre tiatufe. Elle me parut dam fônvériiaV>le état auprès de ces auguftes Déedes. Je les jugeois faices & créées pour vivre enferoble , & ne devoir )amak fe féparer . O que TA me étoic belle alors ! Tout ce qu'elle difoit me caufbrt une facisfaâion intime; je ne doutois plus de Ton origine célefte ; je ne fais quoi de divin me frappoîti Pendanece tems, la foule desDefirs languiflàns , étonnés , étendus par terre , étoient comme des enfàns fans force & fans lumière ; leurs yeux ne pouvo/ent Tupporter la majefté rayon- i»t\tede la Vertu, leur oreille ne pou* Voie entendre fon langage mâle Se ibblime ; mais dès qiie THarmonie i^urpris eamakiceitè^lyre^uicoHuxiao^ doit à Putftvers, & qulls virent toBce la Nature obéir à ceice mufique douce (& puiflfance , tout à coup métamor- phofôs' f ils romrenc de cet état de fbibleiïe & d'indolence , ils élevèrent les mains au ciel , les battirent .en ca- dence f fe }oignirent enfemble , Se formèrent une danfe majeAueufe en environnatit l'augude Vertu. Leur danfe imitoit le cours de ces aftres |^ de ces tbleilsi de ces planettes, qui, dans divers orbites, tournent au gré des loix d'une confiance harmonie; car le bel ordre du fy^ême phyfique n*e(l, fans douce , que la foible image de cet ordre moral qui régnera dans le monde éternel. Jamais les DeHrs ne s'étoient trouvés n heureux , fi fatisfaits. Ils n'é» toient plus légers, folâtreS| inconftansy. capricieux; ils reflfentoientfet équi^ libre paifible , fruit du vrai contente*- ment ; leur cœur étoit rempli « & dans^ cette agitation modérée , douce jouif- fance qui ne produit ni la lafTitude ni le dégoût. Mais ce qu'il y avoir de plut j^dmirabjle pour mon œil enchanté^ ç'ed que chaque Pefîr qui obéînôîc i rHarmoivie en figurant autour de la \ea\x , en tccevoit auffi-tot l'aimable & vîve empreinte; vous eufliez vu comme autant de miroirs , qui tous réfléchifToient fidèlement un feul ôc même objet. On l'auroit prife pour une n;ere environnée de la troupe riante de fes enfansi qui portent cha- cun d'eux quelques traits de leur me^ re I quoique la reffemblance ne foie pas entièrement parfaite. Une voix raviflTanfe frappa mon oreille; c'etoic celle de l'Harmonie: cette voix donnoit un nouvel éclac aux cieux & à 1^ terre. Le breuyage des immortels n^eft pas & doux que les paroles, Enfans du Créateur , voyez l'ordre qui régne auf-deffusde vos tétes> fixez votre œil fur ce point de vue élevé ; qu'il foit votre lumière : ni les richeiïes ^ ni la gloire I ni la volupté^ ne pourront contenter vos defir$ , vous feriez tourmenté^ & misérables dans Ips bras de ces fantômes irompenrs i il refteipoit toulours daus vos cœurs ua. 64 vuide anreux. £c par qui ce vmae peuC'il être rempli, ô mortels? ce n'eft que par la Vertu. Eh ! dans toute rét?ndue de la création , eft-il riea d'aufTi beau , e(l-il rien de plus parfait? qu'il eft doux de la pofféder! Heu* reux qui fe dit; je n'ai qu'un inftanc à vivre dans cette prifon mortelle , mais je perfeâionnerai mon ame, j'annoblirai les facultés dont elle efî ornée autant qu'il fera en moi, je la rendrai digne des regards du Dieu qui l'a créée ! toi, qui vivras fous fon aimable empire, mortel! tes heures feront douces , paifibles ; la modéra- lion , la (implicite préfideront aux vœux de ton coeur. Ceft la modéra- tion qui crée le fentiment , le fencî- ment qui fourit au fage. Alors , fi tu; traverles les plaines émaillées , ou les gras pâturages , le Plaifîr parfumera pour toi les airs i c'eft toi dont l'efprit embraflfera dan* fes méditations , & les globes de feu que je fais rouler > & le ver que je loge 6c que je nourris dan$, «Dgraiftde pouffiere. Songe, fonge,» <55. (ur-touc f que ce Dieu , dont je fw la BUe , eft le plus aimable de cous les êtres. O ! que ne m'eft-il donné. de le pouvoir peindre f mais nous mar- chons à lui. Touc pafTe; toutes ces fccnes changeantes tomberont dans les gouffres du néant ; plane d'avance dans les régions, où je tiens moa trône près du (len, vois tout fuir. Se la Venu feule quifurvivra, pompeu- fe , inébranlable, amie immortelle de l'homme, guide Bdele du bonheur., tTéfot & récompenfe des cœurs qui la révèrent & qui l'adorent. 66 SONGE TROISIEME. De la Cupiditi^ de la Vertu. J'Étois dans un bois obfc);iryne fâ- chant de quel coté )e devois tour- :ner mes pas. Les rayons de la lune rompus par la voûte d'un épais feuil- ^%^ t i^ttoienrt une pâle clarté qui rendoit les ténèbres de la nuit encore plus effrayantes. J'avoîs la foibleiTe d'un enfant qu'on a abandonné je n'ai, hélas! que quelques gouttes ;. viens avec moj , .frai>cbiilbn5.1es obila^. 7± d«, combattons; fupporte'la moitié des chaînes donc je vais me charger; plus elles feront pétantes ôc plutôt nous parviendrons. Oh! (i je peux jamais' puiTerà fouhaic àcetce heureuft fon- taine, je te jure que je t*en ferai part. La curioficé , paffion qui ne m'aban- donnoic point, encore plus que la né« cefficé fatale où j*étois , m'entraîna fur . fes pas. Dieuî quel chemin de fer! quelle cohue ! que d'affronts & de' peines! Jecachois la rougeur de mon vilâge fou^ le poids de mes chaînes; mon conduâeur affeâoit une mine riante ; mais je le furprcnois quelque* fois fe mordant les lévfes jufqu'au fang, & fe défeTpérant à voix baffe , tandis qu'il me crioit tout haut , cou- rage , ami , cela va bien. L'avidité lui donnoic des forces furnaturelles; & comme jna chaîne étoit liée à la ftenne j il me traînoir après lui. Nous aTrîvâmes au pied de la montagne ; c'étoit bien un autre tumulte. Les vallons étoient couverts d'une multi- tude d'hommes , qui s'agitoient avec leuis knrs fefSi 8c qui s'arrachoient arec toute la politefle ooflible, quelques gouttes de ce vif argent qui s'é* coulou de la fontaine. Il ne me paroiUbir gueres poilîble de trairer* fsr cette foule impénétrable , lorf- que mon conduâeur avec une au* dâce téméraire , fe mit à violer le droit des gens. Il frappa à droite & à gauche avec toute la violence de la cupidité ; il foula inhumai- nement aux pieds ceux qu'il avoic tenverfés. Je fentis, en frémiilànt, que )e tnarcbois £ur les entrailles pal- pitantes de ces malheureux* Je vou« lois reculer y mats il n*étoit plus temsf i'étoîs entraîné malgré moi. Nous étions couverts de fang; l'horreur de leurs cris plaintifs & de leurs malé« didions me gUiçoient d'effroi. Nous parvînmes de cette horrible manière for une petite colline ; il me regarda d'un œil de complaifance. Nous prolf- péronsy me dit-il ; le premier pas eft Air , Je refte ne doit pas nous effrayer* Vois^'to y comme nous les avons fait I. Partie. D 74 rouler les uns fur les autres. Ici , c'eft autre chofe; nous fommes à la Cour^ dans on pays renopH de déBlés : il ne &UC plus aller fi fore ; il lauc avec Une finefle adroite , étudiée» favoir(k>n^ ner le coup de coude à propos j cou- jours fans quartier ; on n'en abyme pas moms {on homme ; mais ce qu*il faut éviter avec le plus de foin , c'eft le fcandale. J avots le coeur trop fer^ pour lui répondre un feul mot ; un tel homme ne me femblok pas fait pour écouter la vertu cm Thumanicé. J*^tois cha* grin de me voir attaché à lui ; je re^ doutois à chaque m portoit fecretemenr , & les iniquités ne leur coûtpient rien pour remonter à leur premier état. Il faut avouer auffi ^ue ce, vif argent fi funcfte leur Dz 77 , . pîUoIt les foyers de l'iAclIgenee. ht peuple écrafé encre ces deux leviers terribles ne favoic fur quel cyran il devoit faire tomber fes malédiâions $ tous ks tréfors de la terre palToieni: dans ces mains avides. Je remarquai çue ceux qui poflfédoienc abondam- ment de cette matière ,. n'en éroienc jamais rafiTafiés ; plus ils en avoient , plus ils étoient durs & intraitables* Cependant^ mon copduâeur ne voyoit dans ces objets que des motifs d'émulation. Allons , allons ^ me dicil y tu rêves , je crois , avec ton œil fixe & obfervateur; avançons. Vois-tu à travers ces rochers, quel objet raviflant ! vois- tu couler à grands âots cette fource iblouiflTan'- te; elle fe précipice en cafcades. Ah! courons ; je crains qu'on ne la tariflfe. Que de monde fe la difpute! mais en même tems prenons garde à nous, nous n'y (bmmes pas encore; les derniers pas font les plus dange* reux. Combien , faute de prudence » Ipnc tombés du faite dans l'abyme! £h jrrenverfant les autres , garant îfl fons-nous d'une chute horrible; il faut profiter habilement de^ cnal- heurs d'autrui. Viens, j'ai découvert un chemin qui nous conduira plus rarement au terme defiré. En me parlant ainfi^ il me conduifit par un pecit rentier que peu de perfonnes ofoierfc ftitvre ; c'étoît une* efpece d'efcalret tortueux , étroit , percé dans le roc, & couvert en voûte. Nous avançâmes quelque tems ^ maisr bientôt le chemin fe trouve barré par troii figures du plus beau tuarbre blanc. Il n'y avoit que leur blancheur éclatante qui pouvort dé- tourner Tefprit de l'idée de chair , tant elle éioit exprimée avec vérité , avec nobleflè, & avec grâce. Ces trois figures fe tenoiertt les bras en- trelacés, éc unies entre elles comme pour fermer le paffage aux mortels imprudens. Elles repréfentoient la Religion, PHutnanité, la Probité. Au bas étoit écrit. Ces figurts /ont à çhef'd^osuvn di VEfprit humain / ia 79 originaux tn font dans les deux. jortels t nfpe3e{ ces images ; ju'el. "Sjoient facrées pour vous , pmjl quelles font fûtes pour vous artiter ^ans le chemin perfide qui conduit a«* abymes. Malheur à qui ne fera pas touché, & maudit foit à jamais k Jfcnlége qui ofera les endommager. Je lentis à cette vue une émotion refpeaoettfe mêlée d'amoor ; je re- gardai mon conduâcur, il me parut un mftanc auffi troublé qu'indecij ; ttiis ayant entendu des cris for une •nouvelle éruption de la fontaine, ion vifage fe colora d'un rouge noir, " laiht une pierre qu'il détacha du »oc; enyain je cherchois à l'arrê- tcf ; il briû ce monument facré avec «ne futeur impie, & paflà outre fur tes débris. Mes efforts redoublés & contraires aux fiens , brifereni enfin la «laîne odieufe qui ra'attachoit à ce nvonRre. Va, lui dis-je, dans mon wdigoation, homme in&iiable , effré- né, va , cours fatisfàire ton goût pour ie crime; U fondre de la judice P4 «c divine eft prête Il ne m*ea- tendoic déjà plus ; je le fuivis des yeux : le malheureux ^ égaré par ion forfait f en voulant puifer trop avi- dement dans cette fontalnç funefle, s*y précipita en aveugle^ Emporté par le torrent dont il avoit fait fon dieu 9 il fut brifé fur les pointes des rochers , & fon fang en rougit pour quelques momens leclatance blan- cheur* £t moi I î'étois demeuré /aifi i tremblant , contemplant ces débris adorables , épars autour de moi > craignant de les fouler » n'ofant faire un pas. Des larmes d'afHiâion ruif- feloient de mes yeux ; je regardois le ciel , les mains jointes , & le cœur navré de douleur , lorfqu*un pouvoir divin les reflfembla tout à coup ^aufli belles , auffi majeflueufes , auffi tou- chantes qu'auparavant. Je me pros- ternai , j'adorai le Dieu qui n'a pas permis que la main du méchant, ou que celle du tyran , pulfle jamais détruire ces effigies f%çrées ; i^jEnoc^ telles I inébranlables , elles (èrooi dans tous les tems le refuge des in* fortunés , & la confolacion du genre humaki. Je retournai prompcemenc fur met pas ; je rencontrai une multitude aâive qui efcaladoit ce roc par di* vers chemins ; Vétois le feul qui def^ cendoit volontairement ; c'étoit i qnt poneroit la chaîne de celui qui s'é« levoit un inftant au-defliis des autres iur la moindre éminence ; mais fi le pied lut gUflbit ^ on feifoit de grands éclats de rire , & fouvent on ache-^ voit de rendre fa chute plus aflTreufe. P'autres fe lamentoient comme des enfans; ils avoient acquis beaucoup de vif argent , mais ils s'écoit éva- poré fi fubtilemenc ^ qu*ils n'en re- trouvotent pas le q^oindre veftige^ Tous ces tableaux , & d'autres encore plus pitoyables , me failbient mépri* fer & la fontaine & les malheureux qui rafliégeoient, J'étois irréfolu fur Je chemin que je devois tenir , lorC^ que ie £s rencootre d'un homme dont la pfiyfiortoniie ctoît noble , Se avoit encore plus et àonceut que de nobleflTe. H defcendoit d'un air libre, aifé , & portoîc fa chaîne avec dw gnîtd; elle lui paroiflToit impofee , non des mains de^la fervicutie , mais par Celles du devoir. Il poflTédoit une fort mince portîof\ de petites boules^ Se i\ tes répandoic libéralement dans le féirt des pauvres; il tenoit un livre antique , & fourioic de )oie à chaque page ; il exhortoit chacun à fe con« tenter de ce qu'il avoit , & à ne poin^ fe hazarder follement fur les hau-^ teur?. Pour fe venger de fes avîs,^ on Tappelloit JPhilofbphe ^ Se on comptoit Wnfulter beaucoup. Je le vis qui refufoic les chaînes les plus dorées qu^on lui préfentoit, malgré toutes les cfpéDunces pompeufes qui les accompagnoient. Je me fentis en- traîné vers ce làge, par un mouve* ment fympachîque. O ! daignez me conduire, lui dis- je, vous qui fem- blez marcher fur ces rocs efcarp:'i avec caat de (uretéîîe ne fais ui oxx ffi TuiSi ni' oïl je dois aller; (êrvez- moi de guide, tirez- moi de ceiaby* rimhe affreux » où je me fuis vu en* gagé par h main terrible de la fata« lire / Ce fage s'arrêta ; & après m'a« voir Hxé quelques momens, jeune homme f me die- il, vous m'avez trop intérelTé dès le premier abord » pour que je ne vous fecoure point. Ce n'eft point à votre âge qu'on fe trouve ordinairement dans ce féjour aflTreuir, Quel homme facrilége a corrompu votre îeonefTe ? vous méritez d'être tiré de cet enfer ; mais avant , il faut que vous obferviez avec moi la fcène qui fe découvre fous nos yeux. Arrê- tons-nous , nous en verrons aflez pour di/courir utilement. Voyez avec quelle magnificence prodigue la main de la Nature a femé les ricfaéfies fur la furfacè de la terre ; mais cette terre n'a répondu qu'aux travaux opiniâtres ée l'homme ; ils font imprimés fur ces campagnes que fon oras infatigable a rendu fer- iilesv léCs ronces & les chardons hé- D6 9^4 riflerolent ces champs.;. tAaî$ !1 leur ^ ordonné de produire Us moidbns. Le laborieux culcivarear d,, fans dou- te , des droits fur le cerreîn qu'il a dompté; il faut qu'il foie récompefv- {é d*avoir fupporté la chaleur du ).our & rintempérte des faifons; auffi la juftice diilributive régne, rien n'eâ: bouleverfé , chaque héritage eft par- tagé ; ils fleuriflent à Tenvi l'un de l'autre , Se tout eft arrangé par un con- trat focial ^auin étonnant , peut êcre^ que la Nature même. £h bi^n! cette harmonie paifible qui régne dans ces champs , efl fondée fur le défordre de cette montagne. Le pobt où fe forme la foudre dans les airs eA ecn« brafé, mais lorfqu*elle éclate, elle porte au loin les pluies féconde^ Se rafraîchiflfantes; de même ce prio- cipe aâif du monde moral, eircîce des tempêtes à fa fource ; majs U répand la vie & Taâivité dans tous les ordres de l'Ëtat. Cette mauece brillante qui pétille & faute au ba- jz:ftrd| va^ vient ^ s'éclipfe | fe divifi^ 8j J'ane partie en mille autres de va^ leur proportionnée ^ (à rejoins y C^ ledivife , efl le gage de tous les btens^ de tous les travaux , & donne une ame aâive à ce grand corps donc toas les mouveniens ferotent lents Se incertains fans ce ferment utile. C'eft une merveille admirable que ce ligne toujours préfent , toujours, fécond dani fes rapports ; & le malheur qm en léfulce^ n'efl; que dans l'abus prodi» eieux que les hommes en ont fâic La raifon & l'humanicé pourront le corriger ^ R Thonutie écoute leur voix couchante. Les fruits de ces am- bres foiu Êiits pour éceindrq le fer^ti*» meiu impérieux de la faim ; qu'un homme en ule fobrement, il jouic de (es droits i & la fanté viendra ré- compenfer ùl tempérance ; mais qu'un Elouton dévore la parc de troi.^ de )5 voiHns, il fe doiuieita une indip geftion cruelle, & fe fèr^ périr en faifant jeûner les autres. Si donc l'homme au lieu d'être infatiable, au lieu de fe confumer miférablemeot u / Itiprès de cette fontaine , lavôîc Te 4)orner , U aurok dequoi être heù- creux , & il poorroic encore faire par- tager fon bonheur à cent autres de fes femblables. Ceft la cupidité qui vient brifer cet équilibre fortuné , qui ba- lanceroit "mollement les citoyens ; au- lieu que rompu , il les arme en fureur les uns contre les autres. Oui , Thomme riche & ambitieux eft un loup dévorant , indigne du nom ^'homme , puifqo'il en devient le fléau. Il fera malheureux , il fera en horreur; toujours avide & mécontent, il endurcira fon cœur aux cris du be- •foin qu'il pourroit appaifiîr ; il met- tra tpùt fon a-Tt à dénaturer fon ame, & il y réuflîra. Ceft lui , & ceux qui lui reffemblent, qui eaufenc toutes les calamités de la terre ; ils font les vrais auteurs du blafphême, & un ïiche inhumain ne peut pofleder fant frémir, à l'affe^ de celui qui n'a srien. Ami, contemple tous les chemîfTS qui conduifcnt à cette hauteur ! qu'il *7 . tift peti de femiers droits ! ceux-ci font falis par Torgueil & Tabas da pouvoir; ceux-là , par la bafleflTe & Yefclavage/ On en voit qui pafTent à travers les Crimes les plus honteax ^ & ils ne rougiflfent point. Mais, dis- je àa fage qui me parloir, s'il e/l des cœurs coupables dans cette fou« le, roûs ne iè font pas; nous arri« vons à notre infû dans la fociété , Se îîous recevons d'abord les fers qu'eU lé a préparés d'avance à chacun de fes membres ; comment fe débarraC- fer de cette chaîne immenfe qui nous lie fortement les uns aux autres , & qui nous force de marcher malgré nous vers le but commun ? comment fe pa/Ter de ce métal indifpenfable ^ puifque fans lui on ne peut fetis- '&ire aucun des befoins nombreux de la vie? & puîfau'il eft fi prompc I s'évanouir , n*efton pas prudent: d'enamafler une certaine quamîtd?-.. C'efl parce qu'il s'écoule Facilement,^ • qu'il eft fage de s'y peu attacher : je^ W dî$ point qu'il faille m^prifer q^ w figne conveptionnely mais il eftofo* toc fait de mettre un frein à nos deurs ^ que de les contenter à cet égard* Voyez cet infenfé qui^ après avoir confumé les plus belles années de fa vie à fe faire une charge de ce faux bien , tombe fous le fardeau ; sùl ne daigne le relever : fes créfors te difperfent à fa vue, fa chute ne lui laiflfe que le remords de les avoir mal acquis , & le regret plus aflfreus de ne les pouvoir retenir. Quel coi>- trafte préfence là bas ce bon homme qui va fouillant la terre ! Âpiès avoir lien cherché pendant tout le jour ^ il trouve vers le foir une des petites boules , jettées au bazard par le cours de la fontaine ; il revient tout conf- ient la rapporter à fa fetnme & à fes enfans; il les lai0e quelque tems admirer fon éclat , & il va la préfen* ter , pour qu'on veuille bien lui ao corder quelqu'épics des gerbes qu'il a fait croître. Cependant le pain qu'il mange efl; plus délicieux que celui ^ ^u'on feit à la table des grands; car «9 Il le partage avec les tejetcooi qdd la Nature lui a donnés » que fon cœar chérît y Se donc il efl aimé , tandis que ceux-là oe nourriflenc que des parâHres qu'ils méprifenc^ Se dont ils (ont déceiiés. il e(t quelquefois beau d'avoir beaucoup de cette matière , mais c'eft lorfqu'on en foulage les maU heureux , lorsqu'on en arrofe quel- que terre delTéchée pour lui rendre Téclac & la fertilité ; alors , Tufage qu'on en fait , prouve qu'on à monté par des chemins droits ;*mais ces chemins font rares. Je les ai cher- chés; j'ai réufli. Je veillois conti- nuellement fur moi-même , pour ne pas m'engager dans quelques fentiers tortueux , car ils font les plus faciles & les plus larges : }'ai eu fou vent le bonheur de tendre la main à quel* ques imprudens prêts à s'égarer ; étant relevés , il me boùchoient le paflTage par reconnoiffance ; mais j'a- vois ùiit le bien , je n'en avois point de regrecs. Je me fuis fait uoe laiioa •90 de defcendre avec le même conten- tement que i'écoîs monté. Non, ce n'eft peint là oà je mets mes plaifirs. O ! jeune homnoe » fi tu te (èncois une ameaflèz. grande pour me fuivre, je te ferojs voir un autre (ejour , ob Ton goûte un bonheur audi pur qu'im- muable. Les habitatis de cette con- trée le tiennent pour un pays chi- mérique; tous ces hommes^ opulensy lourds 8c méchans voudroierit le faire regarder comme tel , ne pou- vant le conquérir par le moyen de leurs viles ricbeflfes ; mais il ne s'agit ici ni de violence , ni de métal entafTé •dans des coffres ; il faut , potir y en- trer , une ame grande , & , fur tout , une tête oh le vif argent ne foie ja- mais monté. O mon père, lui di$-je, en lui ferrant les mains , ayez ptrié de moi , de^ma jeunefle livrée à l'inexpérience, & pleine de fenfibilité': ag^ràndiflTez mon ame , purifiez là des viles taches que j'ai pâ concrader dans cet air em- poifonné; foyez mon guide; jefens, *^i , je (êni oh vous vonlez me condnS» *rc ; mon cœur s'enflamme de joie. . . . Ah î . . . achevez , mon père, adie vez ; )e Vaime cette vertu famte ; mon ame e& née pour elle. Que la Nature fe« toit ingrate , fî le cœur qui Pho- nore le plus n'étoit pas fait pour être heufeufx! J'aime cet enthoufiafme » ' me répondit-il ; viens, tu es digne de me fuivre ; il me prit par la main , me fit defcendre quelques pas. Tout le monde nous rioit au nez , 8c de- mandoit , en hauilànt les épaules , oti nous voulions aller; laiiTez-les palier , âifoit là plus grand nombre; tant mieux , ne voyez»vou$ pas qu'ils font place à d'autres. Ne t'embarraffè point de leurt vaines clameurs, dit le fage; fuis ton projet avec fermeté , laiiTe-les ra-- 'maflfer ces boules frivoles; un plus riche tréfor nous attend ; mais je ne te le déguife point , noqs avon» plufieurs obftacles à furmoncer. En effet ^ il nous fallut pafler par des fcmiers rudes , appelles fenciers^ de 1^ »' « 9* jpatietice , fentîers de la temp^rairce; mais je prenois tant de courage fur mon noble modèle , que je mar- chois gaiement I & fans éprouver de laflicude. A certain détour j*eus une peur horrible ; une femme décharnée , qui rongeoit les rochers fur lefquels nous marchions ^ jectoit de longs fer* pens après nous. Li'infenfée ! elle vouloic avec fes dents & fes ongles creufer des précipices Ibus nos pas; Técume couvroic /es lèvres, & une rage fombre enflammoit ion regard. Je reculai ; mais mon courageux guide me regarda en fourianr. £h quoi ! me dit-il , les tnafques vous font peur! Allons, ferme, tant pîs pour elle fi elle eft fi laide & fi mé- chante ! Voyez comme un regard tranquille 6c fier fait mourir tous Tes ferpens ; ils ne dévorent que ceux qui s'en effrayent ; prenons garde feulement de pofer le "pied fur fes pièges, mais ils s'apperçoivent de loini^èç ils font groilierement teo: 95 ins ; nous avons des xnomens ptai dangereux à furmoncer. O jeune homme ! c'eft ici qu'il fâuc combat- tre; voici l'heure du courage. J'apperçus un lac écendu qu'il fkU loic abfolumenc traverfer ; Tes eaui^ pures préfencoienc un miroir on féré- pétoit le payfage charmant qui déco- roit Tes bords. Le fouffle aimable des zéphyrs ridoit mollement fa furfàce polie , & un air frais & voluptueux por- toit jufqa'au cœur le frémiflTement du plaifir ; tout annonçoit fa préfence. Si tu étois un efprit célefte» me dit mon guide, je te dirois; étends ces ailes I éleve-toi dans les airs, plane au-deflbs de ce paflage auffi dange- reux qu'il efl iëduifant ; mais tu es homme ; en place d'ailes tu n'as que des bras & des jambes tardives ; al- lons , mon fils , il faut te foumettre aux loix de la Nature; ilfauc na- ger ici, & de toutes tes forces; la condition efl dure , mais elle eft inévitable. Excité par ces paroles ^ je me lançai dans le fleuve , & je 94 tne mis en devoir de le tratreriêf. Dieux ! quels momens ! une langueur fubcile fe répandic dans mes veines | j'écois dans un océan de voluptés ; des Nayades fortoienc du fond des eaux pour m'arréter ; Tamouf fou* rloic dans leurs yeux, tantôt vifs , tantôt languiflans; leur (tin éblouif- ikac f les coutours de leurs charmes adorables , fe montroient à travers le çryftai mouvant des eaux qui rouUi* {}lioic leurs attraits. Elles écendotent eurs bras d'albâtre , & me cber* choient pour objet de leurs carelTes. J'avois befoin de tout mon courage pour ne pas couler à fond. D'une main je tenois mon conduâeur fer*^ me par foa manteau ; mais l'autre étoit abandonnée malgré moi à une main engageante & douce qui m'in- vitoit à la fuîvre. J'étois prêt à fuc- comber ; ma rétiflance étoit invo- lontaire, & dans le trouble de mon ivreiTe , >e fus obligé de me repofer un inllant fur le kin d'une de ces jeunes Nayades ; )'y goûtai des dou* 9$ tenti qui m'6cerenc la force de pour* foivre ma route. J*alIois me livret tout eucier à cette puiflànce eochao* tetefle qui triomphe de cootei les facukés de l'aoïe , lorrq-ue mon conr duâeur me dit à Toreille : jeuae homme » avaut de fe repofer^ il fàai jettet un coup d*œil fur le crajer qui refte à faire ; vois combien ll#e(l court ; un trop long repos engourdie les membres ; regarde les inforcun^i qui n'ont point ufé de tout leur cour rage. Alors, il me montra du doigt Îlufieurs cadavres noyés & flottans» ^entendis ce langage ; j'embraflTai r;^ pidement ma jeune Nayade; je lui promis une tendre reconnoiflfxnce ; }e fermai les yeox, 5c je continuai mon chemin à la nage : ce n'écoic point fans combats que ]e mVtois ar- raché à cette beauté féduifante; je regrettois ce plaifir vif, qui ne m*ayant enivré qu'un inftant, avoic laiflfé dans tous mes fens un goût dé- cevant pour fes attraits» L'efpoir de îepaffer fur ce lac pour y écanchcr J6 la folf cle mes defirs, étoic l'idée qui tne confoloit. £n me donnant la main pour aborder , mon guide me die : ah! mon fils, tu as échappé de bien jpeu aux filets de la mort^ : ces eaux redoutables brûlent )ufqu'à la fubftance fpiricuelle ; encore un inf- tant y & tu écois confumé.... Ah! lui r^pondis-je, pourquoi la volupté a- 1- elle des amorces fi douces. ÎM foibles mortels fuccomberoient en» core à de moins doux plaifirs. Il cft line volupté plus fublime pour rhom* me raifonnable 9 répondit le fagef c*cft de les foumettre à fa volonté ; mais avant d'avancer plus loin , mon fils y il faut achever ici de dompter tous ces defirs. Tu vas voir des hommes dont la vue t'anéantiroit i (i tu te préfentois devant eux dans Téiat où tu te trouves : c'eft déjà beaucoup d'être parvenu jufqu'ici ; car combien font demeurés dans les ténèbres de la forêt P combien ont péri près de cette fource méprifablef Que de gtaudj hommes , voulant iblle.menc 97 SsUement fe venger de cette horrible femme décharnée , fe font laiffi^ dé- Toret par Tes ferpeosp & le plus grand nombre, comme tu l'as vu, a péri dans ce lac enchanteur , encre les bras de ces trompeufes Nayades. il eft impoilible que tu . fois abiblumenc iàos taches , après avoir paffé par de fi rudes épreuves.. Prends cette tablette polie , & lis les mots écrits ài'entour. Je lus: Art de /c connoîtrt foi-mime- En eflfet » ie me vis de- dans tout tranfparent^i'apperçus mon c<£UT , il écoit cacheté de petites paf- fions vaines & ridicules; i'ôtai. cette pouiHere miférable qui le.défiguroit, mais elle étoit fort tenace. J'arrachai jufqu'au portrait de ma Nayade , mais non fans foupirer ; car il étoit fi )oli'« ment peint ! Tout cela étant fait , je me trouvai léger comme Toi feau qui. fend l'air; je tendois naturellement vers la voûte du ciel ; quel ravilTe- ment pour mon. cœur ! je d jÀenéiSktit l^éctaîrair; des caraâeret cfon feu pur Se écincelanc traçoiene . dans les airs cette légende : Séjour de la Veftu.' riudeurs autels écoient drefles encre ces lauriers odoriférans» Cbacim d'euK étoit érigé à l'honneuf de quelque vertu. Là, les bons Rois & les fidèles Miaiftres entouroient les autels de la force & de Téquité. Là | Louis douze & le vainqueur de la Ligue êc des Espagnols embrafloient d'Amboife , Sully , Turenne & CoU bert. Leur récompenfe étoic dans leurs cœars, dans la pleine connoîH £ince d'à VOIT faîc te bien; cette pen^^ fée qui annobliflToic leur être , fkifoît leur bonheur; Plus loin, les Magi& trars, làs Hommes de lettres , le^ Peintres dont le pinceau a été oon« iàcré à FhéroiTme, tous ceux enfin dont Je* génie s'eft tourné tant à la gloire qu'à l'utilité dû genre humain , ÎOO iouiflblent de Fellime des hommes & du doux fetitimenc de vivre hono- rablement dans leur mémoire. Envi» ronnés de l'air célefte qu'ils refpi- renc , ils ne connoifTenc que rami* tié f ce nœud facré qui lie les âmes •& augmente leur valeur & leur prix ; le plai(îr de fe v^oir réunis loin dés snéchans , loin des cœurs frivoles , leur infpiroit une joie douce & vive. Ils fe communiquoienc les créfors de la penfée , ils formoienc enfemble de grands projeis , & s'uniflbienc pour le bonheur de rbumanicé ; tous cra» vailloient enfemble à l'exécution de plans vaftes & fagemenc ordotlnés; plaifir ignoré de ces êtres peiàns , qui n'ayant jamais fenti le goût des grandes chofes, traînent obscuré- ment un corps qui lesopprinse , ies maitrife , & auquel ils n'onc iaznsÂs fù commander. Là f ne fe rencontrent point ces pmes baiTement avides » qui n'ont jamais tourné leurs regards que iur fw-mèmes^ m»i$ plutôt ces copivf tôt fiéroïques qu'une vertu fans taebe èS fans fard a confacrés à rimmorcalicé & au refpeâ de leurs neveux. Les dignes époufes, les fils dociles & ref* peâueux , les citoyens morrs pour la patrie I les amis vertueux, y vivent eo/emble. Là , fe voie Decius , il porte encore les cicatrices des flè- ches dont il a été percé. Là , Codrus , qui fauva Athènes , & qui eut la gloire d'être le dernier de fes Rois« Là y Regulus» viâime de la foi. La^ C^tte Romaine gcnéreufe qui ordon* na à la Nature d'interrompre Tes loix pour Ton plus heureux triomphe. Là« ce Héros moderne , qui porta la chaî- ne des forçats à la place d'un pere^ qui Tannoblit , qui la rendit refpeo* table , & la fit prefque envier. Tous fe voyent avec complaifance , & for- ment un corps qui réconcilie les re- gards du ciel avec la terre. Dans ce féjour divin , j'étois comme ravi en extafe. O ! que ne m'eftil permis de rapporter tout ce que mon coeur a éprouvé ! mais les âmes E3 nées paar mVntendre iront au-delà de mes foibles ^fcours , êo, celles qui ne m'encendroienc pas , regarde* roienc mes paroles comme vaines ^ infenfées ou chimériques. J'aurois voulu demeurer étemelle* inenc près de ces modèles vivans de fage({e & maniré , & la Probité doivent rece^ voir & fon hommage 5i fes fer mens ; Î04 alors 9 qu'il entre» qu'il cherche ici fon modèle , qu'il contemple Se Ces penfées & fes aâions, pour agir con- formément à fes vertus , quil s'atta- che à fuivre cet exemple héroïque & vivant. Voilà , jeune homme , ce qu'il te relie à faire; c'eft alors que tu pourras cueillir un rameau de cet arbre de Timmortalité qui s'cleve dans la nue ; tu le piameras avec ref- peâ à quelques pas du Cieo j & un jour fon ombrage fera les délices de tes dernières années. Vois le mien , qui fc'.nble déjà fleurir. O! mon Bis, il va porter les fruits que j'en ac* tends ; une douce joie m'ennivre , une force furnaturelle s'empare de mes fens ; je meurs , ou plutôt je commence à vivre pour toujours. 1^ En effet, fon œil tourné vers le ciel , s'éteignoit infenfiblement ; il (î« un léger foupir, & fon ame s'envola \ je m'élançai pour l'embraffer , & Tefr fort que je fis fut fi grand, que je m'éveillai. SONGE QUATRIEME. Les Lunettes. J'Avois vu un de ces fripons km* bulâos qui fe vantent de prédire l'avenir. Tandis qu'il mentoit impa- demment, & qu'il eserçoic for des âmes livrées à la curioiité & à la terreur , cet afcendant fiogulier que les plus vils des hommes (avent pren- dre (ut ia fbibleflè des autres , \e rae diïois y ce iburbe tSt un iropofîeur ; mais (î fa fcience n*étoit point vaine , oe feroit-il pas utile de pouvoir de- viner quelque cbofe des événemens futurs? La prudence n'eflelle déjà point une manière d'appercevoir ce qui peut arriver ? N'eftil pas des pieflentimens fecrets que plus d'at- tention pourroit perfeÂionner ? Que de fois rhorome pèche plus par er- xcur que par malice ! Pourquoi IV Tenir eft*tl un mur împénéeraMe ^ tandis que tous les tems paflTés vien- nent fous un feul & niême poinc^ accabler de attridef vainernenc notre imagination ? Le paflé n*e(l plus en notre pouvoir , mais nous pourrions jufqu'à un certain point modifier V^ venir, . Je m'endof mis dans ces idées ^ Se |e me tronvai dans une vafte biblio«* tbéqiie% Je voulus ouvrir quelques livtes » mais tous fe trouvèrent fcei- lés. Je n'en aprperçus qu'un qui étok ouvert fur luie table. J'y portai les yeux 9 8c je lus le conte Aiivànt, que jfai tranfcris au moment de mon ré« veil. Un )auf XuixoiQ , Dieu des Indes & de la Terre » du bauc de fon palais aërien, jetta les yeux, fur le genre humain ^ qui ne paroi&it à fe$ pieds que comme une fôurmilliere qui (q meut & bourdonne. 11 daigna l'é- couter , & fut furpris des plaintes^ continuelles qui frappèrent Ton orefi*- le« Tout ce qu'il av^ic &it n'étok •'a ]ioint bien (ak ; jamais il M fâBêfeft for fon trône qu'auflVtde mille voii in'iuriettfes , ne cenfut âfTenc fa iuftice^ ne bornâfient fa fageffe , A o%hU î&Bmt à fa touce-'piifi&nce. Le peck pea^le, tna^lgré fes ptaiCes tnenléties , n'étok pa^ celai qui profétùk te moins de Mafphémes. Matin ai (édh tteux dans fon ignorance , s^il feifoît beaucoup de prières , il exhalok encore plus de muroiures. Pour cenx c(m pTenoiene le nofn pompeux de Ph'tlofoptied , ils métoiênc à leurs rai- fonnenïens tes rartteries les pltfs am^« res, Se tie voydetft qa'imperfeâiofi dans les ouvragés les plus aomirables de la Nature* Toujoârs chagritfs S^ mécontenè , ils ne patoiflbient fenft- Mes quW platfir de cenftrr^r ; touc étoit affreux dès qrfils avoienc mal aux denrs, & lorfqW'il tonnoît, leur <>rgae!l éroît Meffé d'entendre une voix auffi maj^eftueufe gronder au- defliis de leurs cêres. Si Xuîxoto eâ^c daigné prendre leurs avis , ce ntonde Mioic été bien mieux arrangé ; mabi E6 j tous les raifôntleurs fots ou ofguell> leux y fanatiques ou impies ^ (em* - bloient réunir Feurs clameurs pour former une feule & même plainte. Pourquoi Tavenir eft-'il fermé à nos yeux ? voilà aflurément une cruauté gratuite. Si nous pouvions lire dans le tcms futur , nous éviterions les faufles démarches ^ fource de nos malheurs ; nous aurions plus de cou- lage dans Tadverfité, nous prévien- drions mille accidens où notre pro» pre prudence ne fert fouvent qu'à nous précipiter ; enfin , nous nous ar- rangerions d'après la néceflîté abro- lue des événemens : au- lieu , qu'cr- rans dans dc$ ténèbres épaiffesi la crainte empoifonne nos jours ; cet avenir nous devient redoutable ^ & nous ne vivons jamais dans le tn(y ment préfent. Qu'on apprenne à ces infenfés , dit Xuixoto dans Ton cour- roux paternel , que ce n'eft pas mol y mais eux feuls , qui veulent & qui fbjic leurs malheurs. Oradou , premief Miniilre de fes volontés ^ re^ut auâi: tôcVordre de publier fur Iç globe de la terre , que quiconque auroit à (ê plaindre de (on fort , eue à fe trou- ver au pied de la montagne de Va* -lepozi y & que Xuixoto en per/booe daigneroit leur répondre. La réfolution du Dieu des Indes étonna la race des hommes. Nos dé« clamateurs en demeurèrent interdits. Si Xuixoto alloit acquiefcer à tous ieurs vœux , ils n'auroieiK plus d'oc- cafioQ d'exhaler leurs fatyres & leurs bons mots; 8c quel bien pouvoit con^ penfer cette perte ! D'ailleurs , cha» cun étoic fore irréfolu pour lavoir au îufte ce qu'il demanderoit. Un cer- tain nombre s'accordoit à demander l'immortalité ; par ce don, chaque palHoQ fembloit devoir être fatisfat^ te. Le héros ne voyoit plus le ter- me de fa gloire ; l'avare efpéroit que piufieurs fiécles de parcimonie grof» iÎToienc Ton tréfor au gré de fon avidiré ; le voluptueux , à la renaif- ûnce de chaqne aurore , flattoit fon imagination de l'iniage variée d'un flaifir foguify il é(k vfai» mais (t jréquécnmeiic renouvelle» qu'il lui |)aroitroie Curable ; k favant pouvoie abandonner couce ion aAi« à ià vafte ambition , crenfet Tabyme des fcien» ce$, déchirer toiK les voiles de la Nature , tout voir » tout fonder , f occ .pénétrer, & n'envier plus le privi- lège de^ êtres inanimés , qui dans leur inertie, bravoienc la révolilcion des (îéclesy tandis que l'être penlanc defcendoic dans la tombe, loriqu^à peine, il ébaucfaoic fon ouvrage. Chacun préfenta donc une requête différente ; mais la fin de chacune tendoit à fupplîer Xuixoto de (bu- lever le bandeau qui leur cachok l'avenir. Le motif de leur demande ' étoit que par ce moyen ils fauroienc prévoir leurs maux, & fe prémunir d'avance contre la douleur. Ils atten- doienc le j[oup marqué avec impa* tience pour élever un cri unanime ; ce tour arriva , & les environs du mont Valepuzi fe trouvèrent peuplés d'une multitude innombrable; c'étoic raiTemblée des mécontens. fff 71 eft îmitiic de dire que le toi ÈtTte précéda U defceecede Xuixoco qu'il étok aflis 6ir un nuage tfcino l^ttty que des éclairs parcoieoc d fes yeux » que la foudre échtoit et tre {es mains » & que dès qu'il remu le fourctlj la terre & fes habtcan eremUereoc. Zeloo même ^ ce Phi k>fophe il audacieux , la plun^ à l main, fuc £sti(î de terreur. Ledeffei du bon Xttixodo n'étoic pas d'excei miner la race des hommes , mais d l«ar moncrer feulement ce qu'il étoi iwfqu'il s'urmoic dans fon colère. Tour à coup une lumière rayon aante & pure fucc^da aux éclats ei âammés de la Ibodre; le connen enchaîné ne frappa plus le^ mont gnes que d'un bruit expisant. Zek en reprenant couvage reprk fon a date; il avoit vu Xuixoco fouriri & I fier de fa borné , il eut la cénr rite de lui adreâfer ces paroles ; O toi ^ qui es Dieu , & comi tel; aflis à ton aife au^deâus de t< tes les nûferes qui toormeateat Tri . ^ puvrè genre humain ; eoî , qui e9 impaffible & heureux , candis qvfiï foufTre , fi tu veux que nous fuppor* fions notre miférable exiftence , pré- fenc fatal de ta main toute-^puifTanre ^ i6ces-nous le bandeau qui ne ferc qu'à nous égarer : nos de(irs ne nous fédui- lènc que pour mieux nous tromper; fai^-nous voir ce qui eft^ & ce que nous pouvons raifonnablement atten- dre. Ce n'eft pas feulement Vintérêc de notre bonheur qui t'adrefle cette prière^ c'eft encore Tamôur de ta plus grande gloire. Av^gles que nous (ommes, courbés fous le poids de nos maux ,_ n'ayant pour foutien qu'une efpc^rance illufoire, pouvons-^ oous t'adorer dignement , lorfque lourd à nos cris , tu te tais , & qu'en- veloppé dans ta grandeur ^ tu te voi* les à des regards qui ne cherchene que toi. Pouvons nous t'offenfer , êtref fenfibles & gémilTans , en defirant de connoître ce que nous réfervenc en- fin & ta bonté, & ta fageife, & ta puiflance ! Alors , notre ail charmé embraffèra , fans doute , le plan de tes œuvres admirables , . & nous aCf* tendrons avec une patience refpec* tueufei Tauroredu beau jour. qui dé- terminera notre félicité. Si nous de- vons fouffrir avant ce cems , nous fbu£> frirons avec plus de fermeté : oui^ ie fage peut être ébranlé par un ac« cidenc imprévu qui ie terraiïe au même inftanc qu^il ell frappé; mais la douleur contre laquelle il a ta s'armer de longue main , ne lui porte plus que de foibles atteintes. O puiC» iànt Xuixoto! ta juftice dévoilée de« viendra Tobjet de nos hommages éternels ; tu feras plus grand à nos yeux, lorfque nous te çonooîtrons mieux. Si cette prière allume ton courroux , frappe un malheureux ver de terre, auquel tu as donné un cœur qui foupire après je bonheur ; &. que te demandons-nous , (i ce n'eft de connoicre ton intelligence , ton amour & ta clémence? Zeloo fe tût j & Xuixoto répondit avec le foarire tendre 6c &er de ^ 1T$ tompaffiûn. Fôibtes mortels , vous le voulez y ]t remplirai votre dettiàtide. VocM connoîcriîz ravenir ; iiiàis & tîani les regrets q«i troubleront \t iù^itïent de votre félicité ptélente, vous gétnifftz , gémiflcz fur vous- mêmes , & fouveneZ'Vous que ce ne fut pas Xmxôco , fnais votre curio- fité imprudente , qui prépara votre infortune ! Alors , il donna fcs ordres à Ora* dou , fon Miniflré , qui fe mit à dif* tribuer les lunettes qu'il avoit en fei ihaiosl Ces lunettes avoient une double vertu ; elles rrtonftroient d*uo tèié la fomme du boùheur dont on jpouvoit jouir , & de l'autre on àp- percevoir toute l'étendùé dti malheur qu^on avôit à craindre. Le Dieu après avoir fait ces dons aux rfao^ tels , remonta lentement dans les cieuxy ad milieu des écWtts, 8c dan$ le même appareil qtfil e'tôît venu; mille cris de joie & d'appladdifle- inens raccompagnèrent jbfques fous les atci himinèux de fon palais j les ^'5 Bommes firent éclater ces tra0 fpons d'allégreOe, parce qu'il avoir eaaih cé*\eur folie. Si le grand XciJju>to eut aie defcendre fiur eux un bieo» £stic réel , mais caché , tooc le peu- ple auroic murmuré , tant notre igno* jpaoce s'étend jufqu^s fur la conooiC- iànce de nos vrais intérêts. Sil. âut en croire Thiftoire » bien prit à Oradou d'être de fubfiance çéieile y car la foule qui le preflbic pour avoir de fes lunettes écoit fi grande, qu'infailliblement un corps inortel y auroit fuccombé. Quand j'an^ trois cent langues , il me feroit im^ poilible de raconter les effets divers que produiiirent ces merveilleufes lu* nettes ; je ne puis que choifir ici quelques exemples. . Aline , jeune beauté de quinze aos^ fut la première qui fatisfit fon defir curieux ; elle s'^toit collée au fein du Miniflre , 6c avoit arraché la lunette de fa main avec une efpece de vio» Jence, Vive, folâtre, éblouiflante , ennemie de tout ce qu'on nomiM /^ eh^gtin , réflexion , ennui , elle évl* toit jufqu'à l'ombre du férieux ; elle ii*appliqua point à Ton bel œil| le ▼erre qui prophétifoît l'infortune ; mais plutôt le verre fortuné qui pré- fentoit le bonheur. La jeune AlÎDe étoit ambitieufe; elle étoic paitrie d'un certain amour • propre qu'on pouvoic appeller orgueil ; Se , par- deflus tout I elle étoit amoureufe âa fuprême degré. Comme fon cœur palpita de joie lorfqu'elle apperçue une félicité telle qu'elle la dcHroit ! elle fe voit belle , mais belle jufques à exciter la jaloutie des Déeifes. Le Roi des Dieux eft prêt à fubir une nouvelle métamorphofe pour furpren* dre fon cœur ; les yeux de Tes rivales s'enflamment de courroux à l'afpeâ de (es charmes ; lés princes de la terre , les héros du fiécle , tombent à fes genoux; Aline triomphante, Aline fiere de fa beauté, dans Ti- vreffe de, fa gloire, fe crut Tame aÉfez. forte pour foutenir le verre op- f ofé. Elle n'y jetta qu'un coup d'œili Jï7 & pouffa un cri perçant. Hélas j et régne fi flatteur ne dévoie dure? ^u'un luftre; cette maladie terrible qv&\ détruit la beauté , devoir un jour creûTer ces joues polies comme Ti* voire, groflîr ce nez fin Se voJup» tueux , & fiUonner ce front fi plein de grâces. Elle perd le bien le plut, précieux qu'elle poflféde , le tréfor^ qui fâifoit fon unique mérite : elle voie une longue fuite d'années traî- nées dans la trifteflfe & le dégoût; elle n'a plus d'amans , & fes rivales qu'elle eflaçoit jadis » infultent aujour* d'hui à fà laideur. Le luflre fortuné s'écoule trop rapidement ; Aline a mille adorateurs , mais elle eft dé* vorée d'un chagrin fecret. Elle fou- pire à chaque nouvel hommage do les amans , lorsqu'elle fe repréfente que bientôt elle va devenir lobjec de leurs mépris. Si elle confulte fon miroir , ce n'eft plus cet œil brillant , ce teint fleuri , cette bouche encban* tereffh qu'elle apperçoît , elle ne voit gue les trifl^s filions à jamais gravés Tï8 par une main défolante. Ah! fi elle eeoic demeurée dans ion heureufe ignorance , elle aaroîc eu du moins cinq années ^ filées par la main dei plaiiirs , par cette main douce ^uoi^ que trompeufe* On honoroic Mifnar camme le plus vaiUanCr capitaine de Tlnde. Au milieu de la foule empreflee, Vad* miracion & le refpeâ que fon nom inrpiroic, lui permirent une libre ap^ proche. Il fut un des premiers qui obtint ce dangereux préfenc , i\ le reçut avec un air moqueur & ui? fourire ironique , comme indiflTérenv & fupérieur à fa propre deilinée, Mifnar découvrit d'abord ce qoî fiactioic fon orgueil ambitieux. Il vit la viâoire brillante atteler des rois à fon char , & lui , couché fur des lauriers , recevoir les honneurs do triomphe au milieu des acclamations publiques. Des peuples enriei^s r«po- foient à l'ombre d > préfeme aux i^c,€|$ fut^refr le mitoit fidèle ^ où (9 réâeiçhie. 1^ véricié , yin^exibla vérité : elle 2^qk été déguifée pen- dant & vh par la foule d« fes adula- leurs; aajoiii^d'buî vivapçe & formi-i dable , elle foie pâlir les rayons menr ibog^rs d'uoet gloire fondée fur I9 sQjf^ui'tre , les laraies & ; les, cris dç riococfinra fpibleffe. Ces colpqnes.» CCS .obélif<^ues fonc réduits en pou- lia dre ; ces noms- de héros , de con- quérant , de vainqueur , font changés en ceux de furieux , d*ambitieux^ d'homme injufle : on ne fe fouvienc de lui que comnne de ces cremble» mens de terre qu'on ne fe rappelle qu'avec effroi , ou plutôt avec le fe* cret plaiGr de n'en avoir pas éprou* vé les redoutables effets. Mifnar voit tous les vils reflforts de fon cœur à jamais dévoilés. Tout meurt, excepte fon opprobre, & celui du Poëce aÛTez malheureux pour avoir chanté l'en- nemi du genre humain. Mifnar eft demeuré .immobile d'étonnement ; on le vit le refte de fa vie infenfible aux palmes qui ombrageoient fon front. Parmi les fêtes brillantes infli- tuées à fon honneur , au milieu des plus doux concerts , il entend la vois de la poftérité qui lui dit à ToretUe: >> Homme de fang , on t'encenfoit ^ jadis en public, on te maudit ai^ y> jourd'hui ; tu n'as fait que des mal- » heureux , tu es le fléau de ruolvers, a» tu lit % feias à jamais odieux au g^nie de » rhumanicé. La \wM Elmire parut , de fur Ton front fe petgnoic la plus vive douleur; toute la ville s'intéreiToic à Ton fort. Qu'elle écoit malheureufe l gémii^ iànteibus la tyrannie d'un vieil époux, avare & jaloux , fon père avoir ferré 4c force ces nœuds cruels. Elle ai- znoir en fecrec le jeune Damon ; elle en étoit aimée. Son fein , qu*ani-^ inoienc la îeuneflfe , Tamour , la vom lupté y pouvoic-il refpirer^ l'air , fans ejihaler desfoupirs douloureux! éloin ^née de ceiui pour qui feul elle fup% porte le jour < fa vie s'écouloic dans W chagrin Sç dans les larmes ; elle éten-. dit une main tremblante pour fai^l^ la lunette prophétique , & elle de- ineura un moment indécife. Elle craignoic d'y lire xxn malheur éter-» oel ; mais Éimire étoit femme , 8c la curiofiré l'emporte. Au premier coup d'œii (on cœur nage dans la joie ; elle s'écria : que Xuixoto efl iifi Dieu boa ! en. effet , elle appet^ X Partie^ F. T12 ^ce^ok le convoi fboebre de ùm tîtA époux f qui s'achemine ientertf^û^ ver» le Tempte; fen cercueit eft coiverc d'un drap mortuaire rîcbemenc orné , & trots J0ur» après 9 non loin de cette mêtne combe où fi>n tyran e(i fçellé d'un marbire c^ rren ne pocrrra rompre , elle reçoit les (brmens de fon amant à un autel éâiicelant' des flambeaux d^un plus doux hymétiée. Son imagination goûte d^v^nce les iruics dé cette union ; fes defirs , fi long'tems contraints, briUent avec une nouvelle vivacité ^ ils vont fe per- dre dans le fetn de cet amant cfiéri d4>nc elle attend tout forn bonheur» £Ue sWblie quelquefois dans ce rêve enchanteur y Se , pleine de fett^ elle embraffe le fepcuagénaire avec le mêitié trànifort qu'elte embraflèroit le jeune Damon. Le podagre s'éton^ 4Qe de fes vives carefTes; îi obferve quefes beaux yeux ne ibnt plus inon* dés de larmes y mais, briltatis àtwe douce langueur ; il redoute une per- fidie cachée^ ^ pumit Ta ten4i^l& en "«/ I2J Ivdotiblafit EL vigftUncë tikâexible. L# vieux débauché lutu encore qoelquet mois cooire Ik gooece , un i^ibme & une CDOZ violente ; enfin il meure. £lrom eft libre ; mattreffe de groi hrensy & tnftîtreflè de (on fon, elle ^oofe le beam Dam^n ; mais à te* vers! Tîïisage de fon acmanc , pen- dact fbn efdava^ ^ avoic été fi pui>& . famé far fon efpric qu'elle ne pou- vofr manquer de f^aflfoiblir. La réa» Hré do bonheur tû bien audeflbui de fon attente! nos paSioni nfont d'autre nourriture qutt les diffictiltés* Elmire Se Dexoon font unis. Que niaoqaoir-il à leuï fetické! H y man^ quok la douce furprife, feul charrM de Tamour. Leur imaghiation ardeote avoic dépenfé tous les biens donc ils dévoient jouir ^ ic leurs feux s'étoient rallenris en roirdiant le bm defiiéw Elmire regp^xe le tems ofi elle ft faifoîc ufie fi douce peinture d'une vo- lupté qui n'eft plus pour elle qu'une iUuûon } elle gémit comme Ffyché Fa '^«^^. T^4 d'avoir détruit le charmé de l'amourr en voulant le connoître. Adiram avoit reçu de la nature ^ vncaraâere heureux, un cœur droit, une ame fenfible. Il écoit jeune ; il ne put refifter à l'exemple général. La curioGté eft une folie qui fe com- munique; rfaonneur étoit fon idole, rhonneur le rendoic capable de toute noble encrèprife ; mais , faut-il Ta- , vouer , impétueux dans fes pallions, elles l'emportoienc trop loin ; il écpic dans ceE âge où le cœur de Thomme , tel qu'une balance en équilibre, eft également ouvert aux imprefïïons du vice & de la vertu. Un grain peut .le faire pencher du côté fatal. Adi-^ ram auroit fuivi le paiiible chemin de la vertu, fi, content du fort que les Dieux lui avoient fait , il n'eut p3Li voulu icfdifcrettement pénétrer l'avenir. Malheuréufement , un des verres de la lunette apprit à ce jeu- ne homme qu'il devoit jouer dans la patrie un rôle coiifidérable. Qtiel «œur, doué de paffions fortes, ft^eft point ambitieux? & que pouvoicde* (îrer de plus , un cœur livré à la foif des grandeurs P Adiram apperçoicla place de premier Miniflre qui l'ac* tend, c'écoic peu ; le coeur de ùl maîcreflTe , ce cœur rébelle & fuper* be, deviendra fa conquête. Occupé de cette fcëne raviflfante qu'il par- couroit lentement & avec délices, ce fut en vain qu'il appliqua l'autre verre à fon œil. Son imagination enflam^ mée Vabufoît , en ne lui repréfentanc que ce qu'il venoit d'admirer avec taor de complaifance. Dans fa pré- fotiiption il ne découvrit pas ce que fa légèreté , ce que l'abus de (es ta* lens lui préparoient de funefte. Pion* gé dans fon illufion , il retoùrnoic au verre fortuné, & prenoît Terreur de Ces defirs pour le témoignage d'un bonheur /ans mélange. Orgueilleux de -fes deftins , fa conduite devine fîere, hautaine, infolente; il fit fen*. tir à ceux qui eurent le malheur de l'aborder , l^ fupériorité de fes talens , F3 ji6 8c le mépris qu'il fai^ît des autrei hommes. Il s'abandomia à tous iè» de&rsy parce qu'il f&voic que ie &c* ces ne pouvoir manquer de les cou- ronner. L'orgueilleitie Ifmeue eft «a- chaîoée fous le }OUg de l'hymeu; mais il femble rhoiK)Ter en daigiubnc Tadmetcce à fa ooucbe. Ses careSes font , pour^ioC.'dke , ded grâces qu'il accorde ; elle voulut fake parler h fief té y elle rencontre un orgueil pius terrible qui Tecrafe & la réduit au filence. Adiram fe & autant dfeime- fuis qu'il ceocontra d^hommes ; il crut les faumilièr «a les abaiflactt , m^s il nf recueillit ^ue la haine ; & rindigna^ion unîvecfejle paya foa dédain. L'arrêt du Dieu s'accomplit par degrés. Adiram monta >uique( m terme où on ne peut plus monter. Il crut triompher de la foule de ks ennemis, parce qu'il écaîc fi élevé , que leurs clameurs n^ perçoient plus jurques à lui. Adifani avoir tout ée flamboyame c«r- raflbic les m^nJlpes de fuâivers^ teU que le Fanacîfme^ l'Errear de TlntolÀ f ance. A fa voi«^ , les aijcs miles ea* richiiToieçc la terre : Vkoayme s'sm» Bobliflbit devam fes regaiK^ ; un plan échappé 6t fa main »a$ait le bon- heur des Na,tioas. Il verfis^ic une la- nviere durable qui éclairott le n^on* de y êc la Fraude/ la Calomnie ^ te Violence cbeccboieiK en vain des té- nèbres pour y enfeveUr leui? honte* $es traies perçons ntontpoieoc à la Eoftéricé les noms dévoués à Toppro- re , & immortalifoienç les vertus. Notre Ftiilofûphe ne manqua; pas de croire que c^écQÎt fto propre Génie qui s'olTrqic à fa vâe. iï confuUa paf air le verre oppofé. Quet chan^ nient ! ce n'eft pl^is cet être brfUaDC Si lumineux, c'eft une furie environ* née de feux 8t de torrens de famée; elle s'élance ^r bonds inégaux, une torche à la main ^ un poigiiard de VvÊtte. Elle embràfo «Laos fim audact Vi^Sig}^ & téméraire , & les autels oà f cm revête les Dieux ^ âc les ttô» n^s oh «fafl^ent les Rois. Elle ébraa* \s3t_ les foodemeas. des Empires , 8c plane fur les débris des opinions ho* matsesi. Taôcos coediûiànr les Alcx^tif cire, les Céiar , les Taateclaa ^ elle ordQQae le meufcce df plnBeurs mili» lions d'hommes qui s'égorgent avec art; mMjQt y elle inftruit les defpotes dans Vat D. profond d'aflèrvir les hi|- ' niaifks ; e)br Leur çiet b nom à'hxk' l^anHé dan^ la bouche ,. & la cruauté dans Je ceeur. Plus iogéniaufe dans f4 bàvk^rie, elle infpireles Spinoâi, }eur di<^e lejirs. i^ôémes monSmeuic è^ déSi%tmii$ f attaque les dogmes âc Vueiy«rs ^ ri^verfe ces appuis facrés 4u gM^ie bomain ^ ébi^aale Iferpoic & k i^^r^laeion des malheureux , plonge re(])J^t'dft8«.uB douce dSteus^j pu dAf^ un égarement fiupicte i brîfe l'effigie dr la morale couchauDe, ik 4e 1a vertu , Infuhe à fa candeur Ac 4 Ô ff)A€^ ^ Ae fouffie gue les feu F6. I impurs ie ta débauche , & le pôffi>è concagieux. de l'athéifme. Tel parus aux yeux de ZeloD ce Génie (r diffë^ {^eDC de kri même , lorfqu'il abu(e de Son autorité puiOante. Je ne fais fî le Fhilofophe ( ou plutôt celui qui ea ufurpoit le nom) s'y^ reconnut ; mais il brifa la lunette véridique en fe vati« tant toujours de chercher par- tout la vérités L'aveugle Myope^, malgré le petîe partage d'entendement que lui avoie prêté la Nature , poffédoit aflfez de folie pour vouloir favoir ce qu'elle avoit a craindre ou à efpérer de l'a- venir. Elle prit la lunette avec la plus grande vivacité , de ne vit rien. Toute en colère, elle la retourna & n'en vit pas davantage. Furieufe » elle combla Oradou de reproches & d'in^ jures, prétendant qu'on la trottipoîr, que les dons de Xuixoto étoient tout auffi-bien faits pour elle que pour un autre, & qu'elle devoii avoir, élle^ une deflinée marquée dans les dé^* creis du Qel | uae deilinée en&i (outr ^ te partkaliere. La pauvre femme né eomprenoir pas que la faute D'étoit que dans fon œih O la folle ! s*é« ctloietic ceux qui rencouroient , & ils ooblserenc qu'ils n'avoienc gueres de meilleurs yeux. Myope continua de végéter avec fa vâe courte, & tout en végétant de fe plaindre de Xttlxoco Se d'Oradou. Elle garda tou- jours au fond du cœur une profonde tiiime pour elle-même, & préféra, ieomme de raifon , fon œil qu'elle ctoyoit excellent, à l'œH perçant des »gles. Un /eune homme vertueux , pleîit de /èniibiiité , encore entre les mains de la Nature , voulut auffi connokre Pavenir. Son ame pure s'élançoit vers tous les ol^ets pour faîfir la vérité, la confiance, le bonheur. Il ne voyoït dans l'univers que des cœurs gêné* reux. Il le peuploit d'amts finceres> d'hommes compatfflfàns ; il ne con^ tioiflfbit que de nom , la calomnie ^ le meafonge , la diflimulation^ la J^jéchaocete } il prodiguoic far te&^ ftp^ilflanee qVll n'avoic p^s èxchifîve? ^lenc. Cet ami (i Bdele fe trouve empoifonné de fa vapeur infernale. Une inimitié fecrecte fe fait pur dans fon cœur. La contrainte rend le poi- fon plus aâif ; il fouric lorfqu'il brûle de rage ; il careffe lorfqu'il médite une vengeance. £nBn , fa fureur com- pofée de mille pafTions comprimées , éclate tout à coup; fon bras levé le (et fur le même fettr qu'il a tant de fois preflfé fur fon cœur. Il voit celle qu'il adoroic confommer fa perfidie avec ce même ami , 5c rougir ; non? d'être découverte , mais de n'avoir pu l'abufer plus long-tems. La lunette tomba des mains de ce tnalheureux jeune homme. Il voit le bonheur préci'pité de fon trône bril-* lant, dépouillé des rayons dont fa cré« ' dulitéTembelliiToit. Cette anfitié donc il fe formoit une image vivante , aâive & courageufe, n'ell plus qu'une ilatue froide , immobile , inanimée p: ou plutôt une furie armée de fesi ;^ropres bienfaits. Cet amout ^v^ioc ^137 tétoît la baflè foif de l'or. Il fuie, H va enfevelir dans les défères le regret d'avoir été horriblecnenc crocnpé; il tomba dans une (ombre mifanchro- pie; & le refle de fa vie, il paya de fes larmes fon imprudence curioficé. Le pauvre Irus, malheureux cal« de-)atte, traîna les reftes de Ton corps mutilé vers Oradou. Le miférable avoir à peine deux pieds & demi de haut. Il fut obligé d'attendre qu'O* radou eut fatisfait la foule avide des curieux 'f il fe lamentoic dans fon im- patience; il élevoit une voix caffiée & fuppliante ; mais déBguré » couvert de plaies y le dernier des hommes le îepouflbit avec brutalité. Irus ne fut pas même aflfez heureux pour per- dre la vie dans la foule ; il eut les mains toutes meurtries , plu(ieurs de (es piaies fe rouvrirent & Tinonde- renr de /âng. Ses jours n'a voient été qu'une longue chaîne de calamités. Èh! qui pouvoit lui faire fupportec le /àrdeau de l'exiftence , fi ce n'étoit i'cfpérance ^ compagne fideile dest SnfortvnéB ? EII0 deaook ies. Éatcei k &% organes aSbiUis; elle adauèif^ foi( fea regaird foùffcaoe* Xie «tféra* Ue If us n& /endort jamak, qn'aot fi^tot un i&>Dge agfiéabîe & traxnpeur oe vitauie lui promettre mi: adoucit femem à ièa maux. L'aurore luic , If^is quitte fefv gtabat^ il efipecs ; mftis Ifi îooc fuivam ageraw le poids de foo jnfi>mkne. Ims toiipîire , & ré- £gDé » il lere \es tnaios au Ciel , & di( : Dietis pwSans., ah !.. . c'efi de* mato que vous jettecez un 4xi\ de pi peudre le cours de Tes maux ! Son fore sA i^^tre (ans çtSk ti^alheureux , & )kt%u'au dernier fou^îr. Il perd eoute efpérance ; Tefpérance, cecélfxtr pré-i Mm I qui y «Qiélé dans le caiice dit 140 pialheûr» nous donne ta £ofcé de lé boire. Si l'infortuné combe épuifé de fouffrances fur la pierre dure , un len«* demain plus terrible vient porter dans fon cœur une amertume afTreu*^ fe ; il reconnoît alors ^ mais trop tard , la fageflfe de Xuixoto , qui lui ca* choit un avenir auffi redoutable ; il feroic tombé dans les bras de la xnort , en fe jouant jufques fur les bords de fa foflb avec les douces illu* fions de Tefpérance ; aujourd'hui rien n'afTpibltt le fenciment de fes peines; il ne voit pour confolateur que le jTpeâre du trépas ; mais il recule à YàfpeSt dé ce confolateur horrible» L'hiftoire rapporte qu'une tête cou* tonnée dans fon orgueil ou fon effroi , voulut audi confulter les arrêts du deftin. Malgré le déguifement du Monarque , on le reconnue à fon air xnilitaire âcàlafierté de fa démarche; Oradou qui, par fa qualité de demi- Dieu, n avoit pas plus de refped pour les Rois que pour les Irus , ne fe prollerna poiac en fa préfence; maif il lui préfenta avec une efpece d'em! prefTemenc une lunette , comtne une excellente leçon qu'il n'entend roicfû- lement pas de la bouche de Tes Poètes. Il voulut tout votr^ comme il fai< fou en toutes chofes^ Se /àvo/r ce que la poiiérité penferoit de Tes ex^* ploies , de fon Gouvernement , de (a politique , de fa firofe, & même de fes vers. Je penfe qu'il auroit appris le vrai jugement de la ponérité ; mats un couTtifan habile fur des prétextes adroits » lui tournoit toujours finement la lunette du côte favorable , de for- te que roue homme de génie qu'A étoit y il devint en ce moment fem« blable aux autres Kois. D'autres exemples feroient fuperflus. Les fouhaits infenfés eurent tous des fuites aufll funeftes , & les hommes furent affez idjudes pour imputer à Xuixoto leurs nouveaux malheurs. Falloit-il encore nbus tourmenter par la découverte de l'infortune qui nous menace , s'ccrierent-ils de concert ? Que Xuixoto nous préfentât les fcè- nés agriables de la felkide ^ à li bonne heure ; maU acmm offrir le mal qui eft fufpendtt Ak nos têcè», c'eft vouloir gracuitemctic r^naplir notre vie de troubles* Xuixoco n'eil qii'ao tyran , & s'il nous accorde quelque bien, il Tempoifonne. Xoiiporo iott* rie de pitié fur ion ti one p & fut ài* feolîble à ces nouveaux reproches ; il xlaigna même leur faire une grâce qu'ils ne méritoient pas ; & pour fr gnaler fa clémence , il reprit asx hommes le don faital de pouvoir lire dans ces malheureufes lucieuesi. leurs &tures deftirïées* pi»^ fli SONGE CINQUIEME. De la Royauté 6* de la Tyrannie. JE f^voîs q^e j'étoîs pauvre , errant, ftgkif , d^guifé fatts de vils habits^ mafiqoam d'afy l« , & prefque de fiain. Je crâvetfofs tantôt des villerfâperbes, tantôt des villages ruinés ; je ne ten» éiM point UM main luppliante, je coufetvois ma fierté ; le pain dotK je me ttùurriâbis^toie te fruit de mes tra« yaux , & je le ntatigeois avec le fecree emtetitefflent de femir que je me fu^ fifeis à flioi-méme. Dans cet état d%u« fmliatîon & non de bafl%fffe , |e médi*^ cois fur les devoirs des Souverains , fur les moyens de «ndre un peuple heu- reux. Au feiti du malheur ^ mes peu* fées étoient plus élevées , plus dïroites & plus pures. Soui&anc ^ f appereevoiâ mieux ce que ttiomme doit à l'hom- me; jecontemploisleriche, & jedî* fois en moi-mêlM : O malheureux q|ai »44 fais tant s le vêtement de l'éloquence même; elle ne fera plus qu'un vain foo> qu'un inutile appareil. . . . ProBtez des momens que les Dieux vous ac- cordent, &sfongez qu'ils ne revier»- 1 dront jamais : qu'eft-ce que ma foi- ' ble voix? Eh ! lorfque vous percer j les flots d'un peuple , attentif à lire fur votre vifage quelques indices de fès futures deftinées , confidérea les regards çivides qui fofidenc i^^ '49 Tons ae toute parc ; ils vous parlent haucemenc , ils vous parlent éloquetn* meoc ; ils vous crienc : ô coi , qui feras déponcaire de nocre bonheur , ^b 1 daigne écudier.ces devoirs pour les remplir un jour. En ce moment , rhomme vertueux vous fixe, & vou« droic faire pafler dans votre ame , le feu généreux qui Tanime. L'homme inflruit voudroic vous donner toutes fes connoiffances , le Philofophe fa modéracioQ & fes lumières , le fage fon héroïfme & la Gmplicité de k$ mœurs, & le malheureux die couc jhas; 6 ciel/ donne-lui mon cœur, & rheureufe facilité de répandre des larmes. Sentez de bonne heure le prix de ces regards : écoutez cette voix tonnante de la multitude ; elle doit augmenter dans tout cœur bien né ) l'amour de la gloire 5c la crainte de la honte. Le jeune Prince me ferra la main fans me répondre. Nous marchâmes quelque tems, & nous noy^ trouvâ- mes au haut d'une montagne élc^vée s G3 * K J5^ d'un côté elle étok bordée de précî- Jice< affreux , & fous nos pieds un euve mugifl&nt fe perdoîc avec utl bruit horrible dans un abjme ouvert , & retentiilànc au loin d'un fracas formidable. Cette montagne |K>rtoit (bn frdne dans la nue , de fort^ qu'en la conG* dérant d'en bas> on n'y diftingdoit qu'un fommet ; mais du même pied s'élevoit une dotible cime , dont Tune étoit féparée de l'autre par une fort grande ditlance. D'un côté étoit le ^iour de ta Royauté , de Pautre celui deiaTyraiinie. Chacune de cés cimes avoir un fentier par lequel on y mon^ toit ; l'an étoit fur , km péril ; les acclamations du peuple accompa- gnoient les pas de ceM que le ciel avoir choifis pour le franchir. L'autre itoic pénible f difficile ^ fanglam ; Taudace, l'imprudence , fource des plus affreux revers, étoient les feuls guides des ambitieux qui , pour leur malheur, ofoient y mettre un pied téméraire. Ces deux cimes paroiflfoicnc r^ti* nies à l'œil qui ne les. comemploît que de loin , mais de près^ la dtffé- lence fe ùiitok (entit, elles paroî/lbient extrêmement éloignées. Celle de la Royauté s'élevoic dans un air pur^ au-delTus des auées, àc$ orages & des tempêtes* L'autre ie tronvoit dans la région des tonnerres , pion* gée entièrement dans répaUTeur de nuages ténébreux que perçoienc les feux terribles de la foudre. Je dis au jeune Prince que ]e con*- doifois par la main : le ciel permet que vous apperceviez des différences cachées aux Monarques imprudens^ approchez , voyez cette femme d'une taille maieftuetife êc d'une figure charmante, affife fur ce trône écla- tant , vêtue d'une robe blanche , (on fceptre ed nà caducée de paix; de même que le foleii vivifie la terre , ainfi fes regards protègent les Em- pires f y portent la félicité & Ta* bondance ; elle eft adorée des gens de bien , elle leur infphe la confian- G /^ Î5A ce I & les méchans font les feuls qui la haïflent. A fa vue, le refpeîl fie rougir le )eune Frince. Il lui rendit fes hom> mages , tels qu'un fils bien né les doit à une mère vénérable ; elle étoit pleine de grâces & de maieflé; Ton air écoit toujours le même, & fon vifage ne changeolc jamais. La co- lère ou la vengeance n'en défigu- roieut point les traits facrés ; fon régne étoit celui du fiéclé d'or, & la clémence écoic fa vertu diflinâi- ve; elle étoit fatisfaité d'occuper un trône , parce que c'étoit la plus belle place dans l'univers , pour faire le .plus de bien pofiible. Elle aimoit les âmes libres, auffi avoitelie des héros pour fumets. L'honneur, le mérite, la vertu , tels étoient fes courtifaos. Près d'elle on voyoit la gloire & le repos; le fort lion repofoit à fes pieds; des monceaux d'or & d'ar- gent environnoient fon trône ; la Déefîe en fofmoit up fleuve d'ua coucs libre I* qui I également diflrl* Ï53 baé y arro(bit les parties les plus éloignées de Ton Royaume; mais elle ttoic moins couchée de ces métaux , que des beaux fruits de la terre , qu'elle cueilloir avec yne joie ou- verte ; elle les conHdéroic comme les feules &c véritables richefles ; & tandis* que les monumens pompeux des arcs s'offroiencen foule à fes re- gardsy elle les arrêtoit avec bien plus de complaifance fur un citoyen qui , appuyé fur le foc de la charrue , tra- çottdans les champs un fiUon fertile. Ses fujets formoient .un. rempart im- pénétrable, autour de fa perfonne^ & hs armées ei^nemies fuyoient de- vant eux comme les poibeaox fuyecc devant le Koi des airs. Le jeune Prince s'inclina une fé- conde fois devant ce trônje refpeâé , baifa cette main aqgufte qui tenoic les rênes de l'Empire ^ enchaînoic la difcorde,& la licence , capti voit les monllfes de l'univers^ pour ne laif- kr régner que les vertus bienfàifan- tes. Il me demanda eofuite ,. quelles ^ G5 »54 étoient les femmes dont la Royauté écoU entourée. Quelles font belles! Vécria-t-il, quelles ont de douceur .& de noblefle! Celle qui eft affife à droice, lui dis^fei dont le regard an- nonce tant de candeur & de ferme- té, c'eft la Juftîce. Voyez avec quel zèle At quelle promptitude elle fe- courc cet homme foible^ contre les attentats de cet homme robufte ! Toyez comme elle punit ce dernier fans courroux & (ans harne ! Confidé- rez à fes côtés cette femme fi galam- ment vêtue f à l'aîr ouvert , au fou- rire gracieux » c'efl la Faix , Patma- ble Paix: affife fur un failceau de lances brifées , elle préfence un mi- roir à la Fureur fanglante , qui frémit en contemplant fes propres traies. . Plus loin y cet homme donc les bras font fi nerveux , dont le corps paroic plein de force & de courage , qui ?orte deis cheveux blancs , s'appelle Tomos; tout ployé fous fon fceptre, grand & petit » riche 8c pauvre. In- exibie en fon équité ^ il traîne au ÏÇ5 iSipplIce ce facrape exaâeur ; il fifr tomber cette tête odieofe qui n'a- Voit roalé que des projets fangui^ naires ; il veille (ans cefle , êc fon œil ne peut fe fermer j qu'au/7î- rot la confofion & le trouble ne prennent la place de Tordre 8c de l'harmonie. Ceft le feul Miniftre de la Royauté^ elle ne peut en avoir de plus fidèle ; c'eft le feul confeil qu'elle écoute , elle ne peut en écouter de piuf fage : la Déeflfe éclairée s'appuye fur fon bras 9 & n^ofe rien entreprendre ot Tien réfoudre fans lui. Ses oreilles s'ouvrent à la plaiate; elle confidere moins réclat du rang , que Timpor- tance du dépôt , & fa couronne n'a de majefté , qu'autant qu'elle fert au bien de Tl^ac. Le îeune Prince contemploit tou- tes ces chojfès avec la plus grande attention. Je le laiilài (e remplir de ce fpeâacle utile , content de vofr qu'il imprimoi't avec platfir dans fa mémoUê f ce qui pourroit fervir un jour h la félicité d'un peuple entier» C6 Au fort de fes réflexions i je léfaîfîs précipitamment par le bras ; defcen- cendons, lui dis je; venez voir cette autre Dceffe , pour laquelle tan* d'hommes font fi follement paffioor nés, qu'ils commettent mille forfaits fans remords , qu'ils s'égorgent mifé- rablement les uns les autres, qu'ils fe dreffent toutes fortes de pièges, les fils contre leurs pères, les pères contre leurs enfans, les frères contre leurs frères. Infenfés ! ils défirent comme un bonheur , le plus grand des maux , ce pouvoir arbitraire, fourde de tous les égaremens & de tous les raalheurs. D'abord le chemin nous parut bien ouvert , mais à mefure qu'on avan- çoit„ les abyipes s^ouvroient à nos côtés ; nous nous engageâmes dans des routes tortueufès , qui tomes aboutiflToieot à d'affreux précipices; les ronces & les épiiies recardoienc notre marche. Bientôt les fentiersft montrèrent arrofçis de fang & cou- verts d'hommes égorgés; le jeune Prince voulut reculer ; jamais ; dic*il| je ne paflerai par ce chemin horrU ble ; mon cœur fe fouleve. • . • Lei Dieux le veulent , lui répondis^ie , vous ,n'yr paflerez que pour le con- templer ; & rétnotion terrible Se ùh lutairé qu'il vous caufera, vous fera à jamais utile. Nous parvînmes au ibmmct : nous trouvâmes la Tyrannie affife fur un trône quelle avoit a& feâé ridiculement d'exhauflTer. Elle compofoit fon vifage Se (on gefte, 6l fatfoit tous fes efforts pour relFem- \Aex à la Royauté. £lle s'imaginoic que fon. diadème étoît plus riche Se plus refpeâahle , parce qu'il étoic Tarchargé d*or , de diamans , & peine de mille couleurs ; elle croyoit fon trône fuperbement ' affermi fur des xoJonnes de marbre & d'ivoire ; mais £à bafe peu folide étoit mobile Se chancelante ; elle s'enorgueilliflbft puérilement de fa pourpre , de fon fceptre , de & couronne ; elle De •voyoit que cet appareil extérieur qui .eoâott fon cœur, comme un enfanc qui étant paré s'cftime plus gtand^ Toue feffcfitotc autour dVHe Tor- gueily roâemationy la tnoUefle, la prodigalité , le luxe infalenc. Elle tenoic un Êiifceau de Cceptres^ mais avec un efibrc qui lui doiuioic un air 'de gêne & de contraiote ridicule. JElie voultK nous fourire gracieufe- .ment|, mais fon fourtre forcé nous .'découvrit Ton ame ikuflTe , petite & 'Cruelle ; fbn gede n'avoir rien de noble ; tout en elle , malgré fes fk(- jueux babillemensy annonçoit quel- que cbofe de bas ; la terreur fe pe>- rgnoit dans fon regard eâaré. Elle ne mfoic rien^avec affurance» rien avec dignité ; elle aflfeâoic de traiter avec hautettt & mépris c^ux qui Tappro- choient , croyant que tel étoit te ca- rfa^ere de la gran<&ur; mais elle fe rendoic encore plus odieufe que re- doutable. Nous la considérâmes longtems; elle oe refioit pas un moment tran- quillement aflife. Tantôt elle fe le- voit le front pâle^ Se croyant déjà icfitir le fer vengeur pénétrer dao& Î59 fcn* feln ; tantôt fi?s yeux eti ncebieih d'une rage fecrette, & elle frémit^ foit elle-même des crimes qu'elle alloît ordonner. Elle accumuloic baf- fement i'or dans fon fein p puis te répandoic avec profafion for les plus viles créatures, complices Se minif- cres de fes atténues. Le lendemain , elle le précipîtoit en brigand, fur une croupe indigente , elle extor- qook la vile monnote qu'elle por- coic , Tenlevanc fans remords , quel- que mince que fut la fomme* Sa cour écoic celle des furies. Nous vîmes la Cruauté , la Violence , Fin* judice & le Fanatifme fecouanc fa torche ardente. Ce dernier la favo- rifoic pour augmenter fa propre au« torité , 6c cette autorité une fois éta- blie, il menaçoit la Tyrannie elle- même, & lut difputoft le fang des peuples. Toute cette troupe conjurée contre elle, en fe déchirant de leurs mains impies , cherchoit à lui faire fentir tous les maux dont elle dévoie être la viâime. La Crainte ^ Tlnquié^ i6o :îude y la Défiance, la Fureur , écar- coienc de (es yeux les pavots du fommeil ; elle facrifiok Tes efclaves à fon odieufe famille , les finances à fes fantaifies frivoles , l'Ëtat & (a Cour à fa feule perlonne. Une tête de Medufe couvroic la poitrine; cou- jours terrible Sa menaçante, elle /è jugeoit toujours en péril; la moln* dre aflfociation la faifoic trembler , & dès que deux citoyens fe par.loient à Toreille, elle les divifoir pour af- fermir la fervitude des hommes, La Flatterie toujôur» debout lui.parloic à Toreille , & lui infinuoit fon poi-^ fon aâif. Plus il éroit grofTier & fade , plus il paroiiToit fait pour plaire à cette vile Dcelfe. J'apperçus Machiavel caché derrière fon trône , qui lui di(oit tout bas en fe prome- nant , fais femblant de me combat^ tre 9 mais pour mieux me faire ré- gner. Elle frappoit des. coups redoublés fur une multitude enchaînée & gé- snilTan^e. Ces malheureusi; fe débat- tbîenc , étant toujours far le point de trancher leurs iliens avec le fer. Les malédiâions étoient l'encens qu*on lui offroit; elle lifoit dans les regards menaçans de ces coeurs défefpérés, le deftin qui , toc ou tard , Tatten* doit; elle en verfoit des larmes de rage » mais du moins cette foule ac- cablée jouiflbit de Teffroi qu'elle lui infpiroit. rrince , m'écriai je ! voyez laquelle des deux Déefles vous femble préfé- rable. Ah! la première, me répon- dit-il , me charme & m'enchante ! elle arrire avec complaifance le ro- gard des Dieux ; elle mérite les hom- mages des mortels; mais celle-ci me fait horreur , & fa fcelératefle m'in& pire une indignation fx forte, que (i votre bras veut féconder mes foibles mains , nous allons la précipiter du haut de ce rocher. .• . O noble tranf- port ! vertueux héroïfme ! Prince ! attendez encore , attendez , & la /|u/l/ce des Dieux ne tardera pas à k waoifefter. Hélas ! quelquefois U vertu nous égare. Notis voulons pré^ cipicer ce que le ciel conduit avec Une fage lenteur; il fkic defcendre la Tyrannie fur la terte pour en châ- tier les crimes. Mats il n'eft plus d'Hercule , à qui TEmpire de Uuni- vers foit confié. Ce demi- Dieu , pro* teâeur du genre humain , parcouroit le globe ^ non pour y exterminer des animaux cruels ( car la férocité des lions , des tigres , des panthères , des hyennesy n'eil rien auprès de Texé- crabte abus du pouvoir ) mais il voyageoit pour terraiTer les tyrans adis (ur les trônes , pour frapper ces monftres couronnés , qui corrompent les doux bienfaits de la Nature » qui font gémir des milliers d'hommes fous la voûte éclatanre du firmament , au milieu des tréfors de la terre , de parmi les miracles de la création. Par* tout où il trouva la Royauté, il rhotio» rai il la combla de louanges, il ap- prit aux hommes à la chéri r, comme îa proteârice aimable & fouveràine 4es États I comme la rémunératrice de la vertu , comme reflroi du crime. Cefl parla qo^Alcide mérita les ret peâs du monde entier ; c'eft par-là qu'il eft digne de fervir de modelé à celui que le ciel fkvovifèra. du bor>- heur de pouvoir Timirer. Après VEtrt fupréme, c^efl lui , Priûce, qui jouira de notre amour âc de notre recoih noîflance. En defcendam, je fis remarqqer afi jMne héros que la càte de la mon- tagne oîi ëtok affife la pâle Tyran- rite éioic efcarpée tout autoirr, Se creufée en deifoos , jufques fous le trône* Tour à coup nous entendîmes de grands cris , âc nous vîmes cette partie peu à peu s'ébranler , fe déta- cher, & fondre avec un bruîc hoi^ ri^le dans les abyttiifô qui l'environ* noieftCy comme un rocher énorme élevé far l'océan , tombe & perce eh un clin d'œii la vafle profondeur des mers. La Tyrannie & fes Biles abomiDabies furent écrafées dans cette châte Ajudaine de rapide. Mille ac-* clamacioDs d'allégreUè & de b^^ 164 élancées vcirs les cieux , annoncèrent la délivrance de la terre. Cette route nous avoît beaucoup fatigué. Le jeune Prince me dit : mon eftomac eft à jeun ; je voudrois pouvoir appaifer ma faim ; je ne vois que des rochers. Je lui montrai quel* ques cabanes lointaines : marchons, lui dis- je, de ce côté, nous pourrons y trouver ce que nous délirons. La DéeiTe m'avoic fait ma leçon, & j*a- vois mes vues. Je fis entrer le Prince dans la première cabane qui fe pré- fenta. Il apperçut trois enfans en bas âge & demi nuds , qui fuçoient à Tenvi Tun de l'autre une pomme fau- vage. Âvcz-vous du pain à nous don- ner , leur demandai • je ? Pour toute léponfe , ces enfans répandirent .des larmes. Eh quoi! pourfuivit le Prince étonne , interdit , effrayé , point de pain ici ! d'où vient cette affreufe mifere P Alors, une voix ianguillànte fortit du fond ténébreux de cette chaumière, & dit : nous favons bien labourer la terre , en faire fortir les '«5 moKTons; nous favons fapporter lei travaux les plus rudes qui renaiflTeûc avec chaque foieil ; nous encaflToDs le bled dans les greniers publicf , mais nous ne mangeons point de pain ; ou fi nous en mangeons , il ett noir^ mal pétri & formé de cecce partie groffiete qu'on deftine aux plus vils animaux. Eh quoi ! die le jeune Prince, ces campagnes font abondamment fertiles » le courroux du ciel n'eft point defcendu fur la terre , aucun orage deftruâeur n'a renverfé les épies nourriciers; je vois des pyra* znides de bled répandues dans ces vades plaines. . • • Des hommes , re- prit la voix gémiifance, plus cruels que rintempérie des faiibns, nous voyenc le front pâle^ les membres exténués y fans fonger à nos befoins , & ils nous parlent encore de leurs befoins imaginaires , enfans de leur dure & mitérable vanité. Plus nous fommes malheureux , plus nous fom* mes loin d'eux ; ils ne redoutent ni les accès de notre défeff oir ^ ni Tint i6é ^ ftnt du trépas qui Bnira nos peltiet ^ nos fervtces y bien furs de letrou^ ver dans la foule nombreufe des in*^ digens , beaiiccn^ plus d*£fi:laves qu'ils n'en fauroieot perdre ; c'efl à iurce de nous furidiarger de travaux ^ & de diminuer notre nourricure, que ces grands compofenc leur opulence donc ils }ouiflenc fans remords, & qu'ils confumenc dans une amere dé- riHon fur notre écat« O ciel! s'écria le jeune Frioce en pleurant , & il fe îetta dans mes bras : Où m'as- tu con- duit ; fans douce, c^eft parmi les mai- jfkiteurs qui expient les crimes faits contre la fociété ; non , ce ne peuc êcre ici que le féjour des criminels... Ils ne font point coupables, repris^ je ; mais l'indigence efl regardée do même œil que le crime. Que dis-je! c'cft pis encore. Voyez cette chaur miere, ouverte à tous les vents ^ ces vils meubles échappés à des maitis barbares, ce trille foyer où fumeiK quelques feuilles deflechées; appro* chez p & touchez de vos nxains ceae i6jr ^Ue humide & à demi pourrie. • . 2 Vous frifToonez. Là repofe une mère qui a nourri de (on lait ces mêmes enfans qui un jour verleronr tout leuc (ang pour vous. . . * Arrêre , je t'en- jtendsy s'écria le jeane Prince, en (é cachant le vifage des deux mains. O ciel ! accorde-moi les moyens de réparer d'aufC funeftes défa^res. Le ciel| repris-je , favorife les defleins généreux ; il a^rmit la vertu , il lut prête une force viâorieufe; Se le Monarque qui poflede les qualités d'un Souverain , eft prefque aÂuré de voir fes projets 4ieureufement cou^ xonnés. Un jour , vous ferez afiis fur Je trône ; on vous fatiguera les oreil- les de mille maximes politiques ; fou- i^enez-vous alors que vous avez eu faim y & que vous avez trouvé des malheureux hors d'état de vous pré- fcnter de quoi l'appaifer. Etabliflfez l'impôt fiir le luxe , & non fur les befoins de la vie ; qu'il frappe di- reâement* la tête dure du riche , & non la tête fenfible du pauvre } que i68 urotre objet foit de faire jouir chaque particulier de la richefle de l'État ,_ & que cette ricbefle ne foit point affife fur la mifere commune. Les moyens s'offrent en foule ; la gloire , la gran* deur, la puiflance d'un Koyaumei vains mots qui dirparoi(Iènc auprès des noms facrés de liberté » d'aifancei de bonheur des fujets. La duplicité cherchera des raifons fpécieufes pour plâtrer la vérité; elle eft ici; elle vous parle entre cette femme mou- rante Se ces' innocens qui languit fent. Que cette image aufli forte qu'elle eft vraie ne forte j^nais de votre mémoire; oppofez-là (anscelTe à ces détours fubtils & recherchés , qui ne font que l'invention du four* be & celle du méchant. Dites en voyant une table faftueufe ; ileftdes hommes qui fouflfrent la faim ; dites avant de repofer votre têcè fur le duvet , il eft des hommes qui n'ont que la terre pour lit , Ôc ces hom- mes m'ont rendu dépofitaire de leur bonheur. Alors , le traie a^if & p^ de ï^9 de ce fentiment généreux qui naîc dans les grands cœurs , embra&ra votre ame coûte entière ; alors la fé- Ikité des peuples coulera de votre bouche, avec vos paroles vivifiantes; & vous fentirez la joie de relever une famille obfcure qui vie à trois (fens lieues de vous, qui ne vous a jamais vu , & qui vous bénira com- me elle bénit TEtre foprêroe, fur les feuls témoignages de fa bienéifance. Songez que vous ferez un grand Roi, & que vous en aurez accompli tous les devoirs, lorsque votre œil aura percé fous le chaume oblcur, où vie rhomme laborieux , & que vous au- rez répandu autour de lui la fubfiftan- ce qui lui eft bien due , après avoir afiTu^é celle de vos fujets. Cent ba- tailles gagnées , tous les monumens pompeux des arts , toutes les produc- tions du génie, ne vaudront pas aux yeux de Dieu & des hommes, cette gloire facile , fimple & pure. Voilà la gloire véritable, & toute autre cft faufle , iUufoire & paffagere. X Fanic. H 170 Qaevous dirai «je de plus ? TÉcat eft une chaîne immenfe donc vous formez le premier anneau; (i vous ne voulez pas: qu'elle foie rompue , que vocre anneau foie uni forcement au dernier; alors nulle puiflfance ne pourra brifer cette étroite alliance; elle triompher^ même du tems , par-^ ce que les générations qui fuccéde- ronc à la génération préfente , héri- teront de fon amour , de fon refpeâ» & de fon dévouement , feuls gages de votre félicité : une égale & mu- tuelle confiance du Souverain & du peuple y telle eit la bafe éternelle des Ijnpires. J'achevois ces mots , iorfqu'une ombre perça la terre , & parut de« vanc nous. Cette ombre étoic voilée; mais elle portoit un diadème» £l!e dit à ce jeune héros d'un> ton majef- tueux , & qui n'avoit rien d*effrayant : O vous ! qui devez occuper le trône que )*ai occupé , écoutez les avis d'un Monarque & d'un perç. J'avois de la fermeté dans le caraâere , de la I\auteQr danï refpriti delà grande;)* dan» les projets ; j'étois nacureUemenc fier 9 paÀionoé pour la gloire , mais je n'en avois point des idées parfai-t temenc juftes ; )'aî pris pour la gloire ce qui n'en écoic que le ânrome; î*fti cravaiilé pour la fplendeur de Ja Nation; je Tai reconnu trop tard; î'ai moins fait pour fon bonheur. Que n'aije préféré l'utilité ? Cette ambi- tion qui féduit tous les Rois , m'a aveuglé. Il me manquoit ces princi* pes d« gouvernement , que l'orgueil x>'a jamais trouvés , & qui ne fe dé* couvrent qu'à ceux qui ne font point nés pour le trône. Que ne fuis-je ne , du moins , dans le (iécle éclairé où vous devez régner! je n'aurois eu qu'à appliquer au fyftême du gou** verncment , ces principes féconds , tous détaillés 9 tous préfentés avec cet ^lae que ne foupçonnoit pas même 1^ fiécle où je vivois : j'aurois moins erré fur le choix des moyens; j'aurois donné moins d'attention à ce qui re Oiéritoit qiie le méoris ; j'aurois (criti Hz nia force véritable. Je Tai Ignorée^ & cependant j'ai été long tems vain- qoeur & Redoutable. Les revers m'cnc appris ce que les hommes m'avoienc caché ; i*ai découvert dans l'adver- ficé, ce que foîxante années n'avoienc pu m'apprendre. J'ai vu qu'il folloic au trône une bafe raifonnée; il écoic trop tard ; la mort vint déchirer mon diadème. Si les Dieux renouoient le fil de mes jours , au lieu de porter le nom de grand , j'ambitionnerois celui de fage ; je connoîtrois qu'il efl un art de régner , que cette étude profonde ne fe puife point dzns les Cours y mais dans les penfées des hoqimes qui aiment le genre humain, & qui ont plaidé fa caufe à la face de Tunivers. Vous devez être un )our à la tête du plus heureux gou* vernement; vous aurez à conduire un peuple aâif & docile , quelquefois fier, jamais intraitable, brave, fidè- le, toujours bon, adorant Tes Rois, même avant de les connoître ; c'eft g VOS regards à féconder fes talens Ï7Î & fes vertus. Un coup d'œil du maf<* tre fufHra pour les enflammer d'an fêta nouveau ; vous n'aurez qu'à vou* loir, & vous remuerez cous les cœur$..« Le jeune Prince s'inclina pour em« brader cette ombre iacrée ; mais auflitôt elle rentra dans le fein de la terre. Tout ému , il fe rejetta dans mes bras en me fixant , comme pour recevoir quelque confolation du far* deau immenfe dépofé entre fes mains. Je lui dis ; Prince , Thiftoire fideU le de ce grand Roi bien méditée » efl un phare lumineux pour tous fes fuccelTeurs ; fes &utes font éloquen* tes. Que puis-je y ajouter ? vous êtes dans un champ où la raifon a fait croître de grandes vérités; les gran* des vérités une fois connues , exci» teot dans les cœurs bien nés , une certaine chaleur mêlée d'admiration & d'amour. En les adoptant , vous aurez préparé à la légiflation , la route la plus fûre & la plus facile. Qui eflce qui parle avec force au peuple ? Qui efl-ce qui le fait obéir ? H 3 Î74 . Qai lui rend la fouiaîf&on cliere Se lui en fait un devoir facré f Qui t'o- blige à faire fans eflR)rc les iàcrifices les plus rares ? c'^ la f aifon d'état ; e^ea elle qui parle & qui perfuade. Voiià le maître abfolu qui dok mon- ter fur la tribune ; chaque citoyen faifîra pour lors avec avidité ce qui fera relatif aux intérêts de la patrie , & les efprits feront éclairés , les cœurs puiiTamment remués , & les volontés entraînées par une puiflTance d'autant plus forte , qu'Ole n'aura rien d'ar- bitraire. Confultez cette volonté générale j faites fentîr moins votre pouvoir que celui dé la loi« Les'lumieres font gé- néralement répandues, de vous devez *vous en féliciter. Rien de fi facile à çouverncr bien ; qu'un peuple qui penfe ; il a des principes ^ il con- «loît fes devoirs , il éft une barrière jqu'il ne rompt jamak. Vous êtes maître d'exaker en 4ui le fentînient vif de rhonneuF , & de le porter aux plus grandes chofes ; pour cet xSçt^ que vos regards diftinguent tes taleni avant les richefles ^ les vertus avant la naiifance, le commerce & Tm- duftrîe avant les arcs frivoles. Ret peârez dans chaque citoyen le coq. rage , l'intégrité , & cet enrchoufiaf* me que lui infpnre l'amour du bien publie; qu^aucun état ne foit avili, aBn que chaque homme foit content. Vous n'aurez gueres de triftes préju- gés à combattre , vous êtes dans un tems où vous pourrez ofer (ans por« ter de préjudice à la vafte machine de l'État. Le fiécle a cette maturité , ou , pour cueillir , on n'a befoin que de porter la main au fruit. Votre rai- fon fe îoignant à la raifon publique , aura fur tout une force extraordinaire. Des tyrans ont adopté cette maxime : divife pour régner; adoptez celle* ci plus juAe & plus vraie ; annobliiïez vos fu« jets f pour qu'ils vous aiment davanta* ge, 8c que vous foyez plus fort par eux. Chéfiffez des hommes qui vous ont confié leurs deftinées ; regardez-les comme les témoins de vos vertus , les H4 iy6 organes de votre rcDommee, Vobs avez tous les biens ; le dernier , & le plus précieux de tous , vous reile à acquérir , c'efl la gloire ; mais cette gloire folide n'eft point dans les armes; elle eft dans TinefTable plaifir de faire le bien , de rétablir Tharmonie entre les êtres nés pour elle , & de jetter en- fuite un œil fatisfait fur l'ouvrage de vos bienfaits. Voyez les Rois conquérans appauvrit leurs États , & reconnoître trop tard leur folie ; la fupériorité des lumières l'emporte fur l'excès du courage , & la probité eft le lien le plus folide & le plus honorable pour enchaîner la fortune. *Âb! fi jamais la liberté d*ofer dire la vérité reparoît fur la terre, quelles exprefCons inventera un efprit vrai & hardi pour*peindre afTez vivement le tableau des hor- reurs que la guerre confacre! La po- litique profcrit ce Beau autant que l'humanité & que la raifon. Les Rois dans la guerre perdent de leur force réelle; leurs paillons ne font plus à "^7 . . «ux , elles palTenc entre les maios de leurs Minières. Ils font naître , ils entretiennenc ces débats cruels, tou« jours utiles à leurs intérêts perlbn- nelsy Se les prétextes ne leur man« quent jamais. Ceû lorfqu'ils ont armés les États par leur politique in* quietce & intrigante, que laPuiflknce iuprême paffe en entier dans leurs mains. Dans la paix tous les ordres de rÉtat étant à leur place , ils ne peuvent exciter certains défordres au milieu du calme & de la tranquillité générale, fans que Toeil attentif da Prince ne puifie juger d'où parc le trouble; en tems de guerre, lés Mo* narques font moins Rois : un Mu nifire s'eft rendu néceflaire lorfque rÉtâc efl, où paroit, en danger. Quel- quefois, il ne tarde pas à devenir dangereux ; une foule de créatures rampe fous fes ordres , parce que dans ces. tems orageux, il difpofe à foB gré des finances. La nobleife , qur ne veut faire d'autre métier que ce- lui de la gueiire; vient foUiciter a.vi^ •^ * ï<'7 ï7^ dément le tlRpeniateur des hoo^ neurs & rides diftindkins ; il en ac<- quierc plus d'autoricé; il allsme les paifiom de cevix qui l\à x>tkt vendu leurs fuifitiges ; & ces paffioos^ -dùot Torigine left quelqiiefaî^ fi baflfe^ont une ipiusigrande aârviEéxpie les paf> fioQs les plus nobles. Le jgénie de chaque iiécfe da&s tous les cems a maklrifé lufqu'attx Souverains. Pcince ! connofflez ie vôtre ; cfette étudie cft imponaotc. Les opinions dominantes devieuneoc une forte de loi ; ce forrent a u» cours ircéfittdble. Votre gloâne , wtîe puiflTance ^ troire bonheur y font ^tfta- chés à la liberté^ à l'aifance de vos peuples ; vous ne pounez feire unpa« qa'auin*tôt , une voix fage & )udt- cieufe ue vous rende joflîce. C'eftà la lumière qui brille à conduire la régie qui dirige. Il eft deux maîtres de Tunivers, le pouvoir & le génie; vous cenâ le pren^er dam vosmaiâsi Taurre fe préfente à vos regards avec tout fou éclat. Il ue âac que le le* coonoûre ^ lui c«adte la ffla!o{)oar le faire affeohr à vos cotés *. Ayez ce defpocifine vertueux qui agit avec fierté, & fans reculer d'un pas, lott qu'il s'agit des intérêts de l'humanité ^ qu'il faut ibuvenc fervir malgré elle. Je ne vous parle point de récom- penfe , il n'en eft point d'aflez digne Jiir la cerre pmir l'homme qui £tic le bonheur des hommes. Le jeune Prince ému fit ferment ^Qtte mes mains d'être jufte , mode* xé y de chérir les hommes , de re& peâer leurs droits , de travailler à leur bonheur* Je m'éveillai ; tout ce que j'a vois vu n'étoit qu'un (bnge. * Nota. Nous foaUTons aujourd'hui des heureux fruits des méditations des fages; les principes d'humanité fout gravés dans le cœur des Bois que le ciel a placés far les trônes. JIJ?' H6 lie SONGE SIXIEME, Z>'z//K Mon Je heureux^ ENiEVB dans les airs fur un zhz,t attelé de deux aigles fiiperbes » je croyois traverfer les plaines éthé- lées avec la rapidité d'une flèche qui part d*un arc tendu par un bras fouple & nerveux. Mille mondes enBamés rouLoient fous mes pieds ^ mais }e ne pouvois jetter qu'un regard rapide fiirtant de globes variés, touscotnblà des bienfaits du Créateur. Pouffé par une main puiffame & invifiblei je parcourois tes effrayantes profondeur^ de l'univers j^ & chaque înftant m'of- froic un fpeâacle intéreflant & nou- veau. Là| des terres d'où partoieac des chants d'allégrefS? ; ici des gl(h bes où î'entendois, des (oupm & des vœux; plus loin un mélange de trif* cefle & de joie, O diverUté prodî* ï8i gléufe! ô étoooaace fécoodlcéf En vain ie voulois rallencir un vol fi pré* cipité , il ne m'écoic pas permis d'ap» percevoir en dccail ces mondes cu- rieux. Je n'obfervois que les couleurs frappantes, qui les diverfifioienc à i'io fini. Tout à coup j'apperçus une (erre fi belle, fi floriflfance, fi féconde , que |e fencis un vif defir d'y defcendre* A riû/lant mes fouhaics furenc exaucés; je me {émis porté doucement fur fa furface ; je craverfai fon atmofphere embaumé , & à la renaiflance de l'au^ rore , )e me trouvai aflls fur un fiége de gazon» Jemeleve^& je me crois tranfporté dans le jardin d'Eden. Tout infpiroit k i'ame une douce tranquillité, dans ce fé'jour de paix : la Nature y étoit ravlf- lante & incorruptible ; une fraîcheur délicieufe tenoit mes fens ouverts à la îoie; une odeur fuave couloit dans mon fang avec Tair que je refpirois; mon coeur qui treflailloit avec une force inaccoutumée , eniroit dans une ^r de délices ; & le plaifir , coffun» 4me lumière immortelle nk pwe , ^lairoit ixïon ame dins xome & pro- ^ndeur. Les Jiabirans de ce féjour heureux is^avancerenc au- devant demoi ;4S{>rèB m'a voir iàlué, ils me prirent par la main ; leur pfayfionomie noble inC- piroic le refpeâ; la tête de{>lu{iears â'encre eux étok -couverte 4e che- veux d'une i}laTicheur iclacance* L'in- nocence fie le bonheur fe peignoieift dans leurs regards ; la vertu briUok dans leur« difcours élevés ; ilsétoient fage« & bons, à l'imitation de l'Etre fuprême ; ils ievoient fouvenc les yeux vers le Ciel , Se à fa vue , des larmes d'amour & d'attendriffement inondoient leur paupière. Je me fen- tîs tout ému en converfant avec ces hommes fublîmes ; leurs co&urs s'é* panchoieDc tendrement par les té« moignages de t'aa»itfé la plus fincere.; la voix de la raifon , voix majeftueu- je , attendriflknte , fe faifoit entendre a mon oreille charmée. Je reconnus i>ieniot qu'une telle demeure n'écok i8^ Eïînt ùike pour de vulgaires tnortefi^ ne £oTce divine me fie voler àdm deucs bras| & prefle fiir le feifi qui veufermoic des cœurs atiAi nobles, 'p connus on • avant -goûc de l'amicié ^lefte^ decetce amitié ^ui tiniflbic féaux que cet aflre éohiroit , sjélan* «çoieuc au loin des gerbes de atattere lumtneufe , xxa fe ;peignoieQt toutes les cx>ulesrs de l'iris ; fou front qui ne s'éclipfoit jamais , étoic couronné de rayons étinceians » que le prifme audacieux de notre Neuton n'auroic pu décompoter. Lorfque cet aftre îe coucfaoit , fix lunes brillances , 6c non inégales ^ flottoient dans l'acmot phere ; leur marche , diverfement combinée 9 formoit chaque nuit un fpeâacle nouveau. Cetce multitude -d'étoiles qui nous paroi(fent 199 Ton du crime avant de connoftre fe mal. Touc ce qui nous environne, flatte Sa noufric notre dépravation; l'habitude vient, Se nous ravit jut qu'aux remords. ... O Ciel ! com^ ment peux*tKi voir dans ton empire un tel défordre / comment fouffVe-ru qu'un mopde fi difforme roule avec les fpheres céieftes dans Timmenfité des Cieux ! comment permets-tu qu'il porte l'impie qui ofe imaginer & dire qu'il n*y a qu'un Dieu méchant qui puiffe être Créateur de tant de maux ! Tout à co\ip , un de ces hommes juiles p^rut devant moi; un courroux divin aqimoic fa prunelle. Il me 6xoir, comme s'il eut voulu , en lifant dans mon cœur , y reconnoître des penfées plus f^ges. J'étois trop touché pour retenir c^es larmes » elles coulèrent en abopçi^nce ; je lui confiai ma douleur , fur -le fort de mes concitoyens mé- çlia^s ôc ip^lbeureux , fort qui me paroiifoit cent fois plus horrible par la comparaifon toujours renaiflance de cg gronde lopocent & fortutié. 14 Cet homme jude m'écouta tranquît* lemenc ; je foulageai mon cœur en fa préfence, & avec toute la véhémence que le fentiment peut porter dans une ame. Il mejecta un regard mêlé de com- paflion & d amour, & me dit : J*aime cette noble fenfibilité qui te fait pleu- rer fur le deftin de tes frères; qu'el- les font rares ces' larmes, verfées en faveur du genre humain ! elles fe- roient fur ta planette un fujet de dé- liGon , pour ces fous qui n'ont jamais réfléchi fur rien; mais cette triftefle de ton ame me plaît. Ce coup d'oeil jette fur ce défordre général qui en- fante tant de maux particuliers, ces foupirs rendus plus amers par uiie plus longue contemplation , ce defir diP bonheur de tous , annoncent en toi un cœur droit que tu as fû nour- fir d'utiles émotions ; mats ce que tu nomme douleur, fouffrance , avilif- fement, mifere , ta mort même avec fdn appareil horrible, tous ces maux, quelques fenfibles qu'ils puiflfenr être i lot fie font rien au prix d'autres mal* heurs ; c^eft ici qu'il faut pleurer & frémir. Il eft des hommes qui ont aveuglé leur raifon & eadurci leurs cœurs; des hommes qui n'ai« mène point Dieu, qui yoyent lever fon (bleil fans lui rendre une aâion de grâces , qui abandonnent leur ame comme Taire abandonne la paille au vent; des hommes qui fuyent la vé* ricé pour fe jetter dans les bras du menfonge , qvi divinifent des fantô- mes monftrueux , & qui fe rendent le jouet de leurs defirs tout à la fois volages & fougueux; des hommes infènfés, qui bravent les foudres du Ciel f & qui ne tremblent que lorf- que le tems de la miféricorde eft pafle. Voilà fur quoi les Anges même s'attriftent ; & lorfque nous apprenons qu'un coupable eft retour- né à Dieu , ce monde entier célè- bre ce jour , comme il célébreroit la^ ziaiffance d'un nouvel univers. iWais garde- toi , en contemplant cette fcène déplorable, d'élever io^ loi plus foîble murmure contre le Cté^ leur. Vois fa ProvideiKe augufte & (âge qui embrafle dans fan fnn ce globe coupable & maltieufeux i A a jeué un ¥OÎIe fur cet ifmnenfe uni- vers, aucune main créée ne peiK ie ibttkver. Gémis fur c-e que rhoaiine ii'eft pas ce qu'il pomrojt être» & crois en même fems qvece inonde » coût déchu qu*il te parou, poflede ce q«^i lui éft «éccffaire, pour rem- plir la place qui \m a été affignée parmi les fpheres innombrables qui circulent en préience du fopr ême Ar- chitede. Oui, ce monde , tbéârredu crime Ôc de la fnort , à traders les noires vapeurs qui fenvironnent , ex- hale des vœux purs , êc les foupifs de quelques jufles , propres à fe mê- ler au cantique immortel des louanges dues au Créateur. Ce ^monde roule fous les regards , il entre dans la conftîi«tion de l'univers ; Scies hom- mes vertueux qui rhaWtent, le ren- dent auflî précieux aux yeux de Dieu, c[ue plufîeurs autres mondes îanocensi 'tous brUlans de leur beam^ Or/gN inelle. Pour t^éclairer dans ces hautes fp^. cnilatioiis ^ ibuviens»coi que c'eft une fuite de la foîbleflè de Vefpric hu- maia , lufceflairemenc borné, s^il n'ap« perçoit point Tordre de ce grand tout, loi-même divifé dans des par- ties qui font variées à Tinfini* L'hom- me ne voit que Les dérails , Thomme ne peut appercevoîr Tenfembk; mais il faudfoit être né pervers pour s'i- xnagîaer que ce monde , tout divin qu'il nous paroît, n'a ni efprit ni in* teiligefice pour le régir ; ce n*eA que la machanceté qui peint un Dieu dur & chagrin, & ce n'eft qu'un cœur corrompu qui poîiTe enfànter-ces pen« fées eHrayames & abomioables fur TEtr^ fuprême. Crois-tu que la fuprê- me fageflè ait abandonné quelque cho- fe au bazard ? Crois-tu que (on plan foit jtracé d'une main chancelante & incertaine ? Crois tu qu'elle ait fait jquelqu'œuvre de rebut , comme un »! ouvrier. lOui s'effaye? Non, tput« 16 idée a* été apperçue, exécutée '& ft^ vie. L'intelligence a découvert , a conduit , & foutient cette vafte har- monie ; fes defTeins font fixes & im- muables; fes regards tombent avec complaifance jufques fur ce globe donc Fafpeâ t'indifpoie , parce que tu ne le vois que par fon côté obf- cur^ tandis que placé dans le rang qu^il doit occuper, il contribue à la fplendeur du tout. Ceft affez pour rhomnne de favoir que Dieu dirige tout ce qui eft : la beauté morale eil une beauté invifible , Dieu feul en jouit. Il fera permis un jour à 1-hom- me de contempler cette beauté in- telleâuellei & Thomme étonné & faifi d'admiration, avouera fa folie paf- fée^ & la profonde fegeflfe l'omnif* cience de rÉternel difpenfateur; EaibraflTe cette efpérance confo- lante ; un Dieu en a mis le germe dans ton fein. Aggrandis ton être, par ridée fublime d*une élévation prochaine ; que la grandeur de Diefl toujours préfente a iça efp»i i c« le; faiFe concevoir ta foiblefle daos tÊt faviflfement faînt & refpeâoeux. U t'eft mile de croire , & de croire que le tout; eft bien. Il t'efl ucile d'hono- rer ton Créateur^ de mettre ta con- fiance en fa, Aipréme bont^; (bumecs- toi fous cette main divine qui t'a- baiflfe pour mieux t'élever. Nedis pas , ce monde eft mal; va 9' aux yeux du Créat pas ce mérite. Nous tenons tout de la clémence do Créateur , rien de fa )ufiic.e* Nous n'avpos point comtoe vous, des titres pour prétendre au bonheur ; nous le recevons comme grâce , & non coni* me récompense ; mais le fpeâacle qui charme le plus nos regards» c'eâlorf- que nptts voyons fixt votre globe une ame eaviroim^ie de (ant ds hefoinsi , de peines & de troubles , chercher 4a vérité avec une ardeur infatigable, ^U poiîrfuivfe, quoiqu'elle l^i écbaf- io7 pe \ cbaqoe iofUm; & nalgr^ tes erag^s lenaiffaxis, allumer le fiaua« hç^Vk qui dok éclairer Tunivers. Ce Socf9xe, ce précf e , ce maicyr de la . Vmfïké , buvant la ciguë , ooqs ùit pleor«f d'admiracioD. CeJMfarc-Aiure* le , Viercueux dés l'âge de douze ant, de veitiieox&r uocrôoe , portaoc aux yeux do monde le manteau de la , philofQphie fur le maoceau royal , nous faic envier jufques à Ton diadè- me ; & lorlque dans les rangs les plus Avilis nous d^ouwons un morcel , m$trchanc d'un pa$ ferme & fur daas ^ les routes de la fageâe , refpeâanc foo zmfi f v^eiUant fiir fes aâions & fur fes penfé^, les xlirigeaoc toutes Il la gloife du Créateur , & au boa- beur de fes femblables , cf emblanc de commettre la QU)mdre faute ^ fer- manc les yeux aux charmes qui l'en* vîroiuient & qui pourvoient le cof- rompre p voyant la more accompa- ' .gnée de toutes fes horreurs , & por- tant vers le ciel, tm œil fournis 8c ^mourant ^ alors nos yeux tfappe|- ^o8 jpoîvent dans la vafte éceodae de 1g création , rien de plus admirable ^ rien de plus beau , rien de plus au- gufte : Tame de ce morcel , ou plu- tôt de notre ami , de notre frère , contient la perfeâion de Ton eiTence; elle réfléchit la beauté univerielle^ & le moment où elle abandonne (es liens terreilres , eft celui où elle de- vient un des plus rares ornemens du ciel. Ainfi la vertu brille & régne dans un monde où le crime voudroit éta- blir Ton empire ; ainfi la terre eft le champ de bataille où , fous les yeux de rÉternel , ils fe livrent un com- bat qui doit être éternellement glo- rieux pour la vertu triomphante. Sol- dat du Dieu vivant, honore le tem- ple où il réfide; ce temple , c'eft ton cœur; c'eft de* là qu'il te parle & qu'il te juge : applique- toi à faire loute chofe avec gravité, avec dou- ceur, avec liberté, avec juftice; \^ vie eft courte, & ne t'eft donnée que pour mériter, Ceft Dieuq[uit*afaiP?i conçois toute la pTofondeàr de cet^e penfce. Tu es homme , tu es citoyen du monde , tu es 61s de Dieu , pen- fe à quoi ces noms t'engagent. Vois la terre comme une arène giorieufe, où c'eft un honneur que d'y être det cendu. Que la mort te furprenne dans une aâion généreufe , utile aux hom- tnesy.& tu pourras alors , oui, tu pourras lever un front fuperbe au milieu de la Nature, en élevant tes mains pures vers le Dieu qui ré- compenfe. fuprênae intelligence ! océan dà gloire I de puiflance & de bonheur ! nos âmes font de foiblés ruiflfeaux échappés de ton cours éternel & ma« }efiueux; mais elles tendent à leur fource; c'eft notre ame qui te fent , tu tu réclatres , la pénétres du fentimenc de ton amour ; elle te faiit t en apper- cevant tes magniBques attributs; un doux raviflfement vient enfler le cœur qui fe remplit de toi ; alors , il te connoît, il t'adore , & des larmes ^délicieufes coylenc de fon œil &]fié 21 îfurla voûte c^lefte. O! de quelle fë* licite iouic Tame qui conçoic le bon^ heur d'être ta créature ! Mortels 9 eflimez * vous heureux fous la main toute- puiflTante , avancez d'un pas ferme dans la vie , les dé» . crées ducrès-Haut ne doivents'accpm- f)lif que dans le tems. Si vous poitez a vue dans Tavenir , vous en verrez jaillir aflfez de lumières pour vous . conduire dans les ténèbres. Convain* eus de Texiftence d'un Dieu , que vous faut-il de plusp Ne fencez-vous i pas de^^U même , toutes les grandes vérités qui découlent de cette véricé .primitive f Un être borné peut être iufceptible de colère » de vengeance yk de jaloufie; mais l'Etre parfaite . ut^iverfel eft loin des paffion^ humai- nes. Qui ne connoîc p^s Dieu pour un être bon , & furp^flfanc infiniment tpqs les Jiommes en bonté , n'a ni religion , ni confiance ; il n'a jamais t élevé fa penfée fur ce qui eft mo- f alemenc excellent ; il n'a jamais eu JUQie idée de la vertu , qui n'eft autro lit cliofe que la bonté fiiprême. Ce ne feroic pas un devoir pour l'homme de faire le bien , s'il n'avoic pas à imiter l'Etre fouverainemenc bon. Nous ne pouvons admirer aucun ca- raâere majeilueux & magnanime , fi nous en dépouillons celui qui le poCTéde par excellence, & fx nous noas méfions de fa clémence ; mieux vaadroic ne le pas reconnoîcre. Il avoic ceiTé ,e parler, & mon oreille ravie croyoic encore rencen* dre : le réveil diiTipa mon illufion , mais elle me fera toujours chère, & je la confer>^rai jufques à la more dans le fond Ue mon cœur. . Fin de la prcmien Partie. * A * * t^J" * * \"* SONGES PHILOSOPHIQUES^ SECONDE PARTIE. SONGE SEPTIEME. De la Guerre ^. , »Étois fur les frontières d'une province inondée du paiïage de cent mille hom- mes ; Tordre qui les raflfem* bloic, leur marche impérieufe réglée au fon éclatant de pluiieurs inftrumens * Nota, L'Auteur a déjà publié un Dii^ cours fur les malheurs de la Guerre en 1767 ; il fe trouve chciCellot y Imprimeur p rue Dauphiae» 114 guerriers « leur farofiche ohéiShoce, tout m'offroic un fpeâ&cle. impoTaot, fit qui avoh droh de m'iméTeffer. Je réfléchiflTois fur le motif qui pouvoic raiïeuabler tant d*bommes £[)us les mêmes étendards. Ah! drfbis-)e en moi même, fi c'eil la vertu qui les conduit, s*ils vont frapper quelque tyran , & en délivrer la terre, $*ils marchent pour aflTurer la liberté des morrels qu'on opprime , ce font ju- tant de héros q^e Tamour du bien public a réunis; ils méritent nos ref- peâs & notre amour ; ce font les dé* fenfeurs facrés des droits de Thutna- nité. Tout àcoup cette multitude de foldat fit halte , & fe difperfa de coté & d'autre; la tête échaufiee despeo- fées que m'a voit fait naître cet amas prodigieux de combattans , )e fuivois leurs pas , & tâchois de démêler dans leurs geftes» les fentimens qui les animoient. Quelle fut ma furprife de voir ces hommes , enfans de la même patrie, revêtus de la méîtie lisrrée, tirer l'épée l'un contre l'autre avec 4t5 une opiniâtreté farîeufo. J^ couri»' à l'un d'eux , mais îl écotc défà Uùp tard ; il retiroit fofi épèe fumant* da' cœur palpiianc dô fon cama^adt; 6 malheureux ! m^éctisLUft , quoi ! ton compgnon « ton frère ! I) eA bren digne de Terre , me répondi^il d'une* voix aflurée , il efl: mon en brave homme.- Mais que peut- il t'avoir fait, pour le traiter aufS croetlemenc î « Kien y c'eft un nouvel enrôlé dans notre corps reif eâable , âc c'efl i*u- fage de payer fon emrée par quelque preuve de bravoure non équivoque; il a fait les cfaofes comme il faut. Oh ! cela lui fera beaucoup d'hon- neur; nous regretterons qu'il fe foic^ laiffé tuer. S'il eut forcé un peu plus la parade, il auroîc évité le coup, & fûrement nous aurions, vécu long* tems très*bons amis.- Eftil poflible, répondis-je , éitiu» étonné ! quelle* étrange barbarie! Mais vous êtes un homme perdu , (auvezvous i fes ca- ' marades , fes fupérieurs feront for-; ces de venger fon fang. » Bon , }e' 2,i6 M fuis que leur exemple, & celui qui s'y refuferoic feroic regardé com- me un lâche. Notre gloire efl de bia< ver eo tout cems la mort, & vous penfez bien , que quiconque n'a point craint un adverfaire en tête, ne re- doutera point la préfence de Tenae- lui. Ce font-là des échantillons de courage. • Voilà un courage fort utile à la patrie.* Oh! cette mort n'eft rien. Voyez là^bas ces deux compa- gnies qui fe battent; les beaux coups qui fe portent!- Pourquoi donc cette férocité frénétique ? n'ont-ils pris le ipême uniforme que pour s'égorger ?- Point du tout , vous n'y voyez pas bien ; la couleur des paremens ^ & la différence des boutons caufent leur inimitié. - Mais ils marchent enfem-v ble fous les mêmes drapeaux , ils vefl* gent la même querelle. - Oui , mais en attendant, ils vuident leurs débats particuliers : ils fe haïfTent entre eux certainement plus qu'ils ne daeftent l'ennemi qu'ils vonc çombartre, & chaque officier fe trouve rival & i^' 1ou;k 13LJ7 loux de VofHcier qai occtipe tin gra« de au- délias du nen ; bientôt nous tournerons nos forces contre ***, & alors, nous verrons beau jeu.- Quoi i vous allez encore chercher dans un aucre monde des hommes à tuer p quelle fureur J Mais R vous continuez , vous vous détruirez vous- mêmes, avant que d'être en préfence de rennemi. - Que nous importe , nous ne vivons que par la mort ; 8ç pour que l'un s'avance, il faut que Tautre foit tué ; cela eft clair , & voilà tout ce que je fais. - Quel hor- rible métier vous hites, mon ami! pourquoi vous encregorger f pour« quoi verfer un fang que vous auriez: aimé ? pourquoi endurcir votre ame grattement? n'avez «vous jamais éprouvé la pitië, la commifération? Vous allez de fang- froid faire des or« phelins , des mères gémiifantes. Ah ! fi vous écoutiez votre cœur, fûre* mène il vous condamneroit. • Je n'en- tends rien à toqs ces beaux mots-là ; voici le vrai. J'ai mené une vie.a0e2& II. Partie. li ait ificertaifle }afqik'à Tâge oh je me Cm trouvé haut de cinq pieds fix pouces; )*avois un eftomac d'autruche , & j'a- vois beaucoup de peine à lui fourarr de quoi digérer. Un homme toat galonné , cocarde en téce , canàe en main , vint me toifer ; & me mor^ tfant au bouc d'une longue perche une ample provifion de gibier^ fit réfonner à mes oreilles une trentaine d^cus enfermés dans un fac. Qui poih voit réfîfter à de pareilles amorces? Votre prétendue figure de la patrie feroic venue toute en pleurs fe jctter à mes genoux , en me priant de la fecourir , qu'elle n'auroic point fait fur mon ame une âufli touchante im- preffion. Le jour de mon engage- 4nent fut le plus beau jour de ma vie; |e n'avois jamais abrolument conten- té mon appétit. J'eus du vin , des fil- les , je fis grand*chero & du tapage impunément; les jours fuivans ne ré- pondirent pas à ce jour fortuné; je fentis le poids de l'efclavage ; je dé- ftrtai fepc fols en quatre ans p ne te- fiant à tien , voyant d'un œil ^gal la viâoire ou la dbsfatte, auflî peu at^ taché à un gouvernemenc qu'à un amre:y& ne perdant rien en perdant toac. Notre fore, vous le favcz, ne change point après vingt viâoires : le foklat obtient rarement les diC* tiâions niilitaires ; des officiers fupé- rîeors s'attribuent toute la gloire des armes , Se s'en réfisrvent tout le le prix. J'entendois la voix de cha* que Potentat qui tne crioit : Je t'ac» corde du pain, mais à condition que tu le 'ffiécamorpfaoreras en fang , que ce iàflg Tû-apprtiendra tout entier , & coulera au moindre (ignal de ma volonté. J'ai donc vendu mon fang le plus cher qu'il m'a été poiTible. Je ne vous parle point des rudes travaux que )'ai eflfuyés , des mar- ches longues & pénibles que fai &i- tes au milieu de Thiver; combien de fois le froid & la iaim fe font unis pour m'accabler ; combien de fois ]e fus réduit à coucher fur la terre • morfondu par une bi£s pi* Ka quantè. J'ai eu quelques bons rao^ mens , j'ai favouré plus d'une fois le plaifir délicieux de la vengeance; Un jour y ( après deux mois de fati- gues) encrant dans une ville prife d'afTauCy forçant les portes de vingt maifonsy enlevant tout ce que je troo^ vpis p i'apperçus une jeune femme , les cheveux épars^ fort jolies quife xnouroit de peur , & fe cacboit , te- nant un enfant dans fes bras. L'ar- deur du pillage cède en ce moment à un appétit luxurieux ; tout eft permis dans une ville prife d'afTaut. Je perce deux de mes camarades qui vouloieoc me la ravir; j*égorge l'enfant doat les cris m'impottunoient , je. viole la mère, & je mets le feu aux quatre coins de la maifon. - Vous me faites frémir ! - Bon , l'efpece humaine efi; comme l'herbe des champs; oo la fauche , elle renaît , il ne faut qu'une nuit pour réparer le fac d'une ville. Oh! nous ne lailTâmes pas fubfifler deux pierres Tune deiïus l'autre ; les ordres écQient ainfi doqnés, Jç pa&e lit fotts nience d'autres faits héroïqaei familiers à nous autres héros. Je ne vous dirai point que j'ai pafle deux fois intrépidement par les baguettes ; que mes propres camarades, trans» formés en bourreaux, ont fait ruif» fêler mon (àog de mes larges épau- les; î'ai eu ma revanche , & mes offi- ciers y tranquilles fpectateurs, ont loué plus d'une fois la vigueur de mon ! bras. Enfin , je fuis revenu fous mon • premier drapeau à la faveur de Tarn* niftie , Se quoique )e n'y fois pas , mieax qu'ailleurs , j'efpere plutôt faire ici mon chemin. - Quel che- j min , s'il vous plaît F - Parbleu ! voilà | la première étincelle de la guerre , nous allons foigneufement l'entrete- nir f afin que l'incendie dévore , au moins, la moitié de l'Europe; vous voyez ce régiment' habillé à neuf, avec fes enfeignes flottantes; dans un mois, peut être, il n'en reliera qu'un fur cent ; vous fentez bien qu'alors l'entrerai dans ce beau régiment , Sç que ma paye fera hauflee de trois fols . . K3 ^1^ par par. • Quoi ! feroiC'il poffible q|ae vous penfaffiez ainfi? - Non pas feu* kment moi , mais encore mes cam»* rades 9 tous nos officiers qui ne de* mandent qu'à hériter ; & vous favea qu'on n'hérite que des défunts. • Je regardai cet homme avec e0iroi ; je lui fis un petit préfent en lui recom^ mandant beaucoup d'être humain ; ii fourit à ce mot ^ & )e m'féloignai» Je rencontrai , chemin faiiaot » une compagnie qui s'en allott tambour battant , & qui murmuroit hautea^nt. Toujours trompé par les infpiratîwïs de mon cœur , je crus qu'elle mau^ diflbit la guerre ; ^s doute , lui di^ je y que l'humadité plaide dans viotre ame, la caufe des malheureux que vous allez maflfacrer,- Point du tout, me dit l'un d'eux, on nous envoyé dans un mifërable pays nud , ftérite> où il n'y aura tien à piller que la loupe du payfan , tandis que nous fortons d'un pays gras où nous avions de quoi ravager à notre aife; mais notre chef a déplu à un Miniâre, in nous en portons tous la peine. le me retkai ^ bien Téfola de nc plus faire de quellion , craignant de fonder ce gouâre d^faorreurs, oii la Nature humaine ne fe iBoncre quo fous un |our affligeant & terrible. De retour cfaez moi , je voulus me confoief avec des livres ; je cherchois un remède à ce fléau antique qui embrâfc la terre : J'ouvris le fa% mcux Traité de Grotius; |e lus oe grand ouvrage. Se à la froideur ré» voilante qui y régne , aux exemples de barbarie accumulés avec une pa^ tience incroyable » à fes trilles , inu^ ciles & longues définitions, le dévoue me furprit , je Tefliiyai d'un bout du livre à Tautre. Jamais plus beau fujet ne fut plus mal traicé« Quoi ! le globe de la terre couven de fang; quoi! ce métier d'égorger, regardé comme le comble de la magnani* mité , puni dans le fcélérat obfcuc qui vous attend au coin d'un bois', honoré dans celui qui le commet au bruit des trompettes & des fanfares ; quoi! cette folie injufle & abomina^, JC4 ble, qui n'eft le plus fouvent funeffe qu'à rinnocence ^ au lieu d'allumer en- tre les mains de ce philofopbe, le flam- beau de la vérité redoutable , au lieu de pénétrer fon ame d'une indignation forte & rapide , ne lui infpire que les moyens de légitimer ce qu'il y a de plus horrible , de commettre le crime avec ordre, & de s'appuyer encore de paflages aufli degoucans que pédantefques ! Ce font bien des autorités qu'il faut ; il faut caiTer tou« tes les autorités humaines , pour ne faire valoir que celles de la raifon & de l'humanité. Loin de remonter aux principes , loin de porter le fer & la flamme dane les noms de parjure, de lâche » çn me rap^ pelle ks fermens que j'aèvois fait b veille.^ Hier, me dit-on, lorfqoe .vous étiez ivre , vous ^vez promis. - J'ai promis ! moi ! ab l luremeut; *^7 Mefiieurs , V^toîs bien ivfe lorfqud fai promb de tuer mes femblablei« J'allois faire un beau diicoors pour Içiir prouver que \t ae devois point me baccre, loriqu'il ^luc marcfaer, entraîné par l'ejcempie & par la ibule obéi/lànce. £n cela je reflèmbloîs à bien d'autres qui (aifoient cepen* dam parade de valeur. Le tonnerre des morteb qui détruit plus dliom» tskcs en un jour » que le tonnerre du ciel n'en détruit pendant des fiécles^ donna Le fignal de la bataille. Je ^Vk le firmament tout à coup enflammé, & tour*à-tour obicurci par des vol^ cans de flamme & des torrens dt fumée. Le plomb fatal (îffloit & vo»- loit de toute part ; les chefs à grands cris pouflbîenc , précipitoient la file preffée des ibldats : tous dans uoe cbéiflàoce aveu^e coivoîent arro&r de leur iang, des monceaux de ca- davres. Obligé de faire feu^ jediri» geois le bout de mon fiifil dans le vague des airs, aimant mieux mou- rir que de frapper on être ienfiUe. Lliorreur pâUflbit mon front, cent qui me repiochoienc ma peur, s'ef« forçoienc de noyer la leur dans une boiflfon forte qui leur égaroic Tefpricr Bonté du ciel ! je doute que l'enfer puiflfe jamais préfenter un fpeâacle aufC odieux ) Des cris lamentables , le fracas du canon ^ le roulement de cet épouvantable tonnerre, aflfourdif- fant les oreilles , & endurciflant les cœurs ; des hommes étendus , mêlés êc mourans avec des chevaux; les tbrrens de leur fang enfemble con- ;fondu ; d'autres fe traînant à demi ^crafés, & pouffant des hurlemens effroyables qui ne touchoient perfon- ne; des yeux éceiiits, immobiles; des vifage pâles & fanglans que cou^ vient des cheveux hériffés; des voix fpppliantes invoquant le (repas ; toor tés les fcènes- de douleur, de fou^ frances, de cruautés ; tous les tableaux d^e Ja rage , de la fureur , du défet |5oir; toutes les fortes de bleffures, tous, lès genres de mottj.tous les Jdourmens raflemblés ; la Natu];e & !%ainamté mille fois outragées, Se & outragées fans remords ; les oifeaox dû ciel fuyant épouvantés; les feuls corbeaux marquant leur joie par des croaflemens , fuivanc les guerriers à la trace , Se attendant leur proie ; le régne féroce de la barbarie qui (e laue & qui n'eft point aflfouvie; ciel! quels objets de démence & de ter- reur ! J'avançois fur des corps entât fés, & les dents d'un moribond , ex- pirant dans la rage , me déchirent la jambe , lorfqu'un homme de fer , plus fougueux que le courtier qui remporte, m'enlève par les cheveux, & d relie fon cimeterre pour m'a- battre la tête , mais un boulet en- flammé vient, & me coupant en deux, difperfe loin de lui mes membres mutilés. On ne fut jamais fî content d'être mort. Bientôt je perdis de vue & le champ de carnage , & ces hom- mes infenfés , qui , dans leur folie hé^ loïque , égorgeoient pour être enfuite égorgés. Je ne diftinguois plus cette -terre déplorable que comme un powi Ibiblemeot ^lalr^. Je craverfek cottti me avtc des aîles rapide» d^bamidev ténaht^h. Au fortir du bfuic affireux âç dircocdaot des coE^bats , \e ïm Cf^iir vois dans un (ilence & dans un calcat tranquille. Fragile jouec des airs , je çommençois a devenir Inqiui^ Ait mon ton , io.rfque je fenrîs mes p$9 ^'affermir fur une bafe plus folide. }^ m'apperç»s que î'avois pris la forme d'un (queletce d'une blancheur extrê- me ; mais \e ne conçus ajucune horreur de ma nouvelle métan[H>rphofe. £q eflfec , je ne fais pourquoi on a rant àt frayeur de fes propres os; la charpeu* se d'une belle mai (on ed peut écre 4u£ adjnirable que la décoration e^té* lieure qui lui ferc d'ornement. Mon (quektte blanc fe trouva dooç parmi une multitude d'autres fque- iectes aufli nuds que moi. Nos pfftr mens ^ en fe chpquafic dans la preilê^ formoienc un cliquetis fitigulier qtii xéfonnoit au loin. Je ne pouvoir t^ai- trifer un (aifilTement fecret à la vâ^ 4« ce uift$ féjovr. Je w cooiidéiois pas de bon œil mes compagnons rfi mirere. Tous leurs mou vemens étoienc brufques ; & quoique réduits au ploi mîférable état , ils inarchoient encoit la réte levée & cl*uo air orgueillemu Cependaoc des nuages éthceians rou% loienc au deŒus de nous ; ils vomit' roienc les flèches cortueufes de la fot^ dre ; Us éclairs qiâi parcoîenc de et ciel menaçant , repandoienc une lueur ibnibre & effrayante. Une voix auffi douce que célefte retentit à mon oreille , & me die e Te voilà dans un des vallons où* la 'Juflîce deicend pour fuger les morts coupables ; celui ci s'appelle , /a vallét des homicides. O ciel! nft'écrjai-je^ feroit'il poflible ? Mon cceur eft pur ^ mes mains font innocences; loîo de s*être trenapées dans le &ng des hom- mes, elles ont évité Coigneuiasient de porter la mort. J'ai éié furpris^ i^ncrainé dans la foule dies aSàflins, p tie fais comment 9 mais js n'ai été rinftrument d'aucun meurtxe ! Raiiîi- xe-toi j reprit la voisj il en eft d'iaùa^ fcèns qui fe trouvent mêlés ainli qsè toi avec ces barbares ; mais )e fuis ici pour les confoler, en attendant le '^rand jour , & tu n*es dans ce vallon que pour faire rougir ceux qui ont voulu te forcer au crime. La Juilice, fille aînée de TEtre fuprême, vient éclairer ce lieu tous les iix mille ans ; tu n'as plus que cinq cens années à attendre. Je marquai vivement & mon impatience & ma^ douleur. La woh reprit ; tu t'imagines , peut-être , qae tu te traînes encore d'années en an^ nées y de jours en jours, d heures en iieures , comme fur ce globe que eu as habité ? Défabufe-toi , car depuis que je te parle , cinquante années déjà font écoulées. A ces paroles , Tefpé^ rance vint* ranimer mon cœur ; je me mis à obferver ces fquelettes anv fculans ; la dureté de leurs coeurs fem- bloit s'être communiquée à leursoffc- inens; ils fe heurtoient rudement en- tre eux. Je prêtai l'oreille à certain murmure confus , Se je diftinguai le |>ruic eSrayaot éc fourd du torrent raprde des fiécles, que la main dd tems précipitoic dans le lac immo bile de récernicé. Tout à coup ce ter* renc impétueux ceflà de couler. La N^acure fît comme une paufè : cent tonnerres furieux crevèrent le âanc des nuages ; & voici qu'une pluie abondante de fang tombe aufli - tôt fur les coupables; c'étoit tout le fang verfé depuis l'origine du Monde qui retomboit fur chaque meurtrier. Je vis en un moment tous ces fqueiettes couverts de gouttes enfanglantées ^ qu'ils lâchoient vainement d'eflàcer. IS'appréhende aucune de ces taches fanglantesy me dit ia voix de la con- folation , elles ne tombent que fur lès homicides. Chaque goutte repréfente un aflTaflinat ; ce fang fait leur honte & leur fupplice; il leur imprime le remords , la douleur & le défefpoir. Frémis pour eux ! Tindant terrible cft arrivé. Auflî* tôt les nuées sVcar- terent au loin ; un jour lumineux defcendit deJa voûte célefle, Rede- vint peu à peu (l refplendiilant , que itr4 toute cette muldtude teinte des nuif ques criminelles qu'elle porcoir> fe couchoic fur la terre , & fembloic vouloir fe cacher dans fes abynoes. Moi même , quoiqu'ayant conlervé la blancheur y emblème de mon inno« cence , je ne pus réfifter à une fnycvix refpeâueufe ; je tombai profteroé. La Juftice éclatante parue au milieu des airS| non avec ce front courroucé f ce glaive i ces balances que nous lui donnons, ici- bas ; revêtue d'un man- teau bleu par femé d'étoiles d'or , elle tenoit d'une main un fceptre d'un feu blanc, tandis que l'autre fe por? toit avec trifteife fur fon frooCi qui rougiiroit des crimes qu'elle éroit obli- gée de punir. Sur ce front toucham. Dieu même avoit imprimé tome fa ma}efté ; les nobles traits de fon vi^ fage p quoiqu'un peu féveres , infpi* roient la confiance , & fembloieot plaindre les malheureux coupables en les condamnant^ Quelle beaaié joeflable! Que fon afpeâ faifott naî* tre de regrets & d'amour ! Quels ler *55 niords affreux dans la race des ho^ iBiçides d'avoir outragé cette ina}et tueufe Déeflfe! Environnée de route là gloire , afiife fur fon trône augo& te I ce n'écoient q.ue des gémi/Temeni au fouvenir de {es faimes loix mé« connues ou violées. Le foleil de la vérité lui fervoic de couronne , ât touie cette vafte fcène étoât éclairée par Ja splendeur de &s rayon». Le Tems viat dépofer ùm horloge au pied de la Juftice , & repafiànt le fable des années , elles s'écaulerent une féconde fois avec une rapidité inconcevable. Chaque mort y revit avec effroi les inftans d'une vie donc il dévoie rendre compte. A la gau- che de la Jtiftioey une voix crenv blante fervoit d-interprête aux coon p&bles y âc faifott tous fes efhtu pour les jufiiifier. Cette voix foible le nom*- moit policiique, rai fon d'état;, tout ce qu'elle dilbic tenoit du délire de rinfaumauiié , de l'extravagance. Une autre plus foroe & plus éloquente qui étoit a droite p foudroyoit fos vaiqsi difcours ; cVtoit rHumanitd rainre* Au fon de cette voix viâorieufe, les meurtriers étoient (aifis de terreur ; ils avouoient leurs crimes , & la plei- ne connoiflance de la vérité faibit leur iupplice, . Cette multitude, tremblante de* vaut les regards de la Jufiice, cher- choic en vain quelqu'afyle. Tous ces Potentats (i fameux étoienc nuds , tremblants comme les autres; pla- fieurs milliers d'hommes en accu- foienc un feul | & le rendoient re& ponfable de tous les meurtres qu'ils avoient commis. La voix du côté gauche, par exemple, prononça (i fréquemment le nom d'Alexandre pour excufe, que la Juftice ordonna qu'il comparut feul. Je vis alors uo fquelette de taille médiocre , les ver- tèbres du col penchées , & tout rouge de fang , fortir en tremblant de la foule où il fe tenoit caché ; le mur- mure qui fe fie entendre fur fon pat fage augmenta fa confufion. NwJ, ,pe(it| dépouillé , il faifoit pitié. Quoi! ^î7 dit la Juftice , voilà donc le pygfnA orgueilleux qui vous a ordonné le cri- me ^ & auquel vous avez obéi préfé* rablemenc à réquicé, à rhumanicé^ à votre propre conicience ! Concem» plez la bafleflè de votre idole ; elle» même reconnoîc ion néant; elie»mé« me va vous accufer de l'avoir empoi* poifonné d'un ridicule encens , ait lieu d'avoir renverfé l'autel où fei ordres égarés demandoient des hom* mes pour viâimes. Par quel enchan-^ tement vous êcesvous rendus des ef^ claves fanguinaires , tandis que tout vous crioic que la Nacure ne vous avoic pas fait pour fervir les fureurs orgueilleufes de ce defpote. Pour toi y qui as facrifié mes loix au penchant d'une ambition force-* née^ tu te vois aujourd'hui l'horreur des complices mêmes de tes forfaits } mais ce n'eft point afîez^ je vais te faire voir à qui tu peux être com« paré. Au même infiant , elle (ic figné de fon fceptre^ & un autre fquelette iu peu-près .de même taiUe qu'Ale^or ^5* y prit place à côté de lilk II n'I* cok pas cottc-à^fait fi rouge de ùmg, maïs fes osétoîenc fraâiirés en divers endroits. Je remarquai que les coups du fêff^ infltuinenc de fon (upplice, avoient même eolevé les taches pria* cipales : regarde Alexandre ^ die la Juftice.y regarde ton émule; il ne manquoic à ce brigand', que la force 9c la puiflance pour c'égaier, & ilfe feroic fervi des mêmes moyens que coi pour raivager le monde ; fon cou- rage fucauffi grand que le tien ; mais gêné par les obflacles, il foc rédoit n égorger dans Tombre fes cond^ toyens; ceux qui veillent à Pobfer* vance de mes loix furent heureafe- menc aflèz fores pour conduire Tbo- micide fur Téchaffiiut ; il y avoua du fnoins fçs crimes , & fe jugea^digoe du fupplice le plus honteux. Malheureux! tu rte diffères point de ce voleur ; & , plus à plaindre , lechâ- riment n'eft point tombé fur ca tête, Xia force a foutenu. ton bras de fet qui éciafoit; les humaios^ tu bxuias ^'9 mes loiX dans Vincendk àe$ villes; ru forças les monels efiirayés à te dret fer des^ autels; tu perças le fein de Tamitié ; le fcandale de ces viâoirei a égaré des Rois qui , à ton exem*- pie, Tc^t devenus injuftes. Approche^ creel Céikr , toi qui pleuras devanc la ftatiie de^ce meurtrier , dévoré de l!ambmon.d'en ériger une femblable; tu ne fus arrêté ni par le génie de Rome y ni par les pleurs- de ta patrie» Armé d'un poignard., tu'déchiras fon feih lorfqu'elle ce tendoic les bras ; ta détruifis la: (àgeflè de (ix fîécles de gloire, pour établir fur leurs ruines ^ les régnes ^flreux du defpotifme. Va^ ton nom commence à devenir en hor* reur , ainii que ceux des Tamerlan ^ des Attila, des Charles XIL des Gen-^ giskan ; les fages profcrivent leur g'eocreclécruire , vous avez fait de ia guerre un fléau habituel & renaiflànt, vous avez ofé attacher une gloire au meurtre ; c'eft vous , fans doute , qui répondrez des crimes que vous leur avez fait commettre ; mais celui qui eft venu vous offrir une main fanguinaire , celui qui pouvant ar- rêter la cruauté , ou fe difpenfer d'en jêrre le complice ^ a fervi vos fureurs pour un coupable intérêt , celoi-ià, dis-je, s'eft rendu aufli puniiTable que vous. Eh ! de quel droit un mortel ofe-t-il donner la mort * ? Son exif- tence n'appartient - elle pas au Dieu qui Ta créée ? La deftruâion cft on attentat envers l'Etre fuprême : fié- miflez I * C'eft la guerre d'ambition que l'on profcrlt 9 & non la guerre légitime* miffez homicides ! en ma préfeoce; rien ne peut vous excufer ; le iang de vos frères crie vengeance. Celui là même qui n'efl couvert que d'uoe goutte /anglante ^ fera tourmenté par le feu dévorant du repentir, & pia« fleurs fiécles pourront à peine Ja ta- rir. Vous foupirerez encore de re- grets, lorfque la clémence du Dieu de miiericorde voudra bien vous ab- foudre ; car faut*il vous le dire , cette tache eft ineffaçable. Vous n'avez agi que pour mériter des temples & l'admiration des races futures. Eh bien l vous êtes condam- nés à fouffrir ^ jufqu'au tems où ils fe- ront démolis , juiqu'au moment heu* reux oii les peuples éclaires maudi- ront la guerre & ceux qui en ont allu- mé rhorrible flambeau. Alexandre ! îi faut que ton nom foit en horreur fur toute cette terre « ou tu voulois être déifié ; il faut que tous ceux qui ont fuivi ton exemple foient mis au rang des fcélérats , aVant que tu puif- {es efpérer quelque pardon : puiffe ce ILPartif. ' L 2^1 tems n'être pas aulll éloigné que te demanderoic la réparation de tes for- faits. Souffre avec patience.; on corn- mence déjà à te dctefter ; on attache à ces expbits Ttdée d'injuftice & de barbarie. Des fages ont frappé d'op- probre tes fougueux imitateurs. La haine s'attache au titre de conque* Tant, & fur un coin de la terre il eft un Rot aimé y refpeâé de fon peuple i qui préfère le nom glorieux de pa- cificateur à tout autre nom. Un fquelette foVtit de lui-même de la foule, comme pour fe préfenter aux pieds de la Judice , & la voix da côté gauche devint fon interprète. fuprême Juftice , dit-il, )e fuis tout couvert d'un fang qui me tourmente, & tu le fais, je n'ai jamais tué perfonae. La voix qui écoit à droite répondit: Tu n'as jamais tué, mais , malheureux, tu as chanté les héros meurtriers, tu les as excirés au carnage , tu as célé- bré des viftoires inhumaines ; ta trom- pette immortelle a égaré nombre (i'ambiueux. En jmmortalifanc Icut nom, tu as immonalifé le crime des conquêtes ; tu les nommois des ttiom- -phes légitimes; & pofanc hardiment •les lauriers fur une tête barbare , tu n'a pas rougi de lui montrer la gloire au milieu des villes, des temples & des palais embrafôs. Le mafîàcredes hommes devoitil être l'objet du lan- gage des Dieux ! Les chants du génie dévoient - ils fervir les attentats de l'ambition ! la colère des Rois méri- te-t-elle d'être annoblie ? Ah! c'^- toient des larmes que tu devois ver- ier fur le fort de Thumanité fouftVan- te, ou pliicôc tu devois employer le génie dont la Nature t'avoit doué , à wire valoir fes droits éternels & fa- crés ; alors tes vers auroient été plus fti* Wimes & plus refpedés. En avilifTant les tyrans, en les rendant odieux à tou- te la terre , en les livrant d'avance à [horreur de la poftéricé, on eut vu la gloire fanglante des combats, ren- verfée de Ton char, dépouillée de ks rayons menfongers, expirer fous tes pieds triomphans. L'humanité t'eut fer- La ^44 fé dans fes bras en pleurant de ]oiel L'hommage des mortels fennbles,&: lé regard du ciel attendri , auroient été ta digne récompenfe. Que ta poëfie foit lue 9 admirée, à caufede Ion harmonie, tandis que tu expieras ici Tabus que tu as fait des plus pré- cieux talens. Je l'avouerai, en gémiflTant , je vis Virgile, Horace , Ovide , ces rares & beaux génies, mais ces indignes adu- lateurs du pouvoir arbitraire , fuivre les pas de cette ombre défolée. Ils furent punis , comme le chantre d'A- chille , pour avoir carefTé le monftre qui figaa les profcriptions , pour avoir abuGé le monde par des vers auffi mé- prifables qu'ils font coulans, pour p.voir les premiers donné l'exemple honteux de divinifer le diadème fur quelque front qu'il repofe. Tous ces }âches Hiftoriens qui ont déguifé U vérité, cette foule de flatteurs qvi çonfeillerent le crime qu'ils n'oferent commettre ,, ceux qui ont formé U çœwt des tyrans , ou (jui , plus çà ^45 ffiînels enCote , onc corrompu l'art âû parler au genre humain , tous ces per« vers, dis-'iCf écoienc traités comme s'ils euilènc verfé le fang humain; car ils peuvent êcre rangés dans la claflè des plus cruels ennemis de rhomme^ & Machiavel n'étoit la plu* me en main , que ce que Néron étoic fur le trône. La Juftice fit entendre fà voix ma- jeRueufe, Se dit : ParoiiTez à votre tour , héros chéris , qui n*avez com- battu que pour aflTurer le repos du Monde , vous dont la valeur utile a été la proteârice des foibles & Uafy- le de rinnocence , vous qui avez été aufli (upérieurs à vos pafTions , par vo- tre fagelfe , qu'à vos ermemis par votre courage. Approchez guerriers hu- mains , aufli braves que Tenfibles , ref> peâables foutiens des peuples, qui n'avez tiré l'épée que pour arrêter rhomme fanguinaire qui venoit les égorger. Vous gémiflez vous-même force fang impur que vpus avez été forcés de répandre , mais vos regrets H6 né doivent durer qu*ua inflant; c'eff un tribut qne vous payez à la Natu- re; elle vous tient quitte, alors que Je vous fuftifie. Alors, on vix paroi- tre les Séfodris , les Épaminondas , les Scipions , les Marc- Au rele, Char- lemagne, & Henri IV. Ils écoient fans taches ; les rayons lumineux du foleil de la vérité , rerptendiiïoient autour d'eux, & rendoient plus ef- frayantes les gouttes enfanglantées qui couvroient les coupables. La Juftice fît un figne , & ces derniers fureae plongés dans des abymes profonds, pour y être purifiés par les remords. Je me vb parmi lé petit nombre qui pouvoit lever vers les cieux des mains pures. Ma joie fut grande , car je louffrois autant d*étre auprès de ces homicides , que fi j'euffe éié moi- même couvert de fang. Parmi ces héros j'apperçus cet hora- me vertueux qui, embraHant la caufe du genre humain , dans une afTeâion tendre & fublime, forma ce beau pro- jet de paix perpétuelle qui fera tou*:^ ^47 iotirs la cVimere des belles âmes. It et oit confidéré comme Técrivain le plus honorable de tous les (idcles. Un îentimeot profond de bienveillance enflamma Ton ame grande Se fenfible. Les peines de l'homme tourmentè- rent fon cœur généreux ; il auroic voulu abolir dans Tunivers Tefclava- ge , le defpotifme , le vice & le mal- heur, & fur- tout arracher des mains des Rois , ce glaive terrible qui ferc leur ambition effrénée. Ses ouvrages avoient paru des rêves pendant le fommeil de la vie ; mais ici ils por« toient une empreinte lumineufe qui leur méritoic les regards de la Juftice. Ce philofophe aflis entre Henri IV, & ce Duc de Bourgogne adoré , te- noit entre fes mains le plan univerfel de la félicité des Nations. Il confuU toit ces grands .hommes dont Thuma* nité Gncere & profonde étoit fans fade, iàos vanité , (ans foibleflè ; mais hélas! la Nature leur avoir refufé de plus longs jours ! Mon ame ardente voloic comme pour s'unir à cette ame pure qui L 4 148 cliériffolc Pordre & l'harmonie pour le feul bien qu'ils fonc au monde. quelle joie ! quels momens heareax ! )*eus le bonheur de m'entrecênir avec lui fur des matières également inté- re/Tances & profondes; il avoic encore cec enthouHafme que les âmes qui ne fentenc rien condamnent , & qui eft cependant l'unique germe de toutes les grandes chofés. Ami y me difoit- il , le baulet rou- ge a été iufqu'ici la dernière raifou des combattans. Ils concevront , fans douce, un jour, qu'ils pourroienc en donner une meilleure. Tu vois quelle trifte Bgure ils font ici , devant le mi- roir redoutable de l'équité; ces fiers a^eurs du théâtre de la vie ont quitté les brodequins qui les hauflToient à nos yeux ; c'étoient Ses nains montés for des échafies, qui préparoient avec £racas leurs farces tragiques : le tribut confacré à la vraie grandeur & à la vertu ne fe paye en ces lieux qu'à Tamî de l'homme; cet exemple pour- ra les frapper. £n vain Ton dira que M9 ÎJBS a(&îrès font fi embrouillées qû'rl eft plus coure de prendre la voie des hoftilicés; il eft fur qu'il y a dans la politique un fyftême de paix gé« oérale , que la guerre n'eft point ré« tac naturel des hommes. Se qu'il n'ap- Î>artienc qu'à cei^x qui gouverneur 'Europe de donner la paix à l'EurO' Îe. 11 e(l faux qu'ils foient inévita* lement forcés aux combats ; tous les troubles de notre monde politique prennent leur fource dans leur am- bition particulière ; les affaires d'État font comme celles des particuliers ; rentêtement des parties fait leur ruine mutuelle. Qui ne gémiroit de voir les Nations que leurs befoins réciproques ont réunies, fe faire tous les maux po£« fibles, & rendre leur condition pire que celle des hommes qui errent fans maîtres & iàns loix ! La politique a paflfé pendant plu^^ lieurs fiécles , pour une (cience qui ne pouvoit être traitée que par une claile de mortels qu'on appelloit hommes d'État 'y mais aujourd'hui tout pacc»^ ^5 *5^ cùlier qui ralfonoe & calcule , peuf lire dans les cabinets de tous les Po- tentats de l'Europe; ils font percés à iour. 11 n'eft plus d'encreprife fecret- te ; on a évalué la force des Empires, & les reflforts les plus myftérieux peu- vent être ramenés à un point fixe. S'il eft quelque obfcurité fur les caufes fe« condes , ou découvre aifément les pre- mières • On répète tous les Jours que T Eu- rope eil femblable au corps humain, qu'il eft falutaire qu'elle éprouve des révolutions , fie que les guerres en entretenant toutes fes forces, ^ffermif- fent fa conflitmion. Rien de plusab- fucde que de comparer le monde phy- fique au politique ; l'un a des loix in- variables; Tautre n'en a jamais eues. It faut être bien aveuglé pour ne pas voir que des guerres, auflî meurtrières que les nôtres, anéantiffent & l'agri- culrure générale , & Tindurtrie & le commerce, dont les progrès font tou- jours combinés par le nombre d'hom- mes; qu^en conféquence , moins uo I5i €orps auta de force par lui - même, plus fes membres feront foibles. De- puis cent foixante ans , il eft defcen- du ici-bàs au moins vingc-deux mil- lions d*hommes^ malheureufes vie* times acs combats , Se morts à la fleur de leur âge. L'Europe e/l donc in« £niment plus foible qu'elle ne Tétoic il y a un fiécle. Cette belle partie du Mbnd^ dépérit fenliblement , & il y a de quoi être effrayé de TanéantiOe* ment de Tefpece humaine. La France, par exemple , eft privée de quatre millions d'habitans ; elle a donc per* du de fa richefle , de fa puiflance , de fa fertilité. Indépendamment des relations que l'Europe, peut avoir un jour avec le refte de Tuniversi on ne la verroic pas flétrie par ces défàftres affreux , n*avoir pas de quoi nourrir fes babir tans y faire venir une partie de fa fub- fiftance d'Afrique , tandis qu'une par- tie immenfe de fon continent demeu- re inculte ; qu'elle béniffe le defpotîf- me qui enchaîne fous la fervitude le» L6 i5^ peuples deTAfie & de T Afrique; fanî joug aiToupiflanc , fi fanefte à ces vaftes États f mais uûle à elle tnêmey elle n'auroit aucun rempciK à leur oppo- fer. Sa politique incertaine , fon io« quiétude y fa dcfunion , tout hâceroie fa chute. Le peuple ne voit pas combien de reflforts honteux il &ut mettre ea ufage pour &ire marcher une armée. Nos Gouvernemens ont la fureur des combats , & aucun d'eux n'eft milî^ taire par ta nature ; il faut acheter ou traîner de force des foldars. Chez les Homams point de caiflfe militaire; les conquêtes n'étoient point à prix d'argent. Aujourd'hui tous les peuples modernes ruinent le Gouvernement civil pour foutenir TÉtat politique. Ce font les finances qui forment le nerf de la guerre. On paye tout en or p coarage , vertu , bonheur ; ce com- ,merce fuivra la fortune des Gouvei^ nemens. Qu'auroient dit les anciens, s'ils avoient pu favoir qu'il y auroitdes £cats oîk l'or & l'argent ferolenc l£& \ leuls moyens , & où il fe troaveroit des fujets & point de ioldais ? * 11 fut un cems où TEorape n*étoit pas établie en république générale ; ]e5 Nations n'ayant prefque poînr de communication , n'avoient point de guerres ; l'or & l'argent étoient en petite quantité , & n'avoient pas en» core irrité l'ambition ; la paix fe pla- $:oit d'elle-même dans Vheureufe paii» vreté des peuples. Ils étoient natu^ Tellement privés des moyens ingé* nieux & cruels de s'exterminer. Les anciens avoient conquis le Monde pour la gloire de la conquête* La guerre devint parmi les modernes UQ commercé d'intérêt. 11 n'eft pas éton- nant que les bras qui défendirent alors la patrie , devinrent mercenaires ; c'étoit à qui payeroit le plus de bras. Le fyftême des arts vint enfuite , St acheva d'embrafer toute TEurope-. Chaque Nation voulut attirer à elle toutes les richeffes; en prenant Vot de fon voifin , on le privoît de fa force f celle. La puiiTance d'un État s'écoot ^5* toitf pour-»aiaGdire9 toute enuerè chez un autre. On livra des b^taiifi les pour de nouvelles manufaâures ; tous les anciens fyftêmes policiquei furent renverfés; l'Europe prie udc . nouvelle diredion ; des Gouvern^ mens marchands forcirent du néant, levèrent une tête orgueilleufe , & devinrent des Puiflfances guerrières; ils louèrent des bras à leur tour ; ils achetèrent des alliances; tout fut vé- nal Se cprronopu; Tinduftrie ouvrit une fource/ intarriiïable de maux. JL'entrecien des troupes dérangea les finances de chaque État ; ce nombre défordonné 9 livré au libertinage & à roifivetéy ceifa de jouir de quelque confidération. On les fit battre fans nçceflicé & comme par paflfe - tems. Bientôt chaque Monarque fe trouva gêné , & comme à l'étroit , dans Tim- menfe enceinte du Royaume où la Providence l'avoit placé. Tout Prince voulut jouer un rôle fur le théâtre de l'Europe; tousafpirerent en fecret au premier, 6c la modération devint une ^55 Terta méconnue de la politique me. Les chefs des États fe rendirent les perturbateurs du repos du monde^ 6c l'envie déréglée de faire tout re* tentir de Ton nom^ devint une mala- die incurable qui a tes redoubleàiiens. S'il n'y avoir jamais eu de gazette , peut être tel Koi qui a ravagé une partie de TEurope , n*auroit pas fait fbnnef un feul coup de tambour. 11 eft aifé de montrer le mal , lui dis -je , il abonde de toute part; mais où eft le remède , il eft caché t Quel œil aura la fagacicé de le dé- couvrir? Comment concilier les in- térêts politiques des Souverains P II faudroit démonter la machine de l'Eu- rope; ce feroit changer Tordre des chofes, ou plutôt renverfer tout. Les fleuves remonteront vers leurs four- ces avant que le deBr d'acquérir & de dominer ceflTe d'être dans le cœur de l'homme le defir le plus ardent de tous. Plus vous voudrez Péteindre, plus vous lui donnerez de nouvelles amorces. Les hommes puiflàns font 15^ fûjuftes par nature , & U ne faqt p&i penfer qu'ils puiflTenc jamais devenir Î)lus équitables. Qui les forceroic à iiivre la juftice? Les combinaifoos de la politique ; elles changent , va- rient y & ne peuvent avoir aucune fo* lidité. Tous ces traités conclus ppuc le repos public , ont été le germe de débats plus longs & plus Tanglans; c'eft donc une iinpolfibilité morale que de parvenir à paciBer l'Europe. Ami, répliqua- 1* il » î'avoue que tant que les hommes (erant mechans ^ ils fe feront la guerre ; mais s'ils de- viennent plus éclairés fur leurs vrais intérêts» ce qui eft très-poffible, ils feront certainement plus jufles. On a vu des peuples en paix pendant plu- (leurs (iécles ; s'ils prennent tout à coup les armes, ce n'eft point l'eflet du hazard , plufieurs caufes ont in^ flué fur ce grand changement. Le pafTage de la paix à la guerre a d& être extrême , violent ; le retour de U guerre à la paix e(i long , difficul- tueux. C'eA un orage qui a fon cours } nais le calme doit fuccéder , qnand il ne devroit oaître que d'une lafficu- de de fureur , & d'un lépuifemenc de forces. La morale peut alors parler par la voix de la raifon , & par celle du fcntiment ; elle peut afTbupir les haines nationales » éclairer les efprirs, difpofer les cœurs , & y fur de Tes principes évldens , i'aurois plus de confiance en elle que dans cous nos fyftêmés politiques. Je penferai cou^ jours que la paix eft une affaire de raifonnemenc , & les hommes rai(bn« nent très bien quand ils y font inté- relTés. Dans ce inonde tout dépend du premier mouvement; une idée change un fîécle ; un feul homme donne un cours nouveau aux événe- mens ; ces mêmes caufes qui agitent l'anivers depuis la création du Monde peuvent fe détruire. Ces caufes ont été enchaînées Tune à Tautre par des liens qui nous font invifibles ; elles fe font formées par degré, elles pour- ront tomber de même.... . Il &t une p^ufe^ & reprit. Dans tous les t rai ces on parle Je paix éternelle. Ne vaudoit- il pas mieux limiter un tems marqué ;* je Aiis certain qu'on le verroic fuir avec regret. L'image couchante de la paix fe mêleroic plus vivement au tableau des horreurs de la guerre. Par un paf- fagè aufli brufque , le concrafle feroic mieux apperçu. Une crevé feroit plus (impie 6c plus praticable que le pro* jec de récablir chaque Souverain dans fes droits ; les voies d'accommodé* mène feront plus faciles lorfqu'on ne demandera aucune reflitution. Les États font comme les particuliers , ils veulent jouir de ce qu'ils tienoeDC. Remarquons que cette trêve donne* roit à chaque Gouvernement une pui^ fance égale, & pourroic faire rentrer chaque Nation dans fon premier état de force. Les forces de chaque Çocié* té politique ne font que relatives. En paix elles font toutes au plus haut degré de puiflfance ; le principe def* truâeur qui les mine|(eroic fans ac- tion ; les yeux de l'homme s'accduta* 159 meroiem à Vimage d'une concorde gé- nérale ; il perdrpic Tborrible habitu- de d'un fpeâacle de carnage ; on ne le verroit plus s'encrecenir avidement de nouvelles homicides , en repaî- tre fon oiHve curiofîcé ; des idées plus douces , plus inftruâives , vicn« droient récréer fon loifir. Je le répète, une fufpenfîon d'armes d'un certain nombre d'années , inviolablement ci- mentée f eft le premier chemin qui puiHe conduire à une pacification uni« verfelte. L' Europe n*eft elle pasTÉcatde tous les Écats r Quel degré de force & de putfiance auroit notre nu)nde politi- que s'il eut fuivi les mêmes principes que certaines Républiques , qui , com« me celles de Venife, & la SuiflTei s'ont employé jufqu'ici d'autres fyflê- mes^ que celui de fe maintenir dans une paix profonde! Comment tous les Souverains n'ont- ils pas ienci que leur première maxime devoir être d'augmenter par une paix fixe 6c per- manence , le nombre des bras qui i6o tuUiVent la terre f Comment la Frafl^ ce, par exemple , oubliant fes plu» chers avantages , a-t-elle pu envoyer fes enfans dans les combats , hors de fon fein , tandis que fa pofition heo- reufe , fon fol fertile , fes places for- tes, la rendent invincible, tant qu'elle fe tient fur la défensive ? Ceft que , lui répondis- je , comme le dit un Auteur profond , de ladé- fenfe à Tattaque le pas eft fort glif- fânt, ôc que, peut-être, il eft des guerres juRes. Une guerre jufte *l reprit avec feu cet homme vertueux; c'efl; de cette grande & importante queftion que dépend le malheur ou le bonheur du genre humain ; n'é- coutons point la politique , elle com- met en fureté de confcience des maux effroyables. Remontons aux principes; la Nature a mis en nous une puiflance qui nous porte à repoufler le mal que * Quoiqu'elles foient rares » on tje pré- tend pas inlinuer qu'elles foient toutes ûh juftes» \ ±6t Pon pourroit nous faire ; maïs cette puiflTance efl bien difierente de celle qur attaque ou de celle qui fe ven«. ge. Là' défenfe doit être abfolument personnelle , & ne peut pas s'étendre plus loin que la durée de Tinjure, elle eft. momentanée, ou elle dégénère en vengeance, qui efl un vice, que (quoi- qtfon en dife ) j*ofe croire étranger à la (impie Nature. La vengeance eft fille de l'orgueil ; c'eft juflement le privilège que nous avons de nous dé- fendre qui nous interdit toute atta- que. Or , la guerre eft bien éloignée d'être une défenle prompte & légiti- me , elle n*eft point d'homme à hom- me y mais d'État à État. Elle n'eft donc plus qu'un moyen d'augmenter fes prérogatives ; & , loin de porter un caraâere d'équité , elle fert les fureurs de l'ambition. De même que les payens offroient le fang des honv» mes à leurs Dieux , ain(i l'orgueil am- bitieux fe facrifie un nombre horri* ble de viâimes. Sans doute , il n'efl; pas permis aux hommes de fuire V9ft ioîr toute la force qu'ils ont reçue de la Nature, ce qui ferott de la terre un ré)our de brigandages. Si une fo- xiécé avoit le droit affreux dctvuîder Xcs diiTétends par la voie des armes, toutes Tauroient; & qu'en ^é^ukeroi^ ilp ce que nous voyons aujourd'hui, la deihuâion de refpece humaine. Voilà la preuve de Tin juftice desguer- res ; qui peut balancer la plaie qu'el- les font au genre humainf II n'eft point de calamités particulières ; tout ell lié dans la rc^publique univerfelle. Une partie ne peut être lézée que leJ autres ne s'en reflTentent. Si les États étoient i fol es , les maux feroient moins grands; mais ils font affreux, parce qu'en fe multipliant ils fe com- muniquent à tous. Les Souverains eux- mêmes avouent dans leur manifefle que la guerre qu'on leur fait eft in- . jufte ; tous s'accufent réciproquement, & je vous laifTe à en tirer la conclufion. On a vouIai établir le droit pliti- que fur la nature phyfîque des bêtes; c'eft abufer de l'art de raifonner. Les 26 i anrmaux ne font point en état de goei^ re; il eft parmi eux , il eft vrai , des aveirtons ,cles antipathies fondées far des caufes qui nous font inconnues , xnsLts aucun animal *n'e(l en g^ierre avec celui de fon efpece. On n'a point vu une armée de tigres fe battre can« tre une autre armée de tigres , ft Ton voit continuellement des armées d'hommes fe détriiire. D'ailleurs , la raifon étant ce qui di (lingue rhoni* me des animaux , il doit l'employer pour la difcufTionde fes intérêts; mais lorfqu'on dira que les Gouvernemens font dans une perpétuelle minorité » qu'ils ne font foumis à aucunes loix qui puitfent les engager , qu'ils ne font pas ménie enchaînés par leurs propres traités ; lorfqu'on verra les vainqueurs lever au ciel des mains - enfanglantées , comme pour Tat focier à leur fureur , pouflTer des cris de joie après des homicic^es , être infenfibles à tout remords , alors. . . . Je l'interrompis , en lui difant , je crains bien qu'il n'y ait dans Tefpece ^^4 bumaîne un certain penchant à la cruauté. L'homme ne feroit*il poioc un être méchant f Tu ne le penfe pas i reprit - il , mais garde - toi bien , même pour tenter Topinion d'ali- trui , de proférer un tel blafphême. Tu fais comme moi quels font les mo- teurs de la guerre, & dç ces autres fléaux non moins terribles;... va, rhomme eft né bon ; & puifque nous fommes dans cette intime familia- rité , où la penfée librement fe dé- ployé f je vais. • . • Tout à coup une décharge d'artil- lerie rne réveilla en furfaut ; elle cé- lébroit la nouvelle d'une viâoire. Pour moi fuyant le tumulte des ré- jouiflfances publiques , le bruit du (al- pêtre enflammé , TivrefTe d'une popu- lace aveugle , je me dérobai à la fou- le , & dans un cabinet folitaire , j'écri- vis ce fonge» m SONGE i5^ SONGE HUITIEME. Z>€ Vjimour^ LE tri/îe mois du Sagittaire an* Donçoic déjà l'hiver aux cheveux blancs; le flambeau des cieux ne jet- toit plus qu'un éclat pâle , & la nuit plus longue fucccdoit rapidement aa jour. Adieu les plaines riantes yie^ bois ombragés, les ruifleaux tranquilles; le froid vitillard qui s'ailied fur les orages , tout hériflfé de glaces & de fîimats , chaflfoit l'Automne expiran- te. 11 falloLt retourner à la ville , à cette ville tumuUueufe , où toutes les pafTions fermentent , & femblem de leur fouffle impur , corrompre l'air qu'on y refpire. J'abandonnois à re- gret ces belles campagnes , oa ^x mois s'étoient écoulés comme ur^feul beau jour. Au milieu de ma route , je m'arrêtai fur le foir dans une hôtel- lerie pour y paffer la Duit.,Afîis au^ !!• Partk. M ^ près d^un targe foyer , d^oît jatHifloît un feu brillant , je réchauflbis mes mains engourdies , lorsque je vis en- trer une jeune femme d'une figure incérellànte ; fon gefte & (a démarche annobliflbienc la bmplicitd de iês ha- bits ; elle tenoic dans fes bras un pa« quec moUemem preffé contre foofei'o. A peine fut-elle à mes côtés, qu'elle l'ouvrit , & développa d'entre plur fleurs langes le plus bel enfant qut ait jamais frappé mes regards. Cecce fcènè , quoique naturelle & commu- ne , me toucha vivement par les gra« ces I la nobleflfe , la dignité de celle qui la repréfentoit» Refpeâueux ad- mirateur de la tendrefle maternelle » je la confidérai néai\moins avec beau- coup d'attention. Les traits les plos fins fe deffînoient avec fierté dans les contours d'une phyfionomie douce & touchante; fes yeuK étoient {>leinsde feu» mais la mode Aie en tempéroitla vivacité ; fa parole étoit ferme , quoi- qu'un peu agitée; & cet enfemble (oipoipit; w tableau ^ui m'act^çl^av tout entier. Encore plos excita par un intérêt cendre que par un pen* chant curieux , je me hazardai à loi demander d'où elle venoit, & fi elle avoic encore loin à marcher , chargée d'un tel fardeau. Ce n'eii jpoint un fardeau , me répondic-elle d'une voix douce 4 mon enfant m'eft trop cher pour pefer dans mes bras ; ils ne fe repoferont de l'avoir porté , que lorC- qu'ils l'auront remis dans les bras d'un père. Puiflëje toucher à cet infianc heureux! mais fi le fort Téloigne, refpérance courageufe faura me don* ner la fermeté de l'attendre. Ces roots prononcés avec quelque véhémence , m'infpirerent le defir d'en favoir da» vantage. Je la quefiionnai poliment ^ & avec ce ménagement , ce refpe£fc qui invitent l'ame par l'accent de la droiture , fans aucune autre efpece de violence. Son cœur naïf fe trou- vant d'abord un peu embarraflTé dans le chemin de la fincérité , héfitoit à chaque réponlè ; mais enfin , foît que ma façon de parler lui fuggéiâç M <2i quelque confiance > foie qu'elle troii^ vât un foulagemenc fecrec à me faire un aveu que je paroifibis délirer , elle me parla ainfi : Vous reconnoîcrez ai- fémenc à mon accent que je ne fuis pas de cecce Province ; je fuis née à *** ; je perdis ma mère de trop bon- ne heure; bientôt je me trouvai à cee âge où tout paroît féduifant , & où on le devientfoi-même. Parmi tant d'yeuK qui cherchoient à fixer les miens j il s^en trouva deux auxquels il fallut ré< pondre. Je ne pus m'en défendre» cap en les voyant , je crus voir le bonheur qui y brilioit d'une flamme pure, elle acheva d'embrafer mon coeur« Nous fûmes bientôt d'accord , nous nous entendîmes; nos coeurs n*en formèrent plus qu'un , Se forcés de cacher notre amour y il n'en devint que plus vio- lent. J'appartenois à des parensatfês» mais d'un caraâere tyrannique ; tnoQ amant étoit jeune, bienfait -, fpirituel» vertueux ; mais fa fortune étoic de beaucoup inférieure à la mienne. On ;efuf(i de me le donner pour épouxî w homme riche , fans grâces & fans tn^ rite, vient, me demande en mariage p comme on detnanderoit un bijou pour lequel on auroit quelque fantaifie: l'occafion parut fi avancageufe , qu'on n'accorda à mes larmes que deux jours pour me décider. On a beau dire, une fille jeune & timide, accoutumée à la fourni (Tion , ne peut fe refufer à la main d'un père , qui , d'un air impé- rieux , la traîne à l'autel. Je ne me fentois point cette force; je confultaî mon amant , comme ce que j'avois de . plus cher dans le monde j & je lui dh: Je ne vois que la mort qui puiflTe me fouftraire aux ordres d'un père qui femble plutôt tonner que comman- der ; que faire ?- Fuyons, me dit-il, fi vous m'aimez ; la fuite eft nécef- faire, & il me ferra dans fes bras fans parler. D'autres pays , pourfui- vit-il, nous offrent des afyles contie la tyrannie, partons; la terre nourrit dans fa vafte étendue tous fes enfans laborieux ; Dieu nous a donné un cœur qu'il a fait l'up pour l'autre, c'eft. à ià M} Frovidence qn'il êluc nous confier; Venez , c*e(l déformais à mon bras à guider vos pas. Sa voix douée d'ua charme irréfiftible m'entraîne : l'A- mour nous prête fes ailes , maisauflî fon imprudence ; dans notre ivreiTe , nous aurions été, je crois, jufqu'au bout du monde , (i le manque d^argent ne nous eut tout à coup arrêtés. Surpris , nous nous regardâmes, & déjà endettés dans ce même endroic oîi vous me voyez , il ne nous étoit plus pertdis d'en fortfr. Je portois dans mon fein cet enfant qui charme vos yeux & les miens. Quelle fituation pour une mère , pour un époux ! Je l'appelle mon époux , & il Teil en effet ; nos ferment mutuels font montés au tri- bunal auguflje de la Divinité , ils n'a- voient qu'elle pour témoin; mais au- cun de nous n'eft aflfez vil'pour les rompre. Mon époux dans la mifere fe rappella un oncle dont il arvoic toujours entendu vanter rhumanité bienfaifante. Il occupoit un pofte lu- 4:ratif| non loin de cette contrée. Te Tlfous^tti , tue dit-il , à me laîiîer pBFN tir feul y pour toucher un oncle qui peut nous fecourir f car }e meurs de honte & de douleur de voir l'état oii je t'ai réduite; les travaux de mes inainà feroienc aujourd'hui infuflSfàns , refie ici en otage , & ne crains rien. . . . Va, lui répondis- )e, en le baignant de mes larmes ; moi ^ douter de ton cœur y jamais ; ce ne fera point ta main qui me portera le coup de la mort , non. • . • Il part« Depuis trois mois je n'ai eu aucune de Tes non* velles ; dautres foupçonneroient fa fidélité , mais j^ fuis loin de cette hor- rible penfée ; mon époux n'eft point mort f car le ciel eft jufte ; je ne fais oii il eft, mais je l'attends chaque jour. Cependant j'ai été livrée aux douleurs de Tenfantement loin d*un6 vue fi chère , & qui auroit pu les diminuer; il n'a point reçu fon fils dans fes bras , il ne l'a point embraf* fé« O ciel ! dans quelle inquiétude doit-il être plongé f En quel qu'état ^u'il foit, il fouffre , 6; l'image de fes siânx aggrave les miens* Rien ne me manque encore ici^ il eft vrai; les gens de cette maifon fe font intérêt^ fés à mon fore; ils n'ont point {mXt peâé mon honneur , ma probité; mais la naiflànce de cet enfaot accu- mule mes dettes. Qu'il eft dur de devoir de pareils fervices à la pitié d'autrui ! Quel (eroie mon défefpoir , fi la religion ne foutenoit mon coa- rage f Je pleure en baifant mon enfant , lorfque je fonge que le pre* mier aliment qu'il reçoit , eft à ri- tre de grâce : je tremble que Tinfor- . tune qui fe levé à fa première auro- re^ ne raccompagne le refte de ^ts )ours. Dieu proceâeur de l'innocen* ce, aye pitié de lui ! mon épouKeu partant m'a conjuré de l'attendre ici, de n'en point (ortir , fur-tout de ne point m'inquiéter , quelque retard qui puifle arriver; j'en crois fa parole, comme (i c'étoit la voix du ciel mé- me ; j'ai porté long • tems ce fccret douloureux fur mon cœur^ vous tm le premier à qui je me fois bazardé de ; ^7i le découvrir. Otv décourne fi prompte*^ metit les yeux de deflus une inf6rtu« née y on eil fi cruellement ingénieux à lui fuppofer des fautes ; la picié de certains hommes eft fi oucrageao- te j fî barbare. .. • Je remarque qu'on commence à fs laflèr des lecoursque Von m'accorde ; on me demande pour- quoi je ne reçois aucune nouvelle de mon époux , s'il reviendra bientôt ; Je ne fais que répondre , chacun s'étoo* fie de mon courage y mais perfonne* n'a mon cceur. Je gardois le filence, eiTuyant une- larme qui nailfoic dans mes yeux. £Ue pour fui vil d'un ton plus animé. . . « Ah ! s'il vivoit , il feroit à mes côtés; snais cet enfant dans qui je Tembraile* (& crois le voir , voilà le lien qui m'at- tache à l'efpérance ^ à la vie. Ea achevant ces mots , elle le baifa ten<» dremenc , en lui jettant ces inexpri- mables regards où fe peint l'én^ergie ée la Nature. Elle paffa modefte- ment la tête de cet enfant fous fon^ nottcboir , pour laifler librement fi^ •^74 petite bouche fuccer le tak délkieiâr de Ton beau lein. 11 étoic d'une blao^ cheur éclatanxe. J'écois un peu trou» blé. Qu'elle étoit belle alors! Ah[ î*ai vu la majefté des Rois affis Ibr leur CTOoe , celle d'unemere eu cette foDâton augttïle eft bien j)lus digne de nos refpeâs. Mats tout à coup entre avec préct- pkacion un îeuiœ homme un peu en défordre; il vole dans les bras de cette tendre mère qui iecte un cri ; il la tient long-tems preflee contre fou cœur. Il ne &ut point demander qui c'étoic ; muette^ de tendreté & d'é- tonnement , elle lui préfente fon fils,, ce Ëls qu'il n'avoit point encore va; en le prenant dans fes bras il ne fiit plus maître de lui*même ; il levoie les yeux icts le ciel» & des pleurs ruiffeldienc le long de fes joues; il fignaloit les fentimens donc fon cœut ëtoit plein par des exclamations mê- lées de cris de joie aigus ^ inaicticu^ lés , & qui reffembloient prefque à ceux de la dauleur^ £mpoité par dos fc'^-* ^71 ffiotlvemetis contraires , Se qui Cà cod- fondoient , il Cerroic cour à cour U tnere 6c l'enfant contre fon fein ; les larmes de cecce innocente créature ébranlèrent fon ame enciere; il y ré« pondit par Ces baifers. Il ne pouvolc le décacher de cette partie de lui* même qui lui étoit plus chère que ùl vie, & tous les témoins fe fentireoc agités à ce fpeâacle touchant , de Té- motion la plus vive. Je partageois la volupcé dont ils s'enivroient ; l'envie de fe parler plus librement les entrai- na vers leur chambré ; le jeune hom- me foutenoit les pas de fon époufe , dont les forces fembloient épuifées par l'excès de la joie, bon oeil vigi- lant n'abandonnoit pas un inftant fon fils; & d'un bras proteâeur il écartoic l'ombre du danger de cette tête in- nocente. Je les vis s'éloigner à regrec ^ ils emportoient le plaifir délicieux que je goûtois à contempler leur ten- dreffe mutuelle. On me conduifit dans une cham- trcj j'appcrjus qu'elle ctoîc voifine M 6 ^j6 ée h leur. Une porte mal eondam^ ^ fiée , fimpletnent recouverte d'une tâpiflerie, me laiflbit diftinâemenc éuiendre leur voix. Un fenciment ia- volontaire me maîtrife , & me porte à prêter une oreille attentive ; le jeuiie homme avait la parole (1 animée que je ne perdis pas un^ (eul mot. Tendre amie , difoit il , livrons nous au plaifir de nous aimer , puifque c'eft le feul qui nous refte , puifque c'eft lui qui nous ravit tous les autres biens; fos- tiendras tu avec courage le fort qui nous eft réfervé ! te (ens tti la force de m'entendre?- Parle fans craintei r^pondoitelle ; il y a deux heures que fétois la plus infortunée des fem- mes f je me fens la plus heureufe : tu vis , tu m'aimes ! mon fils dort entre nous deux! nos regards fe croifent fâr fon berceau ! c'eft une exiftence nou- velle qui anime mon cœur, qu'ai-je encore à.çlefirer? Si des parens cruels BOUS refufent la vie, nous la demai- derons à toute la terre ; nous loue» jBODSs 001 bras à dfié xr\mte$ dont; }k I *77 fyranme fe bornera du moins à joufr du fruit de nos travaux ; nous pou9» sons nous aimer en liberté , vivre » tra- vailler & mourir pnfemble. • O Dieu ! reprit le jeune homme., iî*eft-on riche que pour être injufle ? J*ai volé chez cet oncle , en qui j'et l^érois trouver un père , il étoit déjà prévenu par le tien. Dès le premier ^bord , il me reprocha d'avoir violé les toix4es plus facrées, d'avoir dés* bonoré fon nom, de m'ê^re rendu di* gne du dernier fupplice. Je ne rêve- Bois pas de mon étonnement ; je crus qu'il avoit per^Ju te Cens. Il ajouc«^ que celle que j'avois eu l'audace d'en* lever ne feroit jamais mon époufe; que toii. père en avoir fait le ferment^ & que lui même avoir promis. d'ia« terpofer fon autorité pour te remeK tre en fes mains^ Il accompagnoit ce difcours da gefte de l'indignation & du mépris* Quoique fenfiblement bleilé» je dégui* iai J'état violent de mon cœiir,; je lui feigpis notre amour tel ^u'il^yoûéi^ yw^ innocent, imprudent pemétfei xnais vertueux. Il m'impofa filence d'un ton menaçant ; il me die que je o'âvois point d'autre parti à prendre que de te livrer entre les mains fans aucun délai , & de me fouftraire moi- même par une abfence éternelle aux juftes vengeances d'un père irrité. Je lui répondis que la colère égaroitfa raifon, & déplaçoit à Ton œil les li- mites du pouvoir paternel , que tout pouvoit nifément le réparer fans bruic & fans violence , que fi i'avois com- mis une faute» cetœ faute etoit ex- cufable , que c'étoic celle de l'amour , 'qu'elle obriendroit grâce aux yeux fde tout homme fenfifale , n'ayanc été ni raviflTeur, ni traître , ni féduâeur. Comme il ne m'écoutoit point, je Voulus abandonner ce pàreiit cruel ; quelle perfidie ! on fe jette fur moi , on zù'arrêre , on me conduit dans lespti- fons où je fuis étroitement reflerré ; on tie met d'autre prix à ma liberté que de déclarer le lieu de ta retraite. Je gai- ^lie Un généreux (iience ^ malgré to0- tes les perrécations & les mftances fer pl«is arcificieufes. Ma fermeté s'ac- croît par tout ce que )e fouflfre , mais je fouffrois pour coi ; & à cette feule idée 9 ma captivité cedoit d'être hor« rible. Ma perfévérance change en fu^ reur ta colère de ton père ; il arrive, il paroît devant moi » il feint de modérer fes tranfports ; il ofe me promettre ma grâce 6c la tienne , n )e te remettois à lui ; c'étoit mV vertir quune clôture éternelle t'at- tendoit ; mais un amant qui craint pour ce qu'il aime , a des yeux trop perçans pour ne pas pénétrer un tel piège. Je lui répondis avec fierté ; Votre fille neft plus à vous, Monfieur» vous l'avez tyrannifée; vous méditez en ce moment la perte de ià liberté ^ vous dreflez le plan de fon malheur. Elle m'a choifi pour époux, je dé* fendrai fon choix julques à la mort ; c'eft moi qui dois répondit de fa li- berté , de fes jours & de (a félicité t les droits d'un père qui ne refpireque ]a vengeance cèdent aux miens; Se «>mmeat ofez - vous conuediie up d^oix qui afltire fon bonheur ? coiQ^ ment o(ez-vuus prétendre un ecnpi^ fur des inclinations auxquelles le cœur même on elles font nées ne peut com- mander ? je recevrai la mort avanc que de livrer à votre aveugle courou^ une tête (i cbere ; oui , jemourrai avanc de manquer au fecret que je lui dois» On me laiflfà quelque tems tran« quille. L'homme chargé de m'ap* porter quelque nourriture , parut s'in- térefler à mon état ; il m'offrit fes iervices , & voulut m'engager à loi confier une lettre que j'. vois écrite; mais je ne pus jamais me réfoudreà y mettre une adrefle.- Pour vous prou* Ter la lincéricé de mon attachement i me dit il, fi vous voulez , dèscefoir Je vous procurerai les moyens de vous échapper, pourvu que vous en pro- fitiez' avec précaution. Je le ferrai entre mes bras comme un libérateur. H me tint parole , & la nuit fuivamc vit précipiter mes pas vers toi. Vi\ marché trois jours de fuite fans pieo- dre aucun repos ; & fi la fatigue m'ao- ^udblok^ r Amour me prêtoi^ieifol^ i8r ces. J'ai tout oublié , tendre amte; maiotenanc que je repofe auprès de toly que ces bras fonc enlacés autour de$ miens , & que ta douce haleine eu fur mon vifage; cependant , faut- il ce lè dire y mon amour n'efi point fans inquiecude, j'en crois crop, peut- êcre , un preffenciment facal ; mais je crains qu'on ne m'aie laide fuir que pour mieux fuivre la crace de mes pas p & pour mieux s'affurer de Vhfy\s qui ce recelé. Si c'écoic un Ilraragâ- me ; Dieu ! • • • J'ai vu non loin d1ei une cbaife de polie fermée; je Tai remarquée dès le premier jour de mon dé parc ^qui fui voie la même route que moi. Fuyons y cendre amie ,. fuyons de ces lieux dès la poince du jour , & choî- fiiTons un afyle où la Providence dai- gne nous protéger concre nos perfôcu* teurs, - Mais y commenc partir, ré- pgndic la jeune époufe, lorfque nous fommes engagés par une dette que nous ne pouvons acquitter ? l'honneur^ la probité nous retiennent ici en e£- clava^e. Dis- moi^ cher ami ^ trouva m quelque moyen de les accorder avec la , nécefficé où nous fommes ré* duits F * Oui f (ans doute , mais co n'y voudras jamais confencir.- Parle.- Je ne crains que pour toi ; ii Tod v^ noie ('enlever de ces lieux , nous fe- rions à jamais perdus l'un pour Tau- cre p & mon défefpoir feroic fans bor- nes. Fuis avec mon fils, cache -toi dans quelqu'endroic où tu puifTe d^ i!neurer inconnue ; je refierai ici pour répondre de la fomme; je vendrai, s'il le hut , mes habits & les derniers eflets qui me reftent ; peut être d^ viendrai je i*ami d'un cœur compâ- tiflànt & généreux que nos malheurs toucheront ; alors je revolerai vers toi, ôc nous ne nous féparerons plus ; mais le premier de nos foins eft de te^roof- traire à la pourfuite d'un père ; il c'efr iêvetiroic pour ta vie dans une roaifoa de douleurs & de défefpoir. Mon tang fe trouble à cette feule penfée. . .. Cependant fi ton cœur ne peut fe ré- foudre à me quitter, demeure, noos mourrons enlemble.» Non ^ dit-ell^i je dauferois ta perte , il fuffic de la mienne ; je ne me flatte point de fié* chir un père irrité ; il m'arracheroic de ces bras. Je fuirai pour mieux a& furernocre liberté & notre bonheur... A ces mots 9 le jeune homme Tem- braflfe ; ils ne fe répondirent plus que par des foupirs , & une douleur vo- lupcueufe qui avoit fon prix abattit fur eux le doux fommeil qui les fur« prie infeofiblement. Mon cœur ému palpitoic avec vio- lence , je donriois des larmes d'atten- driflement à leur fort. L'ame plon- gée dans une douce mélancolie , je me difois à moi-même : Quel-eft ce mouvement fympathiqué dont Tim- pulHon aufli rapide que viâorieufe , réunit fî étroitement deux êtres, rend courageux le fexe le plus timide, & iàît foupirer le cœur le plus féroce ? O charn>e invincible de la beauté ^ ton empire eft certain, œil eft plus doux, fon front plus ferein. Le moment arrive, où il faut rendre avec douleur le fruit d'une union volqptueufe ; c'eft aux bords d'une fohraiae que fe pafle cette icène attendriflfante ; elle furmonre toutes les peines d'une mère pour n'en goûter que les plaifir^. Le cœur du fauvage eft ému d'un fentîment nou* veau ôç^fupérieur à tout ce qii'iU . ^95 - . eticore reflfenci; il reçoit (on énfane dans fes bras vigoureux ; il annonce déjà la force & la fanté de Ton pere^ il reconnoîr Ton fang ; & il ne lui fera pas plus pofTible de s'en décacher , que de renoncer au fencimenc intime de cette liberté , qu'il idolâtre , fans fa^ voir qu'il peut la perdre. Tu vois f me dit la Nature , les en- fans qui font demeurés les plus fidèles à mes loix; d'autres bien moins fenfés one voulu réalifer les rêves de leur efpric# Ils ont rougi de leur nudité & de leur bonheur ; ils ont rejette mes bien* faits, ils ont fait un code bizarre. ... Si le les abandonnois à leurs propres loix. . • Mais, non; l'inftinâ: , leur premier guide , cet inftinâ qui malgré eux les porte au bien , veille , en dépic de leur orgueillçufe folie , à la con- fervation de l'efpece. Vois comme iU fe font équipés*. 11 y a quelque chofe d'ingénieux dans leur déguifement^ car ils ne pèchent pas faute d'efprit , mais faute de bon fens. Ils fe plai- gnent de leur condition ; qu'ils nfac« ^94 cofent qu^eux* mêmes: ils fefontîaîP fés aiTervir ayant une ame & des bras^ jparce qu^amoureux de biens frivoles^ ils ont dédaigné ma mâle & fëvere tempérance ; iU n'ont plus fu mourir.. jAujourd'hui, ils n'oncd'aucre elpoir que dans la compaflion qu'excite leur indigence Je reportai la vue dans le verre myftérieux , & j'apperçus des hon> mes policés. Ils fe reflèmbloient pref- que tous; on ne didinguoic plus leur taille, & cous leurs mouvemens fem* bloienc gênés. La même main qui bâ^ tiflbit leur coëffure, formoit Tinfé- rîeur de leur tête ^ & la penfée éioic devenue moins libre que la mode. Ils fe croyoienc fages . & n'écoienc que malheureux. Les deux fexesdi- verfement habillés , marchoient i'ua vers Tautre avec une gravité fingu- liere , fecachoienr d?abond avec grand (oin VeSkt des peiices^cincelles i fe parloient pendant long-tems de toute a^tre chofe que de ce qu'ils vouloient fc dire , ôç après s'êwft txpmçà. réci» ^95 prôquemen't , la vanité achevoïc l'ctf* vrage du menfonge. Chacun intérelp ioii de fon côté d'autres gens , pout qu ilsjcôrifentiilenc à l'union qu'il avoit deflein de former. On s'aflembloit ^ on confulcoic, on pefoît fcrupuleufe'i mène la fortune , & pour peu qu'elle fut inégale , tour étoit rompu. Sou«- venc pour concludon , on envoyoit à trois cent lieues de- là demander à Pierre , fi Jacques pouvait en fureté de confcience s'unir à celle qu'il ai* moit : Pierre prenoit de l'argent , ôt puis écrivoity oui. Alors j c'étoient des cérémonies fans fin. on cbantoic le matin , on danfoit le (bir , & oa vous laifToit feuls lorfque fouvent l'en* vie en étoit paiTée Vois, me dit la Nature y au bout de toutes leurs ex- ttavagances , les voilà qui reviennent a moi comme ils y reviendront tous ; ils mettent bas les babillemens dont ils font embarraflfés ; mais cette âamme aâivequeie leur envoyai pour leurbon-^ beur^brifée dans fa direâion^n'à plus la même force ; elle s'efl éteinte parmi ±^6 ces longs débats. J'y perds un en&nt fore & vigoureux ; je n'ai plus que ce>- lui de la gêne & de la contrainte*, leur race dépérit , décline en beauié, en vigueur ; les âmes font auiTi foibles que les corps. A peine font- ils nés, qu'on leur imprime l'empreinte de Tefclavage. Les bandes , les entraves font toutes prêtes , & on les y fou- met avec une joie triomphante ; à« peu- près comme 'dans les prifons on tête le nouveaa venu ^ qui vient par- tager la difgrace commune. Que d'i» dées chimériques ils fe font forgées? que leur génie leur a été funefte! que la raifon leur a fait facriSer de goûrs înnocens & délicieux] Les remords importuns , les fombres réflexions, les agitations pefpétuelles , voilà l'ouvra*' ge de ces hommes fuperbes. Il n'y a pas long-tems qu'ils avoient la folie barbare d'écrafer à. coup de pierre ceux qui , cédant aux traits que je leur infpirois, s'uniflbient de concert fans l'avis ni la permiffion de perfon- ne. Aujourd'hui Us fe contentent deiei ^7 taîlleF ou de les méprifef , en les en^ vîanc fecrettemenc. Ils fe plaifenc h exercer les uns fur les autres une tyran^ nie profonde & cruelle. Ils ont telle* inenc étendu le fil de leurs loix fur tou« tes les parties de la terre , qu'on ren* contre ce fil à cliaque pas, & qu'it faut être bien adroit ou bien heureuit pour ne le point rompre. Cétoit-là le iècret de faire beaucoup de mal- honnêtes gens I Si ils Tont parfaite** ment perfeâionnéi en interdifant mil* le choies légitimes & innocentes. Puis* ]e regarder fans frémir , ces ièrraiU Bombreux peuplés d'Eun^uques, fbm« bres perfccuteurs des plus parfaites beautés , qui languifTent dans les hor- reurs d'un défefpoir qui ne finira^ qu'avec leur vie ! elles attendent d'un defpote pâle , cnervé ^ un foible fou* lagement qui ne fait que les irriter ,^ tandis qu'un ferrail d'hommes con- viendroit bien mieux à chacune d'el-- les. Dans d'autres climats il eft d'au-- très ferrails , où elles femblent adore^ leur joug ^ où un i(bupir vers moi ei^t 59* iitie impiété , au daos de tohg» eai$» tiques elles' vantent au Créateur lé refus qu'elles font de perpétuer la race^ des hommes. Il faut qu'elles la jugent bien méchante pour ofer penfer ainii.. J^ai mon tour; je les châtie cruelle* ment; elles ont beau crier dans leurs couches^ lolitaires arrofées de larmes ; ô Nature! Nature! je pourfQrs raoa cours , & leur repentir me venge du mépris qu'elles ont fkk ée taon poa- iK)ir. Je n'étends pas moins mon îndî* gnacion fui^ ces dcbauchés qui ne font foumis qu'à leurs fens^ qui brûlent leur imagination dans une poëGe lafcive» Malheureux ! ils ignorent que le plai» fir pour être goûte doit être fitnple, ingénu y facile; ils neconhoîtront que le tourment de rimpuiffance ; la cou^ pe de la volupté n'efl: point fiite pour leurs lèvres enflammées d'un poifon^ mortel. 3e profcris encore ceux qut fc font un jeu de déchirer un cœur crédule, & ces Corrupteurs in Ûmes; 4s:lCi&UQCfince^6c ceiu^qui fon^uaabi» éSteûé de mes bieafaitS|& cesmonffre^ qui outragent mesloix. Je rejette tous ces enfans pervers; je les accuferai un jour aux yeux du Créateur , & ils fe- xonc punis ; car , tout ce qui eft excès ne vient point de moi. Il en efl d'autres qui voudroienr borner ma fécondité. Faux calcula- teurs des biens de la Providence ^ dont iU fe inéfient, ilsofent craindre de mettre au monde un être qui, fer Ion eux , ne trouveroit ni aflez de place fur la terre , ni cette terre aflfes abondante pour le nourrir ! O que le» loix qu'ils ont faites font mauvaifes^ puifqu'il eft (î difficile de vivre cher ces hommes réunis en fociété ! Mais* quoiqu'ils ayent tout gâté ; que ne connoi(Ient*ils combien cette fpécu-i^ lation intéreffée eft outrageante en- vers moi, & criminelle aux yeux dw Créateur p Tout leur crie ? Qui es tu? comment exiftestuP Eft^ce toi qui fais mûrir les préfens de la terre f Ce pépin que tu enfevelis dans fon fein ^ ÙM'tn far q^uelle magie il va croicxe^ s'élever quatre lois t» hauteur, té couvrir de fon ombrage , te nourrir de.fes fruits? Eft-ce toi.qui rascouron- Xié de feuillçs? eft-ce toi qui donne la. vie ? Qu'as-tu4pnç à tant fpéculer? Va>. marche où la Nature te conduit j c*eft. elle qui répond du refte. . Si. tu tjéconnes encore de voir r^'. gne.r un ordi^e. aufli admirable parmi ce cahos de faiiiTes opinions & de triftes extravagances, (bnge. que c'eft. à ma bonté vigilante que cet ordre, eft dû. Je n'abandonne poipt mes en^ &n5^ qupiqu'ils dreiïent. des autels i la folie ; ma tendreffe ingénieufe re^ double de foins. Je me déguife.fousier xnafque qui les,, feduit^ j'amufe leut fpibleffe, j'emprunte leur langage ► tp me prête à leurs caprices , pour, mieux les conduire au but où je veu£ les mener. Je leur cache jufqu'à mort pouvoir ; je tiens toujours leurs cœurs entre ipes, mains, par ce fil indiffolu- We , mais j*agîs fans violence, J'^i vu qu'ils aimoient les illufions,t les or* Bemens de l'imagination ; je 1^5 a^ f^mçlojféipojir reiferrer teurs ch^ii5& w ■ I 5or Iieureu&s^; Vat fondu tcros lei (enti^ mens du cœur humain dans ce pen# chant primicify puKïqu'ils ne veulent point que leurs plaifîrs foient exempts aalliage. L'eflime, l'amicié, l'amour-* propre y la vanité ,.& jufqu'à la fortu^ se y font venus augmenter le domai- ne de cette paffion. De libre & d& folâtre qu'elle étoit, elle eft devenue ^ il. eft vrai , férieufe & terrible ; l'arc, n'a fait qu'augmenter fon afcendant;* ctUe a. produit alors, des. incendies -^ mais j'ai préféré quelques défaftres à ranéantiffement de l'efpèce. Il s'agif- ibit de la conferver , doublement op?» primée fous les fers de la fuperftitioa & de la tyrannie. Par mon adreilej^ ion effet invifible a fû braver les re? gards du plus fier, defpote , & cette l^une fille timide & modeile y fous le îpug de la contrainte^ en dit plus X ce jeune homme d'un coup d'œil , qua dans une entière liberté y elle faun ipît à fon coL^ & s'abandonnoit à tous ifes tranfports de fon amour. ^ préjfent, qu'ib graveiat de^ lyii: 5F02 Hzarres fur l'airain & la pierre ; qoê dans leur enthoufiafme pompeux , ilf croyenc me fubjuguer ; qu*ils encaflenr préjugés fur préjugés , je me riraf •a*eux ; je me gliiïerai toujours parmi leurs jeux y leur badinage , leurs ce** remontes. Ils auront beau m'habilJér de vingt couleurs différentes , je lire-^ lai le fil fecret de leurs cœurs. Cet endroit eft mon fanâuaire , 'fy régne- rai quoiqu'ils faiTent; ils ne pourront m'en chalTer fans s'anéantir eux-mê^ mes. Et crois-tUy fans moî,que cette diaî- ne folemnelle que viennent de fè donner ces deux amans dans un appa* seil impofant , ne feroit pa« rompue aufli tôt que formée , (t le plaiiîr que leur préparent mes mains rfourdiP foit la trame fecrette de leur union f c'eft la chaîne de la volupté, & now celle des loix , qui maintient leur il^ telligence , tandis que cette dernière d^ns fon oftentatton s'en attriboe coûte la gloire. Pendant que ta Nauire me patloit^. Ihon ctH appliqué fur le verre vofoièr ^'objets en objecs ; je concemploi» avec une émotion inexprimable » le» efiecs éionnans de ce flambeau qui vivifioic l'univers. Ces hommes qui ent fait trembler la terre fous le déîu* ge de leurs armes, qui paroifToienc des Dieux à Tunivers épouvanté y les bras^ rougis de carnage, la foudre dans les> mains , tomboient aux genoux d'une beauté timide, abaiflbient la hauteutr ififukante de leurs regards, pour man- dier un coujp d'œil. Tou» ces cœurs^ endurcis aux meurtres, foupiroient ;, filais quelquefois les vœux des maures. du monde étoienc dédaignés. Un Ber- ger l'emportoit fur un Monarque; la^; beauté vertueufe préfëroit fon amant à tous les tréfors ; êc la tyrannie àes^ defpotes confus recploit àrafpeâdela; barrière invincible où expiroic leuc- vafte puiflfance. Mais, hela^! lorfque ce feu tom» boit fur des âmes perfides^, accoutiK léées au crime , alors la rage éva»- ^Uiîk lei. bitits de Tetifer;. on. sxvéiJà^ y>4 hih les noirs complota; on dguHbis le fer ; on préparoic les poifons ; on porcoic Tembraferoent de la haine & de la vengeance parmi les ténèbres paifibles de la nuit ; le chaume écoic dévoré , les palais réduits en cendres,. & les monumens affreux de la jalou* (îe épouvantoient ceux mêmes qiii les avoient dreflfés. O Nature ! pourquoi fecoues-tu ce flambeau facré fur ces âmes féroces 6c viles f Elle me fit fîgne , & je vis dans le verre concave les ferpens , les tigres , les panthères^ les inieâes gonâés de. venin ^ les aol* maux les plus affreux , reproduire leurs^ femblablesy dans leurs horribles em* hraffemens, La Nature détournoit foo- auguile vifagie , &gardoic un profond £lence. Et cependant toutes les aâions coa-^ rageufes , toutes Tes produâions du- génie , avoient pour principe ce feu* vivifiant ;. il accéléroit les progrès de Tame , il aggrandiflbit te cercle des^ idées, il faifoit parcourir avec une- lapidité. fur£renante une. carrier ei.0^* Ton n^auroit fait que ramper pefâoi^ mène fans ce noble aiguillon. Tous les facrifices qui tiennent à l'héroïl^ me , lui étoient familiers ; toutes les entreprifes élevées lui écoient natu- relles , & dans l'univers^ il n'étoic point de plus beau fpeâacle , qu'un cœur vertueux échauffé de cette flam- me divine. Toutes les vertus de la fo-^ ciété naiObient de ce ientiment pré* cieux , comme d'une fource épurée. Alors elle n'avoit plus cette aâivité turbulente qui la rend funede; elle étoit douce , modérée , & el|e anéan* tiflbit les peines de la vie , pour laiC- fer régner à leur place cette fatis- faâion intérieure , le plus fur gage du bonheur. Mais ce qui me plaifoit fur-tout ^ c'étoit de voir cette égalité primiti» ve des homtxies , reprendre dans les pays les plus civilifés fes droits anti* ques ; le.s Rois defcendoient du. trône ^ & tnettoient bas le fceptre , la couron?» ne & le manteau royal. Les dignité» fie toute efpece a'étQiejat plus tc^^ 3o6 dées que comme un fardeau gênant qui nuifoit aux embraflemens de la vo* lupté. Les thidres, les diadèmes, lei mitres , les fimarres , les cafques , les mortiers , gifloient épars , & éioient fouvenc foulés aux pieds dans une impatience amoureufe; & je me di^ fois : Ils viennent tous nuds au monde , ils rentreront cous nuds dans k terre; ils quittent tout ornement étranger pour fe livrer aux infpirations fecree- tesde la Nature, Sa vous ne feriez pas tous égaux , 6 mortels ! Ab J cet appa- reil momentané dont quelques • uns d'entre vous fe décorent , ne fonr que les livrées de la folie,qu*ils dépofent fa- gement lorfqu^ils veulent être heureux. Je ne concevois pas comment ils pouvoienc reprendre ce maique iit- eommode , importun , qu'ib venoieot d'ôcer avec tant de délices ; mais rhabitude leur rendoit ce devoir ii> difpenfable , & ils étoient contraints de cunferver par orgueil ce qu'il» avoient adopté dam leur premier dé- Hre i mais leur Injufiice alloit j^ufqu'^ 3Ô7 accufer fa Nature des entraves qti'îTs' s'étoient donnés eux-mêmes, tandis qu'elle ne cendoic qu'à fupprimer le» obUacles qui nuifoienc à leur félicité. Alors la Volupté au vilage riant ^ à la démarche aifée^ s'avança vers la Nature , qui écoit fa mère. Elle re- connut fa fille à fon œil chafte , à rôti> front coloré d'une vive pudeur ; elle lui donna en ma préfence une coupe d'ofi & lui die : Allez parmi les hommes y qu'ils puifent le plaifir dans votre coupe enchàntereffe , qu'ils fe défahetent, mats qu'ils ne s'enivrent' pas. L'orgueilteufe ambition fiera elle- même votre efclave » de plût au ciel qu'elle demeurât toujours enchaînée à votre char ! La Volupté defcendit fur la terre , & l'homme brava tous les maux pour fe repofer un inftant d^ns fes bras. Ce fut po\ir elle qu'il apprit à cornbattre, à triompher ou à mourir. Il cueillit des lauriers épU neiix pour obtenir un fourire de fes lèvres ; ôc qui pouvoir réfîfter aux attraits de cette aimable foaverainfi^ liïaîs pourquoi vouloir y réfifter? Tone ëtoic engourdi dans le monde , fi par un rayon du plaifir , elle n*y portoie le mouvement & la vie. Ame des êtres aniftiés , elle repoufibic incef- iammenc la main abforbante de la mort;c'eft elle qui entretenait rimmen- iè'création. Le farouche mifaothrope pourfuivoic fon image dans les rêve- ties de fa noire mélancolie. Il verfoic des larmes, 6c blafpbémoic en l'ado* rant cette Reine de l'univers. Une voix douce fit entendre ces mots dans les airs : Mortels , ne combattez point fes douces amorces, elles tiennent aux fens de l'homme, à fou intime Se profonde exiftence : avouez , fage> atrabilaires , avouez que fon miel eil doux. Ce que la Nature aime c& né' ceflfairement bon ; le plaifir eft lebau* me de la vie , le plaifir élevé dans le cœur un fentiment de reconnoit &nce pour l'Auteur de l'univers; les cantiques de la raifon font froids, mais lorfque le cœur les féconde & hf^ colore^ ftloj:$ ils fom brûlans^ iU percent ta voûte des cieux , ils portent l'encens d'un digne hommage aux pieds majeftueux de l'Éternel. Aima* me & fublime legiflacrice » douce Volupté ! commande , mais ne fois pas tyrannique ! Que tes ioix gracieu- ies n'enfantent point Tivrefle , mais un fentîment réfléchi. Tu n'es pasdef- cendue des cieux fur la terre pour abrutir l'homme, mais pour i'anno- blir ; ne viole point ta fin glorieufe ; tu te detruirois de tes mains , & ta deviendroiston propre bourreau. Cet- te voix étoit celle de la Modération ; elle embrafla la Volupté , & la Vo- lupté me parut' plus radieufe. Je la vis dans cette paifible & parfaite jouifTance qui eft fans trouble, fans inquiétude , fans emportement ; le plaiiir n'étoit plus ce mouvement ma- chinal qui fatigue les fens plus qu'il ne les fatisfait; il étoit auffi durable que modéré ; fon ivreiïe tranquille ne tranfportant point Tame, n'empêchoic pas fes fublimes fondions , & aucune loi n'étant yioléei la Nature répaodoic 5<54 |b largeiTes 'dans l-ame beureufe q^ .ravoic refpeâée. O tendre , ô foigneufe roere , m'é- criai • je tout à coup en reculant d'bor* reur ! quel horrible revers ! que vois* fe? quelles font ces fkmmes lîvides qui tombent de ton flambeau f com- ment ofent-elles fe mêler & ternir J'é- clat des flammes brillantes de la Vo- lupté! Nature ! que ta beauté ell flé- trie ! ciel ! que de malheureux périf* fent en fe livrant à leur ardeur! cette flamme impure fort-elle des gouffres infernaux P elle en porte avec elle tous les tourmensé L'homme atteint de cette vapeur empoifonnée , abhorre fon exiftence » la perpétue avec hor- reur , & tranfmet fc^ deTefpoir dans toute (à race infortunée ; il friflbnne en embraflant le plaifir^ & il y cède pour fon malheur. Comment ofes ta couronner fon ouvrage , & donner la vie à des innocens qui , un jour , mau- diront juftement & leur père & toi? Je vois l'adolefcent dans Tâge de l'imprudence I de la fougue & dtt platfîr y réceler à fon Infû ce p6l(bft dans Tes veines; il le communique innocemment à fa tendre amante ; ils péiillenc dans la fleur de leurs beaux jours; ils meurent dans des fupplices Iblicaires , & le poids de la honte vient aggraver celui de la douleur. Il eft d'autres fléaux , mais du moins , la pefte s'annonce » & n'a qu*un cours pafl^ager; la famine prétente quelques reflTources ^ & n'anéantie point Tef- poir ; l'incendie de la guerre s'arrête ; les volcans tonnent avant de vomir leurs feux ; celui-ci plus épouvantable, femble immortel ; il s'efl répandu fur toute la terre fous l'appât per- fide de la volupté. Feu dévorant & caché , il mine la race entière des hommes; il Tinfeâe en filence d'un venin horrible ; il détruit le plaiflr qui eft plus que la vie; il corrompe le feul bien confolateur mêlé à la foule de nos maux ;^ il frappe l'innocence, & dans elle, les générations futures. Nous ferions trop heureux, s'il ouvroic tout à couples abymes de U morcj^ 5T^ toais , non , le pur lait que tu diftîV les fe tourne dans ton propre feiiii enun poifon lent, & ces mammelles ne ceiienc d'abreuver ces enfans de ce breuvage homicide & douloureux. Mon fiis! me répondic la Nature, ii'infulte pas aux plaies dont jeiui^ couverte, & donc je gémis la pre^ tniere. Dieu, a permis au mal d'épan- cher fon amertume dans mon fein , & je le fentis en même cems déchiré en plufieurs endroits par les dents ai* gués de ce bourreau renaiflanc. J'a< vois caché cette pefte dans des ifles prefque inaccelTibles ; Timprudente audace des hommes à tout franchi. Que je fus confternée , lorfque je vis Tavide Européen porcer la défola- tion au fein de l'Amérique , & dans ce même fang innocent qu'il avoic verfé par correns , voulanc tranfmec- xre fon fang barbare! Il en fut puni, & l'Amérique eft vengée. Les pro« grés de la contagion furent auffi ra« pides qu'affreux ; je me crus perdue, À j*éievai mes regards ver$ ce féjour, 0^ I tfii la Jûftîce févere & la miTéricorde fouriance, les bras entrelacés, foutien- nent enferoble le trône de rÉcernel dans tout réclac de fa majefté ; il daigna faire figne à rEfpérance, 8ç cette avant-couriere du bonheur vint, me foutint dans Tes bras^ & le baume de Tes paroles entra dans mes bleflii- res. Fille fenfible de l'Etre éternel, me dic-elle , confieruit difcordant & plaintif me réveilla tout à coup; il partoicde la chambre voifine , où j'avois laifie ces amans malheureux , -donc Taveo- ture m'avoît fi vivement întérefle la veille. J'accours. Quelle fcène terri- ble & touchante ! un homme enflanw nié de fureur, ôc que je reconnus pour le père de cette jeune femme, vouloît Tétrangler de fes mains ; fon amant le retenoic d'un bras vigour 5M l^eux , & fembloît , en le mciiageant | le contenir de. toute fa force. Tour- à tour , il prioic éc combattoit ; il pa« roiflbit à la fois de le dieu protedeur de cette femme éplorée, & un fils fuppliant & fournis. Toute la maifon étoit accourue au bruit; plufieurs gens qu'échauffoit la voix de ce père fu- rieux s'efforçoient de fe rendre maî- tres du )eune homme , tandis que les autres fpedateurs , émus, attendris^ prenoîent fa défenfe. Cependant aux ordres d'un Exempt muni d'un pou- voir redoutable, & qu'il fit connoître, au front courroucé d'un père qui ré- clamoit les droits qu*il avoit fur fa fille, tout ce'da; la force eut fon effet. On fépara les deux amans qui le te* noient étroitement embraffés. Je les vis tomber du comble du deTefpoir dans le filence morne de la douleur ; ils paroiffbient anéantis , & comme deux viâimes qu'on va traîner au fup« plice. J'apperçus l'enfant nouveau né à demi éveillé par ce tumulte , & ^ui- 5T^ iê débattoîc dans fon berceau. Encore agité de mon fonge , & plein de Ti- mage de la Nature ^ un mouvemenc extraordinaire m'infpire. Tout à coupi je prends cet enfant dans mes bras, âc le préfentant à ce père inflexible : Moniteur , lui dis-)e y d'une voix fer- me , voici un enfant qui a befoin d'un père ; c'eft votre fang qui fait palpiter fon jeune cœur , & ce cœur doit un jour bénir celui qui aura pris foin de fa foiblelTe ^ ou dé- teHer celui qui Taura abandonné. Voilà celui dans qui vous devez re- vivre, &. dont la voix fera un jour ou votre gloire ou votre opprobre. Voyez cet innocent que votre barbarie veuc priver de tout ; voulez-vous qu'il vous maudiflë ! Le crime de votre fille efl d'avoir cédé à un mouvement qui vous a maît ri fe vous-même plusd'une fois , &; que vous n'avez pu dompter. Elle a mis au monde fans votre aveu, peut-être fans le fien , un fils qui ne doit point être coupable à vos yeux; U ne tient qu'à vous da réparer cçctP , V7 faute y & ue légitimer ce fils qui doit vous chérir & vous refpeâer. Des préjugés cruels vous feront- ils fa» crifier ce que vous avez de plus cher dans le monde P quant à ce jeune homme, il aime, il eftàimé ; il vous offre une main vertueufe ; quelles rî- cheflTes demandez vous donc ? Ah! le fourire de cet enfant , avouez-le , a plus de charme & de valeur qu'un trifte monceau d'or. Sa mère eft votre fille; c'eft un cœur nouveau que vous acquérez. Quel autre titre doit por- ter le père de cet enfant que celui de ïbn époux ? il le mérite , puifqu'il en a rempli les devoirs ; eftimez fon coa« rage , & cette ame fenfible & fiere qui vous aime malgré vos rigueurs. Ce père encore plus frappé de Taf- peâ: de cet enfant que de mon dif- cours, reftoit immobile en le con- templant. Il étoit plus d'à moitié dé- veloppé de fes langes; & foit l'effet du moment ou d'un heureux hazard , il fixoit fon ayeul avec la même dou- jpeur qu'il fixoic fa mère. Il lui tendou 03 Îî9 même en fauriant deux petites maîns innocences. Je me hazardai à le remet* tre dans fes bras. Voilà fon afyle, m'é- criai* je » il e(l dans le fein de la Na- ture , il n*en fortira pas i ce fein n3 fe fermera point à fes pleurs. Ah ! pourroic-il le rebuter ? Son vifage comnfiénçoit déjà à trahir rérootion de fon cœur ; il s'elForçoic vamemenc de la déguifer. Dans ce premier trou- ble , il ne put s'empêcher d'appro- cher cet entant de fa bouche , & de le baifer. La mère défolée , attentive à tous ces mouvemenSf faifit cet inf- tant ; elle fe jetta à ks pieds, & d'une main fbucenant fon enfant , le pref' fant contre le vifage d'un père, elle prit fa main de Taucre , & l'arrofa d'un torrent de larmes. Le jeune hom- me , quoiqu'un peu éloigné , cnic lui- même un genou en terre, & moi debout, les yeux humides, lesbtas étendus, j'excitois ce père déjà ébran- lé , à la pitié eux étonnes^ O 4 320 attendris ; & tous les témoins de cette fcène f interdits & touchés , étoieirc livrés aux divers mouvemens de la furprife , de la tendrefle , & de la joie. L'aoïour &la reconnoiflance ne fema- nifefterent jamais par des expreffions plus vives & plus touchantes; autanc la fureur éclacoit une heure aupara- vant , autant le triomphe de la Na- ture vidorieufe écoit paifible & atten- driflant. Ce père (i dur, fi inflexible, paroiiFoit honteux des excès où il s'é* toit livré ; fa confufion entre un fils, une fille & un petic-Bls, formolcun tableau qui demanderoit un autre pin- ceau que le mien. Ce fut ainfi que le gefte d'un enfant innocent , défarroa la colère d'un homme irrité , & que tout autre auroit tenté vainement de fléchir. O Nature! ô Nature, difois- )e tout bas , voilà de tes jeux ; tu as tiré le fil.fecret qui unie le cœur de tous tes en&ns , & tes enfans tW obéi ! Il faut revenir à toi pour être feofible , pour être humain , pour êcr« feearetix. Le père ne pouvoît rafTafiec fa vue de cet enfant chéri , qui avoic fait tomber toute fa fureur ; il reve- noic vingt fois le carefler; le cœar d'une mère jouiflbit de ce fpeâacle , & n'en perdoît pas une circonflance. Il fe promectoit déjà le plaifir de le préfenter à toute fa famille. La mère eflfuyoit fes larmes , mais celles-ci étoient d'allégrefle. Le jeune homme vint m'embraffer en filence ; & moi fatisàit de la vidoire de la Nature , je partis , emportant le plaifir déli- cieux d'avoir vu tout changer au gré as leurs vœux Se des miens. Éâ mû. Dfi Os 5ii SONGE NEUVIEME. De la Fortune. & de la. Gloire, LE fceptre de Morphee avoir tou- ché mes paupières ; les noirs (ov^ cis » les inquiétudes vohigeoienc loin de moi. Tout , îufques à mon amour , goûtoic avec mon cœur les charmes du repos. Tout à coup un peuple de fantômes vient frapper mon imagi* nation , mais bientôt elle démêle un fyftéme régulier dans cette fcène ru- multueufe, & teleftle tableau fidèle que ma mémoire en a confervé. . . Je me trouvois dans un temple rempli d'un peuple immenfe; j'entendois de tout côté ces mots : Elle va paroître..» la voilà. . . . non. . . . oui. . » . c*eft elle.... non. On alloic , on venoi:^ on fe coudoyoit. Hommes & fem- mes y jeunes & vieux , magiftrats & gens de guerre, artifans , citoyens^ (étrangers ^ tout étolc en mouvemeot ^ 1 *nmme en confufion. Tout à coup ,' ce ne fuc qu'un cri. Je cournai la tête, & je vis une femme nue, un ban- deaif fur les yeux ; elle avoic un pied (ur une roue qui tournoie avec une rapiditd inconcevable; deffbus on H- foît cette infcripcion ; A la Souverain ne de Funivers. Auffi-tôt tomes les bienféances furent anéanties î on fe heurroit fans ménagement , 6c moi- même entraîné dans la foule , j'étois forcé d*obéir à Ton énorme impul- fion. On crioit à mes oreilles , à moi , à nioi , à votre plus fidèle fervireur , à votre efclave. O DéeflTe, regardez- moi , je rampe , je flatte , je fers de- puis dix ans; & tous les vifages m'of- froient alors quelque chofe d"avide ^ de dur & de rebutant. On fouloîc aux pieds fans miférfcorde ceux qui etoient tombés. Cependant des pièces d*or pleuvoienc de toute part; il fuf- fifoit d'en ramafler une pour être ri- che; elle fe multiplioir^dans la main de celui qui la poffédoit, mais per- ibnne ne fe contenroit d'une feule» 3*4 Les uns fe plaignoient des rigueurs iê la Déeflfey les autres retnbloienc pot- fer une nouvelle fureur , dès qu'ils avoient obtenu quelque bienfait ; mais elle, fans s'embarrafler ni de leurs éloges, ni de leurs reproches, ni de leurs clameurs , diftribuoic toujours en tournant , les dons divers qu'elle avoit à faire à cette foule enipredée. La plupart étoient trompeurs.Celui-ci croit ramaflTer un tréfor , & n'aroaiTe que le goût des chimères & de la prodigalité; c*?luMà en fe bâtiflant un palais , fe prépare le poifon que lui defline fon avide héiitier. Au flux & reflux continuel qui me preflbicy je fi'avois rien de plus précieux à deQrer que de (auver ma fragile exiftence. 'Tandis qu'une joie folle éclatoit à ma droite, des larmes de rage coo- loient à ma gauche. Ni la beauté, ni les mœurs, ni Tefprit, n'attiroient l'attention de Taveugle Déefle. Le plus fort , le. plus adroit , ou , pour mieux dire , -le plus fourbe, ravliroit ies^préfens. Chacun élevoic en Tair uu 5^5 morceau de papier qui cont«noic CeU demandes ; c ecoient autant de pla« cecs. J'en lus plufieurs ; le premier porcoit: O Déefle! je n'ai que cenc mille livres de rente , comment vou- lez-vous que je vive; je dépenfe cela ^en porcelaines & en magots ; ô vous, qui faites les heureux du (iécte , per-* mettez feulement que j'aflfame une Province , & mes affaires iront bien. Un autre difoit : Déeffe ! un homme de ma naiflance & de mon rang de- vroit il fe trouver dans cette bagarre ! ne feroit ce point à vous à venir au« devant de moi ! & à quoi fervent les loix , fi ce n'eft à m*aflurer en paix Toifive opulence qu'il eft de ma gran- deur de prodiguer à ceux qui fa.u- ront flatter mes caprices ! Celui d'une jeune fille s'énonçoit ainfi j ô Déeffe , un amant , quand même il ne devroic pas être mon mari , ou un mari , quand même il ne devroît pas être mon amant ! Celui d'un Poëte : Vous qui tenez le Dieu Plutus affis fur vos ge* Sio\àXf 6ç qui le careHez familière* ^i6. •ffieRt , je ne demande point qtie vous iui diliez quelque choie en ma favear; faites ieulemenc marcher la perfuâ^ iion I votre compagne fidelle, & ce petit amour ailé qui né vous aban- donne point; que je trouve grâce de vant les Hiftrions Se les Laïs, dooc^ l'infolente ignoiance n*a plus de bor-' «es ; que ma pièce foit jouée & ap- plaudie, afin que feulement deux ou crois de mes confrères en crèvent de dépit : è Fortune ! vous pré(idez plus que toute autre Deefle aux repréfen- rations nouvelles; faites luire fur ma céte, dans ce jour terrible^ la bénigne influence de votre étoile. Un autre. Je fuis arrivé , ô DéelTe, des rives de la Garonne , dans la Ville du monde la plus floriflante, celle où Pon s*intrigue le plus, oh L'on s'agite davantage , où Ton em* ployé toutes fortes de moyens pour s'avancer & s'enrichir, où régnent les vices les plus éclatans, & , ce qoieâ plus aimable encore , l'art de les faire cliérir ou eûimer ; j'ai eu toute Te^ Jronterîe pofTible , j'ai mentî commît on ne ment pas; j'ai inceflamment par* lé de moi , j*ai relevé nlon fréle mé- rite avec toute l'adreflfe imaginable ; hélas ! je n'ai point réuffi : ô Déede! n'cfl-il plus de fots, n'eft il plus de dupes dans cette Ville immeniè! 6c s'il y a quelques gens fenfés qui de« vinenc les fripons au premier coup d'œil y par quelle fatalité les ai - je rencontrés? je ferois donc le premier de ma. race 6c de mon pays à qui l'iai* pudence n'aura fervi de rien ! Un autre encfj^e. Mon proceâeuf me promené & me joue depuis quinze ans, ô (ourde Déefle! je leméprife, xnaîs je ne manque pas une feule ao* dience où je le loue en face; je me char* ge des commiiTions les plus affligeant tes & les plus onéreufes ; je lui dédie mes livres; je mange à fa table tant qu'il y a un couvert de reftc ; je me fais auffi petit qu'il s'imagine être grand ; que faire donc ! je n'ai ni femme, ni fille , ni fœur, ni nièce, ni çouiine ; ô Déeife ! tire une pareox^ dé ma cote ^ & que le barbare s'at^ tendrilTe ! Le dernier difoit : Je voudroîs échanger mon honneur , mon nom i & ma probité , contre un peu d'ar- gent, & je ne trouve perfonne pour m'en débarraffcr. Ma foi, ficelacon- tinue , je ferai obligé de garder moa nom , mon honneur, & ma probité. Tous ces placets que foulevoient tanc de mains fuppliantes , étoient tous aulTi fous, auffi bas, auffî extra- vagans; ils contenoient des plaintes outrées , des vœux chimériques, des projets bizarres. Tout à coup un homme furchargé de dorure , dit en fe retirant de la foule : Meflieurs les mal adroits, écoutez; j'ai fait mes affaires , fuivez-moi ; foyez mes hum- bles complaifaf\s. Je tiens table ou- verte , parce que cela m'amufe ; qui- conque voudra venir manger fera bien venu , foit qu'il m'amufe , foit même qu'il ne m'amufe pas ; entendez- vous? Àulii-tôt le perfonnage fut entouré; |:uneuX| je fuivis la foule ^ & oooi 3^9 ' ^ ■ entrâmes chez Mirmon ; c'étoîc urt palais où le gouc le dtfpucoic a la jDagnificence ; le travail des ameu» blemens écoic exquis, & le luxe y était recherché. D'un côté le génie déplojroic fur la toile , ce qu'il a de plus majcHueux 6c de plus tendre; de l'autre le grotefque étaloit fes bambo chades, & fes autres inventions mo- dernes. Le nombre des efclaves éga* loit les caprices du maître ; pour lui , enivré de fon opulence , il fe regar* doit comme un dés premiers citoyens; il rappelloic fouveot i'obfcurité de fon origine ; mais (qui le croiroit ) par un fentiment d'orgueil. Quel chemin, l'ai fait difoit-il; cela n'arrive qu'à ceux qui , comme moi , ont le talenc de s'élever.. Les fots demeurent l'œil étonné y la bouche béante; l'homme qui connoît le local , perce & rompe toutes les digues. On l'envie, & c'efl: un hommage qu'on rend à fon adreffe. Un flatteur parafite lui répondoit : Dans tous les lieux , on ne vante que votre bon goût , l'arrangement de. dons de leur cabinet ; on n'a que cf Œ ^ mépris pour la fagefle ; on préfère les TÎcheiTes au mérite & aux talens. Tout décroît , tout s'efface , tout an- nonce une ruine prochaine. Lésâmes n'ont ni force, ni aflîette, ni vigueur; la vie morale des États dépérit & s'éteint. Le Pontife du temple de la Fortune, le front orné de la thiare,qui fe promenoit alors , entendit ces mots: il étoit fuperbement vêtu , fes doigts étoient chargés de bagues , fes habits ,^toient couverts de diamans. Il ré- pondit à l'inconnu avec ce ton léger qui convenoit à fon extérieur : C'eft bien dommage , Monfieur le frondeur, mais cela eft ain(i ; les hommes font ridicules, extravagans, foibles, mal- beureux ; ils font nés tels ; confidérez l'homme en détail , fon entendement eft obfcurci par mille erreurs; ilcom- irience à fe tromper dès qu'il com- mence à penfer; pourquoi? parce qu'il a trouvé Tordre naturel des cbofes renverfé. Le gage de tous les biens $'eil trouvé fixé dans un métal jaune ^ 3Î5 il le pourfuic avidement comme* Te-^- change de tous les plai(irs ; Thomme veut être ablolumenc heureux , il ne faic pas » félon vous , en quoi con- (î(le le bonheur ; d'accord , il l'a bon- nement placé à embellir fa retraite , à y répandre l'abondance , & toutes les commodités de la vie, à jouir de toutes les fenfaiions que lui apporte en foule la Nature obéiiTante au pou* voir de l'or. Il eil dtfraifonnable de penfer ainfi, je Tavoue ; il a tort d'être îenfibley & d'aimer la volupté; plai« gnons-le de ce goût infortuné.- Quoi! reprit l'autre , peu de chofe lui fuifi- ra ; fes be foins feront bornés; il n'aura qu'un edomac & qu'un infiant à vi* vre, & il ne pourra connoître la mo« déracion , la tempérance , l'équité \ il obéira à toutes les fenfations capri- cieufes que lui diâeront ks faillies d*une imagination enflammée ; il fa* criflera^ s'il le faut, l'univers entier pour le chatouillement agréable d'une fibre. Non , une injuftice ii criante & fi cruelle ne peut être autorifée quQ pat ceux qui en font les complices' ^' Si mon bras ne peut abattre ces colof- fes d'orgueil & (f inhumanité , ma voix les maudira. Miférable Forcune, fois maudite à jamais ! - Elle e(l au- deflus du murmure des hommes^ ré- pondit paifiblement le Pontife; iifaac que le reflbrt qui fait mouvoir le monde moral ait tout le jeu, d'où dépendent fa force , fa durée , & fon cclat. Il faut que la fociété, qui n'efl qu'une fermentation perpétuelle, pour ne pas tomber dans un état d'inertie, éprouve cette fecouflTe vive qui fe communique à fes membres, &leur procure la chaleur & la vie. Cette inégalité, qui vous femble monftrueu- fe, eft le principe adif des êtres; ce font les plus viles pallions qui fécon- dent le riche tableau de l'univers. Parmi lescombinaifonsinfinies d'Etres qui exiftent , il en doit exifter de tou- tes les fortes. L'animal hideux bour- foufflé d'un venin livide occupe fa place, & dans la fange ne fauroit être Tiaigle fier * <^ui s'élève dans la pure ^ région des airs. - Vous ne me proT]4 verez jamais , q.u*il faille que de» millions d'hommes rampenc dans robfcure mifere , pour nourrir le luxe icandaleux des favoris de votre indi« gne Déeffe ; cœurs barbares & aveu-^ glés qui ne jouifTenc pas même de ce qu'ils raviflenc à l'indigence! Ces hom- mes cruels ne fe réconcilieront jamais avec l'augufte morale , avec cette morale touchante, éternelle , qui dans tous les tems , les condamnera , Se vengera les torts faits à la foibleffe par ces tyrans qui demain vont rentrer dans la poudre & dans l'ignominie. Mais , fi l'or & l'argent font en effet la fource du bonheur , pourquoi ne font ils pas la récompenfe du bon e& prit I de la vertu , de l'honneur , de la probité? Pourquoi la pauvreté & lobt curite font-elles le partage des gens de bien & démérite?- Eh! d'après vo- tre aveu y n'ont-ils pas reçu des dons plus précieux ? peuvent-ils, doivent- ils tout avoir ? Et dans l'état aâuel des chofes 9 n*êtesvous pas heureuji; 5Ϋ tfde des hommes avides courent les mers , & s'expofenc à des périls fans nombre , pour enrichir la patrie des tréfors d'un nouveau monde ? ne jouif' iez-vous pas vous-même d'une por- tion de ces biens » &c n'en jouiflez-vous pas autant qu'eux ? Ils ont des mon- ceaux d'or ! mais avez- vous compte toutes les peines qu'ils ont elTuyées ? ians un aveuglement furnacurel , au- xoient-ils fait un pas» fe feroientils âtigués dans l'efpoir incertain de fe repofer ? Un Criton fe charge de l'ap- proviHonnement de nos magafins en tems de guerre , il fe dévoue volon- tairement à l'indignation publique pour le plaifir d'élever un palais; l'au- tre fe rend monopoleur , prend en main tous les deniers publics , s'en lend dépontaire, au rifque de voir le glaive de Thémis s'appefantir un jour fur fa tête ; & tous ces foios , ces embarras , pour fe procurer une opu- lence enviée , méprifée, & trop fou- vent dangereufe. Je crois qu'un pbi- Iplophe devroic encore les remercier; n ^337 Car enBn , aans une (ituation extre* me , l'État a eu grand befoin de leur aâivité ; TÉtac étoit perdu , fans dou- te f s'il n'y avoit eu alors que des gens paifîbles & modérés. Otez les moyens de fortune, le patrîotifme eft un mot vuide de fens , l'émulation Se rinduftrie cefferont entièrement; l'o- pulence entre donc dans l'ordre poli- tique , qui , lui même, eft une nuance de l'ordre univerfel. La carrière eft ouverte à tous, & les eflbrts hardis font prefque toujours couronnés. Ces excès feront condamnables dans la théorie d'un Empire parfaitement po- licé ; mais où exifte-t il? Remuent- on la matière morte fans levier ? les Na^ tîons n'ont-elles pas befoin d'tm le- vain , qui , poifon par lui • même , étend leur fphere , îert à la circula- tion , leur donne une (brte de vie & de mouvement f & (i le bien qu'il produit eft mélangé de mal , quel eft; l'ordre de chafes où ces élémens op« pofés ne fe rencontrent pas. Au figuré comme au phyfique i rien ne prépare JI. FartU. ? . 338 plus la corruption des chofes , que cet. écac paifible qu'on nomme égalité, & qui annonce la more de la Képa- blique. • Voas avez des idées Ôc dits raifons de gouvernement & de poli- ce f que je n'ai pas ; mais je conoois quelque chofe d'antérieur aux gou- vernemens ; c'eft la judice, Thooneur, la probité ; car , vous l'avouerez , la cupidité rompt aifémenc les liens que ces vertus impofenc aux hommes ; & l'exemple deceux qui fe plongent dans te luxe fera contagieux. Que devien- dront alors ces appuis facrés du genre humain f- Ces vertus brilleront d'un nouvel éclat , & quand il n'y aaroit que la foule des mécontens pour les admirer ! • L'inhumaine avarice plai- fante quelquefois , mais toujours baf- fement. S'il eft permis de fe procurer le néceflfaire , autant eft»on vil & coupable on recherchant le fupeiâu i fi ce n*e(l pour le répandre auffitôt; en cau(ànt la mifere des peuples , on {e rend digne de leur mépris, U ne faut qu'écouter la voix de la Nsr tion, pour «nteodre ion' arrêt. Le premier devoir de Thomme eft do reconnoitre les bornes qu'il doit a(fi^ gner à fes deCirs. - Les impulfions du cœur humain font comme celles de la Nature , elles font fortes & rapides ; $c pour mieux frapper le but , elle le pafle quelquefois. Foible & riiîbie vertu , raifon encore plus foible , vous iCi'avez jamais eu la force de réfifter à l'appas féduifanc des richefles : à leur approche votre fade tombe, les defirs reprennenc leur cours avec plus de véhémence; ils avoient étéfufpendus^ parce que rien ne déterminoit leur pente y mais il étoit contre leuc nature de remonter vers leur fouice ; d'ail- leurs la cupidité réciproque des hom- ITies f leur fert mutuellement de poids & d'équilibre , & s'il eft rompu , il ne tarde gueres à fe; réparer. Tous le» mortels f font égaux agx yeux de la Fortune, voilà po^rq^ioi elle diilri- bue au h^^zard fes^ bienfaits. De deux hommes courageux l'un monte fur le tione j l'autre fur l'échafaud ; elle let Toîc du même œil régner ou mourir dans les tortures. Si les hommes ver- tueux y (î les hommes de génie la re* cfaerchoient , elle récompenferoic , ikns doute , leur affiduité ; mais il faut toujours un peu mériter la Fortune , & il eft plus doux de s'emporter con- tre elle I que de ployer fous cette Déefle , qui , reine du genre humain , a le droit de le traiter à fon gré.- Quoi ! vous ne connoiiTez pas même la fierté attachée à la vertu , fâchez qu'elle né fait rien demander ; que loUiciter avec éclat eft un aviliflfement qui Toutrage. Contente de fa médio* crité , elle ne vient point groffir une cour profane ; fon bonheur eft dans raccompliflTement de fes devoirs; ils lui font plus chers que toutes les ri^ cheflfes qu'elle pourroit acquérir ; elle connoit cette paix qui accompagne la modération des defirs; ^Ue fait jouir, mais elle fait auffi ' itipporter la privation (ms murmurer. Si les yécompenfes que la Fortune accorde i^toient proportiouaées w tenu qa9 Von a employa , aux foîb$"tiu'on s^eû donné , & fur • tout aux vrais fervi* ces rendus à la patrie , alors je fe^ rois le premier à fléchir les genoux devant cette divinité jufte* - Je vois que des idées d'une perfedion chimé* rique vous dominent ; la Nature , \e le répète , nous donne des defirs fans bornes. - Ceft à nous , s'il eft vrai , de reâifier les défordres de la Nature. -'- £h! le pouvons-nous P- Je le crois. «- Mais , du moins , la Fortune n'eft-elle pas un moyen pour obliger ^ & à ce îeul titre ^ ne devroit-elle pas être chère au philofophe.- Celui qui ne fait obliger qu'avec de Tor , n'obli- gera jamais : les mortels les plus indi- gens font ceux qui rendent à leurs iemblables les plus grands fervlces. Le cœur s'endurcit dès qu'il fe voie indépendant des calamités générales ; c'eft un homme dans le port qui con- temple un vaiflfeau battu par l'orage; ce n'eft pour lui qu'un fpeâacle. Je veux être pauvre par goût , pour con- server plus fûremenc ma fenGbilité 8c tbi vertu. * Je vois que nom ne nom entendrons pas. - Je le vois avec dau^ leur. Infenfés mortels ! reprit le fage d'un ton élevé , eft-il poffible que voixs ne puiffiez rien tirer de votre pro- pre fond, rien trouver dans votre peofée f dans la fermeté de votre ame^ dans votre amour pour la vertu , de^ quoi vous rendre heureux? Le bon- heur eft en nous, dans des aâîons bonnes , légitimes , que notre cœur avoue avec complaifance. Faut41 qoe vous vous adreffiez fans ceflè à cette DéefTe volage , changeante ^ capri- cieufe , qui gouverne en defpote aveii- gle , & qui ne vous carefle que pour vous précipiter dans les abymes de la folie & de Timprudence ! A ces mots» le Pontife fourit , & lui prenant la main , il voulut lui mettre au doigt un diamant d'un prix très-confidéra- ble. Le fage retira fa main fans cour- roux, & fouriant à fonrour, il dit: Que prétendez. vous faire? c'eft potfr les enfans qre ces bagatelles font fôf- tes; amufez^es avec des diamàns. 54* ées pierres bigarrées , des rubahs de diverfes couleurs; il faut les dif- traire pour les empêcher de jecter un œil férieux fur cette valeur imagt* naire qui les éblouie & les trompe; c'efl bien de l'or & de Targenc donc î'ai befoin. Vertus fieres î courage d'efpric inébranlable ! étude profonde qui tranfporcez la vie de l'homme dans la penfée f venez à moi , rem- pliiTez mon ame ; que je mette à pro- fit cet inflanc qui m'eft donné, & qui s'écoule dans la profondeur de Téter- liité, qu'il ne foit pas perdu pour moi , que je vive tout entier , que je me plonge dans ces idées jufles & élevées , propres à fortifier Tame , concre les malheurs inévitables de la vie. Tels font les tréfors , qui , feuls , onc quelque prix, & que je brûle d'acquérir. Cependant pour reconnoî- tre le bien que vous me vouliez , marchez fur mes pas, & que je vous moncre à m;on tour le féjour où je préHde. Je le^ fttivis couc ému. Le ton , là P4 344 démarche , le courroux noble de ce fage m*avoic frappé; il nous introduire dans un temple majeflueux tout écla* tant de lumière ; on n'y voyoit point de foule ; le marbre vivifie préfentoit de toute part les ftatues de plufieurs grands hommes ; elles portoient le caraâere & le feu de leurs atnes. L'expreiHon étoit inimitable; le ci- zeau avoir donné le mouvement; ils avoient été peu connus pendant leur vie , à leur mort le cri de l'admira- tion avok fait yoler leurs noms fous ces voûtes auguftes ; une multitude de lampes defcendoit de ce nouvel empirée , & la clarté qu'Mles répan- dent ne doit jamais iinir. Au milieu^ )e vis un corps immenfe formé d'une fubftance purement aérienne , c'étoic l'image de la Poftérité reconnoiifânte. Elle étoit à genoux devant un diadè- me, un bâton de commandant & un livre. Cétoit la couronne de Henrti le fceptre de Turenne, & l'Efprit des Loix. A fa droite étoit le bufiecfe Socrace , en face celui de Richardfoiu ^4^ ÎÀ^ fe promenoienc les Solon, lei^ Épaminondas , les deux Brutus , avecr les Fabiosi les Scipions, les Cacons, les Anconins. Là , font les héros qâi ont eu la véritable grandeur d'ame , les écrivains illuftres, les iages de tous les cems; leur, extérieur (impie ^ Se leur air modefte , annonçoit la (iai- plicité & la candeur de leurs âmes ; ils difoientàla Poftérité : Déefle, nous n'avons jamais cherché vos louanges ^ nous n'avons jamais defiré vos préiens. La plus pure récompenfe de nos ac- tions , a été dans le plaifir que nous avons goûté à les faire. Pour fuivre la vertu, on n'a befoin que de Tamoujc^ de la vertu même. La Poftérité répondoît : Vous vivrez éternellement, vous, mes vrais amis; je veux que tous les humains vous* eonnbtfTent & vous refpeâent. Mon plus grand plaifir fera de divulguer vos vertus: arrachés pour toujours au fommeit léthargique de la mort, les filles de mé^noire célébreront vos» grandes aâions. Auffitôt une célelW: harmonie fe fit entendre ; elle s'ëlev* lentement dans les airs ^ & par une gradation bien ménagée^ elle frappa la voûte fonore du temple , & de-là fe répaqditdans l'univers. Il n'efl point d'oreille qui ne foit enchatîtée d'un fi beau concert. Je fentîs Tivrefle dé- licieufc que les Mufes font couler dans les cœurs (enfibles. Ah ! }e fuis dans le temple de la Gloire , m'ccriai- ]e ; }e ne vois ici ni conquérans , ni ambitieux , ni tous ces fléaux de la terre que la crainte a déifiés ; je vois les vertus éminentes^ les talens extraor- dinaires , qui font lie charme & la confolation du genre humain. Quel- les font viles les inclinations de ceux qui méprifent la gloire ! Plus ces grands hommes avoîent été maltraités de la Fortune, plus ils répandoient d^éclat. Le Tafle & Milton couronnés des mêmes lauriers, îioient des coups impuiffans que leur avoit portés le fort; ils fouloientaux £ieds la face ignoble de leurs Zoïles. le Pontife du temple de la Fortune l5aiffort tsn œil confus. Ces fronts rayonnans avoienc fur les cœurs une autorité (i douce , fi naturelle , & R puilTante ; ils attiroienc tellement le refpeâ Se Tamour , que les cœurs les £lus vicieux redoutoienc leur mépris, ^e fage éleva fa voix , qui retentit foit avec majefté fous ces voûtes éle- vées , & dit : La gloire ne naît point àt l'orgueil ^ de rambition , du fade , de la puifTance, ou de l'intrigue; fi Ton fe profterne devant l'idole du pouvoir y les démonftratlons de ce refpeâ font paflTageres & forcées ; il faut des vertus diflinguées, il faut des talens reconnus, pour obtenir ce fuf« frage public , qui récompenfe digne* ment ; c'efl: lui qui acquitte la dette que rhomme ne peut plus payer. La gloire ne confiile point à éternifer des (yllabes , mais àlaifler un grand exem- ple ; elle fe dérobe aux pouifuités empreflees , & elle fe phit a couron- ner rhomme (în[>ple & modefle , qui , chaque joury a développé fes vertus avec la chaîne de fes devoirs* Vous ?6 retrouvez ici ce brave êc génèrent Phocion y qui , après avoir commaïk- dé des armées nombreufes » vit la vieillefle & l'indigence le faifir fous fes ' lauriers. Il piourut pauvre , il mourut abandonné : quelle fin plus glorieufe ! Vous, voyez encore cec Ariftide, cec homme jufte par e;^ cellence ; il fui vie conftammenc fes devoirs, il fut banni ; il ne fe prêta point aux caprices du peuple , auï fëduâions des maglftrats* Le fore ré- fervé à. la vertu TattendiMC. ComeBV plez Catinat , fon héroïfme guerrier, fa philofophie tranquille ; il difoK dans fa retraite : J'ai fervi ma pacr/e avec zèle & avec courage ; dès qu'elle - blôîent percer la nue ; leurs racines abreuvées de cette onde vivifiante, nourriflToîent la pompe de leurs têtes fuperbes; c'étoit la hardieflre& l'éner- gie de la Nature qui fe déployoit li- brement fous la vouce des cieux ; Tom- bre & le filence infpiroient à Tame une douce tranquillité ; les paffions iembloiencfe* calmer & fe mettre dans 00 3^1 ïtn fage équilibre ; toiis.les objets ft montrant fous leur vrai point de vûe^ n'avoient d'autre valeur que celle que la Nature leur avoit afTignée. Mon œil , fi je Tofe dire , écoît formé pour le reconnoîcre;,car il fe cachoit à cette foule qui chérit Ter- reur & Tefclaxage , par crainre ou par foibleflfe. Il demeuroit inviiible à cette troupe fervile qui baife les fers dont on a chargé (es mains , pour peu que ces fers foient dorés. Cette eau pure , tranfparente, couloit fur une molle arène ^ & dans un lit paifible; mais cette eau avoit cela de propre p qu'il falloit être bien difpofé d'efpric, éc avoir l'entendement fain , pour en ufer avec fruit. Sans cette prépara- tion falutaire, elle caufoit des verti* ges de tête,& ce mal ne fe diffipoit, que les infortunés n'euflTent rendus certaines impuretés , dont l'odeur leur étoic au0l agréable qu'elle étoit in- fupportable aux autres. Le grand nombre de ceux qui «en avoient bû, n'en avoient rapporté qu'un lon# IL Partie. Q ^6z ItouTclIflltment ^ faute des difpo&tioct préalables. Aufli lifoic on fur des écriceaux fe- mes à divers intervalles ; Vous tous qui accoure^ ici pour vous y déf altérer y vous (tes avertis que Veau du RuiJJeau philofopkiquc ejl un poijhn qui rend fou & ridicule , DU un élixir divin qui ileve thotrune au-dejfus de lui-même ; on invite donc ceux qui n'ont pas le jugement bien formée à fuir cette boiJfon;on leur donne cet avis charitable pourFinti- fit de leur gloire & de leur repos ; elle riopere que fur les âmes bien préparées à la recevoir. W me fut permis d'embraffer d'an coup d'œil le cours de cette foarce étonnante; ellearrofoit l'Angleterre, la France & l'Allemagne. Les autres États buvorent encore des eaux bour- beufes ; & pour comble d'aveugle- ment^ ils idolâtroîent ce limon grof* fier. Le prchnier qui fût goûter avec fruit de cette onde falutaire au fei» "^e ma patrie , étoit Defcartes. Je ^^ 5*3 , . vis |)enché fur ces bords , Mprit plongé dans une médication douce & profonde ; il.avaic pris une méthode préparatoire qui lui réuffic admira- blement. Cependant emporte par la bonté de ces eaux^ il me parut qu'il en avoir un peu trop ufé ; c'étoit alors qu'il s'écrioit : Qu'on me donne de la iziatiere & du mouvement , & je vais donner Têtre à un monde infini. Tout à coup fon imagination impétueufe enfantoit d'immenfes tourbillons, pla- çoit dans leur centre des Ibleils à fon gré , & les faifoit mouvoir lelon les bix qu'il leur traçoit. Je vis foa rival rendu plus fage par Ton exem- pie. Il ufa de cette boiiïbn divine avec une précaution géométrique; d'un fouffîe il fit difparoître cet édi« fice magique , & lui fubditua un vui« de infini , où les corps célcftes, élan- cés en droite ligne dès le comment* cernent, & attirés Tun vers l'autre par un penchant inexplicable, décri voient une ligne courbe pour obéir à ces deux forces oppoiiée$% 11 avoit forcé Talge^ bre de prêter fon fecours à la géo^ mécrie; il fie Fheureufe application de la géomécrie & de la phyfique au fyftême de Tunivers. Il voyoic la lu- iniera s'élançanc du foleil ^ fe répan- dant dans i'efpace plus vite que Té- clair , & inondant en un iofliant les inondes , réjouis par fa préfence. Le prifoie en main, il la décompofoic , & fembloic dire aux cieux : Tout ce qui eil dans le domaine de Thomme appartient à fon intelligence ! Un génie illimité l'avoit précédé; mais fans avoir fait d'auili admirables découvertes , il fe plaçoit à fes côrés. Plein de ces eaux falutaires , d'un traie libre & vigoureux il traçoic la généa** logie des connoiflfances humaines; il tenoic en main, le fil de toutes les fciences. Son cerveau noblement échauffé, enfancoit avec précipitation une pépinière d'idées hardies & fé- . condes , & leur développement fera l'ouvrage de pluGeurs générations, Un autre philofophe plus moderoe bi}t plus fagemenc , car il avoit à ab^ ferver la nature de rame» & il avoh befoin de toute fa réflexion. Il niar* choit lentement , & à pas comptés \ le bâton d*aveugle en main, & fon** dant le terrein fur lequel il dévoie s'appuyer* Si on lui reproche de n'a* voir pas &ic un grand chemin, du moins la route par où il a paflTé e(l fûre , & Ton peut y marcher après lui en toute confiance. Plus loin un philofophe de l'Aile- magne n'étoit pas (i modéré ; il bu- voit extraordinairement. Il eft vrai qu41 avoit la tête extrêmement for- te ; rimmenfité de fon génie épou* vante ou écrafe notre fdiblefTe , il raifonnoit de toutes ^hofes. Hifto-- rîen /antiquaire , étymologifte , phy- ficien , mathématicien , orateur , juriC confulte y il ne dédaigna pas même de faire des vers. Si jamats l'opinion ^ que nous avons plufièurs âmes ^ fe re- nouvelle, on pourra citer cet homme merveilleux comme un phénomène moraU Pourquoi k$ élevés fe font- ils écaç? Q3 tés Je Ta fageflfe du maître ? Pourquoi ont ils outré fes erreurs? Que n'onc- Ms lu les monitoires qui bordent le ruilTeau ? Ils crurent qu'il ne s'agit foie que déboire & d'écrire. Ils bu- rent y ils écrivirent y êc Ton vit naître des axiomes^ des poflulata ^ des co- foliaires , des fcholies , & tout Van» cien jargon de l'école , & le principe de la raifon fuififante , 6c celui de^ contradiâiob , de celui d'indifcerna* ble, & les êtres rin:iples, & les ma* nades , & ces beaux mots cemplirent- le vuide de toutes les têtes qui fe fou- cient moins de comprendre les cfao« fes que de les çntailèr fanschoix, tan*. dis qu'ils laflferent & accablèrent ces; jens de bonne foi qui^ en toute cho* îe , exigent quelque clarté. Sur cette rive tranquille, J'apper* çus le philofophe de Malmeil)ory ; fi? fes écrits attriÂent mon ame , (i je ne, puis goûter ce détraébur de la^ nature humaine, cette oppofition de feuti- mens n'éteint point à mes yeux (oat H^éjàiç. Il aypic regu de Ift NAtorei cette tiardieiïe de penfer , fi rare 9t a dangereufe^, mais trop fyllématio que , ii plioic tous les faits particu^ liers à les hypochefes bazardées. Auf- tere 6c vigoureux, il me parue outré dans Tes principes* Sans doute en voyant fa patrie inondée de fang , &c tous les tableaux du crime & du mal« heur environner fes yeux, il jugea que rbomme étoic un être méchant ^ & que rétat de Nature étoic un écac de guerrer Ces triftes erreurs n'em- péchèrent pas qu'il ne fut honnêce- homme ôc citoyen zélé. D'ailleurs , !)erronne n'a fait mieux fenrir que lui a faintetédes loix« & les avantages de la formation des fociécés. Pour effacer le chagrin qu'il avplt imprimé en mon ame, je fixai avec complaifknce cet ami des âmes fend- bles t cec émule de Flacon , ce profond Shafcefbury , donc l'imaginacion viv0 6c brillance étoîc toujours aflèrvieà U raifon & à la fageflè. Gomme il fou- rioit noblement ! comme il açcachoit jS» regards fur l'image de la yerui*!^ Q4 îexpreflîon de fa plume en étoît p^u$ touchante. Il embralToh la carrière des événemens heureux & malheti- reux I qui formenc te tableau de ta vie humaine; & mefuranc le terme du plaiTir qui nous a été accordé, & celui de la douleur que notre fenfibf- lité peut fupporter , il difoit à Thom* me : Pourquoi nous plaindre des in« fortunes de la vie ? n'ed-ce point TE- ire fuprême qw conduit d une main également fage & puiflTante la chaîne qui lie enfemble & meut tous les êtres? Pouvons- nous nous attendre que pour nous favorifer dans un.tems borné , il renverfera Tordre immenfe de la Na- ture , ordre établi par lui-même ? Tandis que notre exiftence efl im- parfaite & fragile , oferons nous fou- pirer après un bonheur fans mélange? tout efl limite hors le fein éternel qui nous a conçu. Il n'a pu fe refufer à produire tout être capable de deve« nir heureux ; pourquoi donc quelque privation répandroit»elle de Tamertu- Bie fur nos jours ? Pourquoi notrQ •5759' '•eïprîc s^égareroît - il dans des defiïs fans bornes f Oublierens-nousqui nous fommes,& que tout ce qne nous avons ^ leçu efl à citre de don ? Compterons- nous pour rien l'honneur ineitimable d'avoir apperçu l'Etre infini f Loin d'exhaler des plaintes inutiles que ht Nature n'entend point , en pourfui- vanc le cours qui lui a été tracé , at- tendons patiemment quelle fera la fin de notre être. Le bonheur d'un per« dépend du bonheur des en fans qui lui font fournis. . • . Mais je n'oublierai pas mon ami Montaigne , que je chéris autant que Molière ; je vis le bon- homme qui fe baignoit tout nud dans le Ruifleau philofophique. Il fe promenoit fans deffein , ne fâchant où il alloit , obéif. fant à la dernière fenfation qu'il éprou- Toit. Tantôt il voloit après un papiU Ion , tantôt il réfléchîflbit à propos de rien; ft une racine d'arbre le faifoit trébucher ^ il revenoit à fa gaieté na* turelle ; il s'en alloit fouriant noncha- ^tOiaieiu AU fouffle léger du zéphyr;. mais il àvoît tant de grâces dans to& ce qu'il faifoici qu'on lui auroit par- donné encore de plus grandes irrégu- larités. Les eSunons de fon cœur in- génieux renferment ce que la Nature offre de plus fin ôc de plus exquis. Il ne me parloit que des chofes qu'il avoic fenties»& il m'obligeott de les fcniir à mon tour. Que de naïveté, de force & de fimplicité! Ceux qui le prenoient pour un fou n'avoient oi difcernementy ni droiture. Bon jour, lui dis-je, en le rencontrant, bonjour abrégé de la nature humaine ,, hom- me intéreflTant^ homme vrai, fage,. fans morgue I toi qui traças un tableau fi fidèle de l'entendement humain,, de fes folies , de fes çontradiâions «écernelies ; quiconque n'eft pas l'en* nemi de l'humanité , ne pourra s'em- pêcher d'aimer à Jamais & ton livre *& toi. Sur le bord de la rive oppofée,. yapperçus l'Alcîde des philofopbef* Au lieu de maflue , il tenoit une b^? lâBce, 5 &. taille, étoit grgantefqcei^, . ^ .... tome d'une dialedîque învîncîble , îl fenverfoit une multitude de fyftêmes^ & d'un air triomphant , mais non oc- fueilleux , il itiarchoit fur leurs dé^ ris épars : les travaux de cet bom* xne étonnant font comparables à ceux: d'Hercule: il alloit détruifant les monflres & les chimères ; il nétoya. ces vaftes barras d'où s'exhaloit une Eefte morcelle.  fon exemple, le éros moderne purgea cet amas de vieilles erreurs qui infeftoient le champ de la raifon. Athlète redou* table, il fembloit tenio la viâoire à fes côt^s , Se la foire voler à Ton grd vers le parti qu'il lui plaifoic de £a« vorifer. L'hiftoire , les arts & la^ philoropbie paroiflfoient à fes ordres^ lui ouvrir leurs inépuifables tréfors. D'un coup d'œil , il appelloit les pen- fées & les événemens poftérieurs , &' cette immenfité de chofes ne trou- bloit point fa vue fixe & fure. Il jet- roic dans le monde littéraire un éclat femblable à celui de cette cornette^ ;^eufe^qui àonna par fajrandeur^i Si ii eut de plus avec elle cette reF iemblance , que comme elle répai> die dans la multitude des terreurs. po- pulaires , de même U eSray2i le vul- gaire des philosophes. Je defcendis le long de ce ruiffea^ fleuri. A qufslques pas, je ne décoik vris plus perfonne , mais je remar- quai une colonne triangulaire , cou- verte de caraâeres fraîchement tra- cés ; la curiofitc me l«s fit lire , & voici le fens de. l'infcription , que je prends la liberté de traduire: A la mémoire des beaux Arts, qui, après pIuHeurs fiécles de fanatifme & de barbarie^ fe font fait jour enfin dans ce Royaume* L'infiant qui les vit naître a étt pour-aioii-dire témoin de leur perfeâion; le cizeaui le bu- rin, le pinceau étalèrent de toute part leurs chef d'œuvres, & les eaux a Hypocfene furent tellement fré* quentées, qu'elles en parurent taries.; mais il reftoit une fcieoce vafte i |)arcouriry fans laquelle lés autres font >aiA£s. Vex^^lemilieadeceûédeuDii Vent heureux fouffla tout à coup 9^ côté de l'Angleterre , & porta la phi^ lofophie chez cette Narion frivole & ioconflante , qui ne fembloit pas for* mée pour elle. Les hommes degtfnîe qui ne paroiflent appartenir à aucun pays, l'adoptèrent avec tranfport I 6c par degrés ^ la rendirent chère à ua peuple qui d'abord voulût la mécon* Hoître. Alors, on fe mit à ia recheiw che de ce RuîiTeau merveilleux qui naguère couloit obfcurément ; oa s'empreiTa fur fes bords; lous le (iécle précédent, perfonne n'avoit pu, ou plutôt, n'avoit ofé y boire publique^ ment. Je ne fais quel ton adulateur , timide , incertain , avoit faifi les meil^- leures plumes, les plus ûites pour être indépendantes & libres ; les livres les plus^éloquens étoient remplis de lo- phifmes admirablement tilTus. De mi^- Krables querelles étoienc Talimenc des efprits nés pour éclairer le mondew Cétoit le régne de la peinture y de la poëfie, de l'éloquence, mak luui celui de la pfailofaphie. iLfàllulL 4|Dr Te tems apprit à dédaignef tW argùmens fcholaftiques , qui ne méri- toient que la dérifîon. On fe tourna^ vers des objets plus utiles; on fentic la n^ceffité de s^abrenver des eaux Êtlutaires de cette fource trop long* tems négligée. Les progrès forent rapides, malgré le courroux puéril de ceux qui redoutoient les effets d'une boiflfon qui , comme le Népen- tliesy ouvroit les yeux de l'homme. Us auroient bien voulu étouffer la- penfdedans fon fanâuaire , deiféchet le Rufflfeau , le fceller , ou du moins^ difpofer des iatellites tout le long de fes bords, mais cette fource émanée du fein des Dieux ne recevoit aucun frein ; elle renverfoit les obftacles les plus puiflfans , & rien ne pouvoit dé^ tourner fon cours. La marche des eorps céleftes n'a point un effet plus^ prompt & plus infaillible; d'ailleurs^ quiconque a trempé une fois feslévr«S' dans cette onde pure , en conçoit un^ ^out immortel , de même que celui^ j^iadi&avoit goûté des eaux du.Ni^« ^7f tileyoit en boîire une fécondé fbîs. EFïT ^uel efl l'homme qui reiecceroit la* vérité & la vertu , après avoir connu leurs délicesf On n'a point à craindre fur ces rives fortunées les ingrats ni les déferteurs; aucun ferment n'y lie les volontés ; le pouvoir de la raifon , l!amour de rhumânicé, le goût de la^ fagefle, forment feols un corps de ces hommes difperfés,qui connoiffenr trop leurs forces pour en chercher' d'autres que celles qu'ils tiennent de leur propre génie J'entendis un léger murmure , & je' découvris un groupe de philofophes qui converfoîent enfemble ; leur voix^ éclatante réfonnoit avec grâce ; leur démarche étoît libre , aîfée & pleine- de nobleffe ; un fourire focratique ha* bitoit fur leurs lèvres; l'élévation de leur penfée fe peîgnoit fur leur front ouvert & ferein; Tairqui les environs noit me parut plus radieux^ & plus pur ; la Nature s'embellifToit autoui?- d'eux. Un des premiers ètoic l'auteur* teharmant des mondes y, des oacles j> % (7e tant d'éloges admirabfes;^ ]ît* m'apperçus qu*U bttvoit de crès-pecitt ^ coups y èc même à dîfTéremes repri*» fes y de peur de nuire à fa fanté, Îiu'il chériflbic beaucoup : il coloroic réquemmeot la^ liqueur , & la pré- fencoic aux autres &)us un autre nom; il aimoic à boire , & il évitoit de paf- fer poi^r buveur. Fin , prudent , dil^ cret y ou f pour lui rendre plus de )of- cice , forcé de l'être , il déguifoit in» génieuremenc fa penfée , & fervoit la philofophie , comme un hoinme qui y gêné par un état févere , adore en fecret , & vit aux genoux de cette miSme beauté qu'il ccaindroic de iâ^ luer en public. Un préfident de la même patrie que Montaigne y doué de fon imagi- nation aâive , mais plus fage , plus méthodique y plus profond, but,& fon œil devine perçant comme celui de l'aigle. Sa fagacité rare & précieux fe débrouilla le cahos informe deeei^ aâes , tantôt raifonnés , tantôt arbi» |iaice5> qja'oa nomme loiiu Daa5.ua{R .577 Théorie fublîme , il remonte à leuf origine, il les fuit, il les obferve dans leur rapport , il indique leur vafle enchâînemenc. Tandis que la raifon humaine fkifoic encrer de toute paît la lumière dans les fciences & les arcs^ il fut le premier qui fut appliquer la philofophie à la politique y comme a la fcience la plus néceflaîre» la plus importance à Thomme; à celle qui rient le plus immédiatement à fa li- berté, à fon bonheur propre & pré» fent. L^efprit philofophiqueavoiterré long > tems avant de frapper ce bue utile ; ce grand homme nous le dé^ couvrit avec tout l'éclat d*un génie créateur, & il a femblé dire à ceux qui viendront après lui : Braves con>> pagnons , c'eft ici que vous devez réunir tous vos efforts; c'eft ici que vous devez bâtir les monumens écla- tant de votre puiffance. Il ne s'agit plus de vérités amplement curieuses , ou ingénieufement inutiles; il s'agrc de la félicité des peuples , de la gloire des Souverains , des nœuds qui doivent 57« vnir les hommes entre eux ; il s^'agk de la caufe du genre humain; elleeft remife à vos hardis travaux , & le motif eft trop élevé| trop cher, trop généreux , pour douter de votre zèle & de vos fuccès. De tous les philofo'phes qui en^ fouroient ce criftal limpide , je crut feconnokre qu'il n'y avoit que ce grand homme qui eut jamais pu com- pofer ce livre immortel , qui ne ce( &n d'écre lô , médité , combattu^ admiré , que lorfque la juftice & la faifon feront aflîfes à la place des maîtres de la terre. Quel eft ce favant Naturalifle qur tient en main une coupe d'or? il boit en regardant les cieux ; fon pinceau eft noble , ma}eftueux , touchant ^ cpmme la Nature dont il e(l le fidèle hiftorien. Toujours élevé fans fade,, toujours grand fans enflure , il tran^ porte fon leâeur parmi les fpheres foulantes » au fein de ces orbes im- menfes que fon œil embrafle & me- ilue.; puis cabaiiTam Iba vol, illr ironduit dans les laboratoires fecretr^ où la Nature cachée fe montre en*- core plus admirable ; à chaque pas il inflruit, il étonne; mais lui , les mi» jracles pompeux de la création lui fem- blenc familiers^ & il décric T univers , av«c cet art (impie qui annonce un génie au niveau de Ton fujet. De quels traits il peine l'homme ! comme il le . confole de la vieilleiïe & de la mort ! . quelle haute idée il lui donne des incultes de fon ame ! elle fourit de ^oie dç d'admiration , en fe plongeant dans ces idées tour-à-tour fortes & touchantes , Se tout autre éloge df » vient I ie croîs , fuperflu. Non Loin, un homme d'une tête vigoureufe appaifoic (a foif ardente». Il buvoic avec tranfporc , & ne pou» voit fe défaltérer ; la liqueur agiflbic puiflàmment fur fon cerveau , mais , comme il le die lui-même, on ne fera. tieïk de ^rand , rien d'élevé , fans un certain enthoufiafnïe. Il eft des fecrets qui ne fe révèlent qu'aux âmes brû*- kmes; le. feuximenc & l!idpi4i:rie: dtt 5*o beaux arts pénécroient vivement fbe cœur ; il étoic né pour leur donner des loix. Tancôc rapide^ véhément & clair I fon éloquence fubjuguoic la penfée. Quelque^fois obfcur , myfté- rieux , & peuc être àdeffein , il échap- poic à Ton leâeur. S'il momoic on mo* ment fur la fcène, il y portoic la morale couchante I & faifoic couler de douces larmes ; il a voit tracé la meilleure poë' tique connue ; d'ailleurs , il avott con^ çu , tracé ^ exécuté par fon génie & fon intrépide courage , le plus hardi , le plus beau monument que Tefprit liumain aie jamais ofé drefllèr* Là, font raffemblées toutes les richefles de là raîfon ; comme Ton die que jadis dans le temple de Salomon étoieot raflTemblées toutes les richeflfes de la Nature. Cet édifice fuperbe qui im- snortalifera & fon fondateur & la Nation , fut conllruit au milieu des tempêtes & des orages "*". Quand la * J>Jota. On n'entend faire ici l'éloge que de la partie des arts & des fciencç* jbumaiaes«. 5^' barbarie reviendra couvrir la face de la terre , c'eft dans ce vafte dtpôc qu*on ira chercher les velliges des arcs analyfés du coup d*ail du génie. Il accédera à la poftéricé la plus recu- lée, la perfeâion de refpric humain , dans la connoiflTance même qu'il a acquife de {on impuifTance. Il écoic fuivi d'une foule favance qui buvoic à calfe pleine ; mais com- me les eaux du Ruideau philorophl- que fonc dire julqu'aux vérités qu'il faudroic caire , ils faifuienc cet aveu (incere. » Nous avons mis à concribu- » cion cous les livres qui exidenc ; r> nous ne naiflTons qu'après bien des 90 (îécles écoulés; & ce n'eft point >3 nocrç faute , (i » avant nous , on a 99 penfé & die des chofes qui encrent » dans la chaîne de nos idées. Tout » ce qui eft bon nous apparcienc de ^> droit , & fi c'efl; un larcin » un par- » faic défincéreflTemenc auroic été plus 30 nuifible ^c. Cela n'empêchT)it pas qu'il n'y eut dans l'ouvrage une foule fie véritiés neuves , Sç que tguc n'y 581 fo empreint de cet erpric pliilotb^ pbiqoe , qui prére de la force & de la clarté aux moindres objets. Mais je difiinguai, fur tout ^ parmi eux f ce favanc , aimable , modefte , généreux , dont la confiance égala Iférudiiion , qui s'eft occupé fans re- lâche de raccompHflfemenc du grand projet 9 qui ne fut cbranlé ni par le cri des paflions , ni par racharnement de la calomnie , qui ne vit que la gloire d'achever un monument utile au monde , Se qui par foo courage heureux partagera la reconnoîlfance due au fondateur. Tous ces gens de Lettres, par la fupériorité de leurs lumières , par la îiobleflTe de leurs vues , par leur genre dévie honnête , tranquille & reciré, méritoient la confidération publique. Peut-on trop le répéter? Ce font les Lettres qui font fleurir une Nation » qui calment Tindocilc e(prit du fana- fifme, qui répandent dans le cœur des hommes les régies de la droite f aifon f ô^ les fémences de douceur | 3e vertu & dliamanité , fi néceATaf* res au repos des Souverains , & au bonheur de la fociécé. Le confrère de ces hommes célè- bres fe promenoit Ton Tacite en main* 11 écudioit fa manière , il le tradui- (bit f Se les autres ne faifoient que l'expliquer. 11 prenoit fon efprit. Son ftyle avoic de la netteté , de Tagré- roent , & une précifion finguliere ; il tempérait preique toujours la force de la liqueur d'une petite dofe de (i« nefTe. Connoiflfant bien fon fiécle, & fsl Nation , il avoir découvert que l'épi- gramme étoit la forme la plus heu* reufe pour leur préfenter certaines vérités. On a peu vu de géomètre i eu- nir autant de connoiflfances , poileder autant de goût , avoir une vue auffi perçante , & une fageffe auffi modé- rée;, mais un don encore plus rare^ c'efl qu'il étoit bon plaifanc. Senfible, impétueux, véhément, tenant en main tous les foudres de réloquence , reflTufcitant la chaleur des Démoflhenes^ & la profondeur des 384 Crceronsytin homme contemploit d*ua œil avide le Ruifleau philofophique , & difoic : Eaux funeftes , eaux em- potfonnées , pernicieufes au genre hu- main y foyez maudites à jamais ^ & dans rinflanc même il fe baiflbit pour en boire. Céroit de l'huile verfée fur un brafier ardent. Auffi-tôt fon ima« gination s'allume , elle devient riche & féconde; il exprime fes idées avec une énergie toute nouvelle ; la langue s'enrichit fous fa plume douée de for- ce & dp douceur ; la philofophie ac« quiert de nouveaux tréfors "*". Sa mar« che efl fiere, rapide, inexorable, mais quelquefois aufTi il tombe dans l'extrême. On ne peut lui refufer le génie d'obfervation au plus haut de- gré^ & le mérite d'avoir découvert des * Nota. On ne fe rend point ici Tapo- logifte des ouvrages que les tribunaux ont profcrit ; on ne parle que de ceux qui n'ont point été repris par les juges en cette ma- tière. 5«5 ées différences que le vulgaire âet pbUofophes n'appercevoit pas. Quel- les clameurs s'élèvent autour de lui ! que de pygmées lui déclarent la guéri- ra ! Inébranlable comme un colofl^e ^ tout l'orgueil des hommes ne peut rabaiflTer le lien , qui en devient plus fier & plus légitime ; fon caradere (s doncre auffi inflexible que fa plume , & fes erreurs même femblent refpec- cables , parce que le fentiment de Thu* inanité répand fon feu facré fur tous fes écrits. O qu'il étoit grand à mes yeux d'avoir difpofé de ion ame toute entière & à fon gré ! & qu'il eft rare d'avoir confervë le vrai caraâere que nous donna la Nature , parmi cette foule d'çtres imitateurs , nnges tyran- niques qui y tout en criant liberté , ne peuvent fouffrir que ceux qui s'abâtar- dinfent comme eux. Il eft vrai que l'eau phîlofophique avoir fait fur lui ce qu'un élixir puiiïant opère fur un vieillard ; elle fembloit ravoir rajeuni. Alors pour déifier Tob- jet de fes antiques amours , il avoic IL Partie. R 386 compofé nn roman , l'ouvrage te plds extraordinaire qui foie dans notre lan- gue; il y avoit mêlé la philofophie & l'amour I le raifonnement & la vo- lupté ; il avoit tracé des fcènes fédui- fantes & des tableaux féveres. Ce roman infpiroit toutes les vertus ; & l'ame humaine y étoit profondément pénétrée. O fenGbilité! tous tes char- mes y tous tes tréfors font dévoilés aa grand jour. Non , l'amour n'elt plas une pafllon terreftre , c*eft une flam- me divine , principe de couc héroït me. Je te relirai » roman divin ; j'ai cherché vainement dans quelque lan- gue que ce fut , un modèle ou un peintre femblable. £n &ce de ce génie fingulier, je vis ce génie univerfel qui n'a point de rival dans l'antiquité. D'une main îl tenait une trompette , de Taucre un poignard , & le tambourin d'Érato fe voyoit à fes pieds. Il mêloit habir lement les ondes d'Hipocrene à celles du RuiiTeau philofophique ^ & le con- cert de bk lyre étoit alors digne de rt)Teîlle des fages. Il jettoît un regard fur laSuperdicion , l'Erreur & l'Igno- rance , & ces divinités ténébreufes fuy oient confondues. Elles ne pou- voienc foutenir cec œil étincelanc qui les pourfuivoit dans Tombre. Héri* tier du bâton de Diogene , tantôt il en châtioit les plus infolens ^ tantôt fon fourire perçant déconcertoit la gravité pédantefque d'une foule de ibts , qui n'avoient pas même refprit de le calomnier. Il avoit reçu de la Nature cet efprit fin & fubtil , qui effleure & approfondit , qui joue & raifonne , qui plaifante & inftruit , qui tonne quelquefois , mais dans une nuée de fleurs. Céroit la plus admi* rable tête , la mieux organifée , la plus infatigable, la plus finguliérement fpi« rituelle "*". Il rendoit jufqu'à l'érudi- ♦ Nota, On n*a en vue ici que les Ouvra- ges légers & poétiques , qui cara&érifent notre Auteur y & non ceux qui pourroient toucher à des objets refpeâables. 388 ^ ^ tîon piquante; nouveau Lucien, il itnprimoic le ftigmate indélébile do ridicule , aux folies diverfês & va* riées donc abonde ce pauvre univers , & l'univers rioit du tableau. On ne vie jamais un philofophe plus enjoué; à cet égard , quoiqu'en cheveux blancs il foutenoic prefque feul la gloire du nom François. Quel eft cet Anglois audacieux qui defcend dans les plus profonds aby- ines delà métaphyfique , pour vifiter les fondemens de la morale & de l'é- vidence ? Du fond de ce gouffre il s'écrie : Prenez garde à vous , foibles humains , tout va crouler ; la maflfe de vos penfées repofe fur un fable mouvant ; un inftant peut bouleverfer vos frêles opinions ; il ne faudroic qu'une fenfation de plus pour vous faire foutenir demain » Se avec la. même opiniâtreté, le contraire de ce que vous foucenez aujourd'hui. Ainfi il vouloir effrayer le genre humain , ^ lui faire accroire que fes appuis n'e'toient rien moins que folides j mais je ne fais quelle convi^ioo ior. tîme qui parlok à Thomme le plus greffier , étoît plus forte que l'affem* blage de ces fubcilicés. On n'époufoic point la terreur panique qu*il vou- loic répandre, & Tordre moral pa« roiflfoic auflî fûrement établi que Tor- dre phyGque. On ne craignoic pas plus le renverfemenc de Tun , que celui de Tautre* Une vue trop fine , et) s'arrêtaric long-tems fur le même objet, (e trouve éblouie, & dégénère eo une efpece de cécité. Cet écrivain en fournit un exemple; fa dialêâe trop fubtile vife au pyrrhonifme. Malheur au philofophe qui ne s'é« chauflfe ou ne s'attendrit jamais ! s*il n'a point décidé fa penfée, comment peut-il inftruire ou toucher? d'ailleurs , j1 avoit écrit Thiftoire de fon pays, non au gré de fa Nation , mais , du moins , au gré du rede de TEurope. Tous fes écrits portent l'empreinte d'un génie qui tantôt ofe trop , tan* toc n'ofe pas aflfez ; en les lifant il fera bien plus facile, je^rois, de les ad% mirer que de les chérir. R3 590 Quel eft celui qui porte une phy- (ionomie (i douce , (i aimable , fi fpi- rituelle ? il abandonne une cable cou- verte d'un tapis verd ; il fuie à grands pas , âc fe fauve de la fombre caverne où il s'efl trouvé furpris. Je le vois qui jette à droite & à gauche les facs d'argent donc il eft chargé , pour vo* 1er plus ^romptemenc aux bords du Ruifieau. Là^ il fourit , il fe mire avec complaifancei il boii avec délices , il femble être dans fon élément. Quelle voix tonnante s^écrie : Pourquoi a til révélé des vérités terribles qu'il falloit enfevelirp Je répon^lrai: hélas! &eû que droit & (incerrf il a bû de cette eau toute pure 8t fans mélange. . • . Mais doit-on oublier cette humanité pro- fonde f cette bienveillance univerfel- le, cette horreur du defpotifme, cet amour des vertus & des talens, cette candeur , cette élévation d*ame , qui fe manifeftenc à chaque page; tout y fàic tableau , tout y eft peint fous les couleurs les plus frappantes^ & la force la plus heur^ufe fe marie à cet 391 enjouement léger, que fappeliero!) volontiers le rélultac du coup d*œil du génie. La Poftéricé lui marquera la place honorable due à Tes calens "^ ; mais ce fera vous , infortunés qu'il a comblés de bienfaits , ce fera vous qui louerez dignement ce cœur géné^ reux y fait pour fervir de modèle à tous les bienfaiteurs. Où va cet obfervateur, fa loupe en main ; il l'applique fur le cœur de fes concitoyens , non pour le plaifir tnalin de furprendre leurs défauts , mais pour leur préfenter un miroir falutaire. Il faifit les mœurs domi- nantes du (iécle, au milieu de ces mœurs fugitives que l'on prend faufle- menc pour elles » mais qui , comme lès couleurs de l'iris , brillent & s'ef- facent. De plus , il pré(ide à la ma- * Nota. Qu*on veuille bien fe fouvenir que Ton n'apprécie ce Kvre y comme les précédens , aue du côté des talens litté- raires ; pour Je refte , on fe conforme aux décifions publiques. R4. . Aufaâure des vafes dans lefquels on doit boire ; il prononce fur la forme plus commode ou plus beureufe qu'ib peuvent recevoir; il n'aime point, iur-touty qu'on trouble les buveurs dans leur impoitance fonâion ; & il crie paix'Iâ , aux étourdis indifcrecs. La probité lui forme un caraâere ferme y où la franchife éclate avec une (implicite noble.  fes côtéS| deux voyageurs phi» lofophes fixèrent mon attention. L'un, d'une main forte applatifToit la terre; l'autre » à travers mille dangers, alloic interroger la Nature aux lieux où elle gardoit le (ilence depuis l'origine du Monde. Celui - ci fembloit né pour parcourir le globe , & montrer à la terre ce que peut dans l'homme le defir de connoître. Celui-là dans fes vues profondes fondoit le régne myC" térieux de Vt^nus phyfique ; mais le premier plus heureux s'attachoit à la preferver de cette maladie défolante, qui flétrit la fleur de la beauté ; c'eft à lui que nous devons en partie une évolution heureufe. Tous deux met* (oient une chaleur (inguliere dans leurs opinions ; mais celui qui avoic (s bien calculé les plaifirs & les peine» de l'homme y auroic dû calculer au(ÏÏ les erreurs encore plus innombrables de Ton imagination. Je crois qu'alors il fe feroic arrêté plus fouvenc, mais peut - être que la phîlofophie y au- roic perdu , car n'y a t-il pas un plaî^ fir utile à conddérer le jeu de toutes* les idées poffibles ? Tu étois couché fur ces bords , toc fcrutateur favant , peu fait pour êtrer lu par la multitude , toi , qui plongé dans les ombres de la pâle maladie ^ conferve un efprit fîngulieremenc doué de pénétration & de (àgelTe. Je te vis appréciant tous les fyftémes , en choifir le trait lumineux; tu ap^- percevois dans la Nature une unifor-- mité conftame , & depuis Taftre étin-» celant enfoncé dans les déferts de- Pefpace, jufqu'au ver imperceptible^ qui trouve fa nourriture & fon afyl»' dàn& un grain de poufliere^ tu décoo»^ R5, rrois que les mêmes principes de vFei de repcoduâion , & de deftruâion , leur écoienc communs. Tu poITédes de plus une mécaphyHque neuve & dé- liée. Lorfque tu parles de la Nacure de Dieu , ta \ûe profonde étonne ; J'enchainemenc de tes idées vaftes pa- role analogue au plan untverfel de l'univers » où tout eft lié par des rap- ports pré(ens ou éloignés , mais rou- îours lurs & inébranlables : reçois mon hommage & pourfuis tes tra- vaux. Appuyé fur une charrue ruftique , un fage méditoit à l'écart.^ Sur fon front étoit écrit : L'ami des hommes^ A ces caraâeres facrés je fus faifi de fefpeû. Je lus quelques feuillets épars autour de lui, & fadmirai cette ame fiere 8c fenfible , qui défendoit avec tant de nobleilè , de chaleur 6c de courage la caufe (i long-tems aban* donnée des malheureux cultivateurs. Ce généreux citoyen s'écrîoit : O Rois , ô Princes de la terre , venez tous; venez pofer votre oouroune for k 595 ce foc refpedable , comme luf une bafe inébianlable ; c'cft du fein de ce (illon que jailufTenc la gloire , l'a- bondance & la fplendeur des Empi- res. Touc à coup animé d'un zèle mtriocique , il pourfuivoic la flamme a la main ce peuple de vautours , acharnés fur le cœur de la patrie , & tous les habitans dufleuve, en frap- pant des mains , applaudiflToient à fon courage. Ce n'étoic point l'amour d'une vaine renommée qui prêtoit de la force à fon bras, c'étoic le cri im« périeux de fa confcience qui fe fou- levoic à la vue du foible opprimé , 6ç ^u pauvre avili , découragé. Un autre fage crempoic fa plume auftere dans les ondes philofophiques, & traçoic dans les entretiens d'un juAe 4e Taociquité les devoirs des magif- tracs. Il exerçoic une cenfure ferme & utile fur leurs mœurs ; il leur re- coramandoit l'intégrité, le facrifice d^es vains plaifirs , & fur-tout ce cou- rage d'efprit (i rare , mais en même t§ms A néceflfaire s^ux interprêtes du &6 peuple. Enfuhe il faîfoît voîrleypnJ vileges de la Nation , le contiac de iês membres ,^ l'origine de^ fa gran- deur y les caufes qui pourroienc hâter ou retarder fa ruine. Par«touc le ci- toyen zélé, le politique profond, l'é- crivain fage , fe faifoic reconnaître ôq refpeâer. Mais quel eft ce héros qui defcend dans le fond des cachots, un flam* beau à la main ; il relevé les che- veux épars fur le fîronc d'un malheu- reux chargé de chaînes , & foulevane fa tête abattue fous le. fardeau plus cruel du défefpoir , il s'écrie : Nature, humanité, patrie, vois un homihe, un infortuné , un citoyen ; s'il e(l cou- pable , pleure & refpeâe l'humanité dans celui même qui l'a outragée; s'il efl innocent, frémis, 6c hâte-coi de brifer fes fers. Ce philo(bphe ver- tueux balançant le dommage des dé* lits & la nécedité des peines , éta- bliiToit un jufte équilibre qui pût af- furer le repos civil fans avoir recocirs à la. cruauté, 11 pl^idoic avec force 597 tn faveur de ces infortunés , viStlmeï du dén)on de la propriété, qui ne doivent fouvent leurs forfaits qu'à la dure inlenlibilité des riches. Tous le» cœurs fenlibies répondoient à ce crt élevé pour la première fois en faveur de cette claflTe d'hooimes ,. qui , de quelque manière qu'on les envifage , ont droit à notre pitié. Qui le croi«^ roit f cette voix tendre Se fublime Vélevôit du fond de Tltalie. O séyo- lution non moins heureufe! unmagif^ trat éloquent portoit l'accent viâb^ rieux de Thumanité en face des ttW bunaux , & à fa voix touchante , les> pleurs de Thémis traverfoient fon ban^^ deau. Je retrouvai fur ces bords ce fage contemplateur , ce favant laborieux , qui n'a fait que paflfer fur la terre , & dont la mort a révélé le génie. Au milieu d'une vie agitée , & parmi des travaux qui ne donnoienc rien h h. glofre, il acquit des connoilTances^ étendues. Il fouleva le voile qui cou?^ ^re yanci^uité „ U débiQuUl* h m)pj- 598 , (hologie , il détermina la forme du gouvernement le plus anciennemenc connu. Le fpeâacle aflidnde laNa^ ture , (i capable d'enBammer toute ame née pour le grand» & le fpeâacle du malheur des habitans des campa* gnes» (i trifte à voir , mais encore plus propre peut-être à élever le cœur de Tami de Thumanicé , lui infpire« rent des pehfées fortes, grandes , & dignes du double objet qu'il avoir fous les yeux. Honorons cette totnbe où il jouit d'un repos qu'il n'eil plus ail pouvoir de ce monde de lui ravir ! t Quel eft ce vieillard aveugle * qui s'appuye avec tant de compJaifance fur le bras de fon condudeur ? Que fcn front eft vénérable ! Que fes pa- roles font douces & pleines de fagefle! * Nota. Pour éviter toute mauvaife in- terprétation des gens mal intentionnés f on déclare encore une fois que dans ce morceau > & dans les précédens » on n'a voulu louer que la partie approuvée de ces divers écrits , & qu'on n'a point vou- lu iuftiâer ce qui a paru r^rébenûble.. ."599 Il sVntretient utilement avec ce guide ingénieux. On ne parla jamais plus éloquemmenc en faveur des Monar- ques & des Monarchies. En les voyant y l'apperçois l'union de Tefprit & de la raifon. Approchons , que j'écoute en- core une fois ce bon vieillard, a» Mes >:> amis , je le répète , un intolérant eft x> un méchant homme & un mauvais » citoyen ; un méchant homme , en » ce qu il tend à relâcher les liens qui yy doivent unir les hommes ; un mau- 99 vais citoyen, en ce qu'il voudroic X» faire du Prince un perfécuteur uni» *ï quement occupé a fervir fes fureurs >» particulières, j'ai blanchi fous les >3 armes , je fuis entré dans le confeit yy des Rois , j'ai appris à connoître les 9> événemens , j'ai toujours reconnu yy que tout citoyen qui vit paiGble* » ment efl un très-bon fujet qui mé«- yy rite la proteâion des loix y que le yy tourmenter au fujet de fa croyance^ >9 eft une injuftice abominable zux y> yeux de Dieu. Je fuis dans un âge X» tranquille I OU les paâions. menibi]^ < 4^6 » gères ne fatiguent plus les (cmi •» mes yeux fermés à la lumière ne 9» fonc point diftraits par les cbofès » de ce monde. Un vieux guer^-ief » franc , droit & (impie ne fait com- » battre que les ennemis , & ne veue d» parmi fes concitoyens que concor- i » de ,. douceur & tolérance ce. Près de ce guide fidèle s'avançoît i un jeune homme à Faîr noble , à la ! démarche fiere & tranquille ; fon or"> gane avoit quelque chofe de poai« peux > mais les chofes qu'il difoit ré» pondoient à ce ton clevé. Il portoit a fon bras les portraits des Sully des Daguefleau^ des Defcartes , des Afarc- Aurele , & ces portraits étotent fi beaux , fi reflemblans , que ceux qui ne vouloient pas s'impcfer les devoirs ou les vertus de ces grands hommes^ frémifibient à leur afpeâ, de hont^ ou de courroux. Six couronnes bril- lantes ornoient fon front , toutes fair tes pour l'immortalité ; la flamme gé*- oéreufe de la vertu brilloit dans fes^ éccits ^ ôç, leur donnoit ceue foxceâ^ 4^r cette chaleur qui ne font que le par« cage de ceux qui la chériflTenc pour elle-même. La nobleffe & rélévacion de Ton ame s'imprimoienc à chaque ligne que fa main traçoic; il jouinpic de Teflime publique , il la méritoic ; Se il avoic pour amis, fes rivaux , (es admirateurs , & fon fiécle. Je lui difois : Ami^ il te refte à fon* dre la flatue coloflate du héros de la Ruflie ; c'cft à toi qu'il appartient de modeler en grand. L'airain bouil- lonne fous les feux qu'allume le fia- tuaire; c'efl à la flamme de ton génie à vivifier tant de matériaux épars; pourfuis ta noble entreprife. La con« noiffance des arts , les richeflfes de la philofophie, les tréfors de Timagina* tion deviennent ton appanage. ^ Des poètes, quoiqu'en très- petit nombre , venoienc mêler quelques gouttes du RuifTeau philofophique aux ondes du facré vallon ; mais tous ne favoient pas la mélanger avec la mê- me habileté. Lucrèce chez les anciens; iphez les Anglois j les Auteurs de Tei^ 401 Et fur rhomme , &c de ces complaici- ces immortelles adreifées à la nuic "**; & parmi nous la Fontaine » Molière, VÂuteur de la Henriade , & celui qui traça dernièrement l'admirable Épicre au peuple , paroiflbienc prefque feuls en pofliéder le rare fecret. Chez les autres , la qualité de Tune fembloic remporter fur celle de Tautre , & ob, Vimagination trop brillante défiga* roic la penfée , où la penfée fecbe étouffoic les grâces de l'imagination* Tandis que ces philofophes s'eni* vroient du vrai neâar des Dieux, une foule aufli infenfée qu'impuiiTante & ridicule , crioit de deflus les hau* teurs qui couronnoient ce Ruifleau* Leurs yeux aveuglés ne fa voient point le reconnoitre; leur bouche groffiere n'étoit point faite pour favourer ces eaux divines ; ils vouloient par leurs * Nota. Les nuits du Doâeur Yonng, J)0ëte Anglois, ouvrage rempli d'une po^K* le fublime. M. le Tourneur en va puolier «ne tradudio'n digne de 1 original. ,403 clameurs tronbler les jours innocens 8c paiGbIes de ces hommes éclairés ^ donc le repos infulcoic à leur folle inquiétu- de. Ils décochoient de petites aiguil- les empoifonnées ; mais ces traies de plomb qu'ils lançoienc, leur retom- Doienc fur le pied, & le dépit leur faifoic jetter des cris enfantins. D'un côté , c'étoienc de frivoles verGfica- teurs f qui fe lamentoient de ce qu'on ne lifoit plus leurs productions fadi* dieufes ; ils difoient que le goût étoic perdu, que refprît philofophiqueétoit. la gelée deilruâive des fleurs embau« mées qui ornoient nagueres le fein de la Nature ; mais ces imputations étoi^nt faufTeSy rien ne donnant plus de force à la poëHe que la vérité & la raifon ; de l'autre , c'étoienc de mal- heureux journalises/ des têtes étroites, des ignorans orgueilleux, des hom» mes brutaux , qui attaquoient ce quils n'entendoient pas, qui infuhoient aux premiers noms auxquels le public at- lachoic quelque eftime , qui s'ima* ginoient enfin dans leur fureur im« 404 WcîIIe^ pouvoir pafler on Inftant pont les rivaux de ceux donc il fe ren* doienc aadacieufemenc les adverfat- res. Us ne recueiiloienc que cette at- tention paÛfagere, que la malignité de rhomme accorde à ceux qui sV bandonnenc au mépris public , en fe livrant à Todieux métier de la facyre , le dernier de tous les genres , deve- nu l'opprobre même de la baffe lie- térature. Cependant tout le monde vouloîe porter dans un Bacon de Teau phi" lofophique ^ car elle étoic devenue fort à la mode dans un pays où tout e(l mode. Mais comme cette boilTon étoit extrêmement rare , & par con« féquent précieufe , n étant pas fur*touc facile à puifer , des gens fe mirent à la contrefaire» à«peu-près comme dans cette Capitale les Marchands de yin fripons imitent les vins les plus exquis, & nous empoifonnent délicieufeoient» On acheta fouvent de Teaû frelatée; on lui trouvoit un goût particulier! commode Sç agréable ; chacqn fe pi-. I V quoîc d'en avoir , mais prefque cha- cun en fut la dupe. Il arriva que les trois quarts de la Nation n'en retire* renc d'autre fruit que des vertiges , des illufions , & de grandes douleurs de tête. Pendant l'accès on parloic fans s'entendre y on frondoit les nou- veaux établifTemens , on bâtiflToit à fon gré y on détruifoit à fa fantaifîe , on dirigeoic les Empires, & dans un vol tout auiT] libre , on alloic régler à la fois le fyftême du monde phyfique ,* & celui du monde moral. On con- ièille donc une féconde fois à ceux qui ne favenc point reconnoître cette eau de leurs propres yeux^ de s'en abflenir , & de ne point fe livrer à ces charlatans qui , plus cruels que les empiriques , tuent le bon fens ; qu'ils s'adreflfent à ceux qui polTédenc la véritable ; elle leur paroîtra d'abord amere, mais s'ils y prennent goût^ ils en éprouveront un effet falutaire« On veut par cet avis gratuit leur épar- gner bien des extravagances & des ridicules. 4o6 Mais une chofe me lit rire par deflTaf tout. Des orateurs dont l'éloquence limple doit être le premier mérite, vou- loient en faire ufage dans ^a chaire d'où ils parloient au peuple, efpérant par4à plaire davantage ; mais en admettant des idées fort étrangères aux dogmes qu'ils annonçoient , ils déceloieot leurs larcins ineptes. Mauvais falfificateurs , ils faifoient nii mélange ridicule & contradidoire. Tels les opérateurs du grand œuvre en voulant concilier des élémens oppofés , voyent leur réci- pient fauter en l'air, 6c ils fe trouvent eux-mêmes plongés dans une fumée épaifle , où peribnne ne peut les re- connoître. Une voix retentiflànte fe fit alors entendre le long de la rive , & ren- dit attentifs tous les habitans du Ruif- feau philofophique. Cette voix difbit: Amis , il nous refte une confpira- tion utile à former ; elle aura pour but d'aider les loix par les mœurs, d'orner , d'embellir , de faire aimer ces maximes ^acrées^ qui font la force 407 , & le foutlen des Empires. Ceflfotis dt parcourir le vuide.immenfe des ré^ gions mécaphydques ; vous le favez , au troidéme pas , le flambeau s'éteint , £ç nous marchons dans les ténèbres. A quoi nous (eryira de créer un mon- de moral y imaginaire , qui , dans la. poiTibilité des chofes , ne pourra exif- ter que dans les révolutions les plus éloignées ? Revenons à rhomme tel qu'il eft f à l'homme en /bciété , à l'homme foible , inconftant , malheu- reux ; appliquons-lui le remède con- venable à fes maux préfens; portons nos regards fur les befoins de la patrie , vouons- lui notre voix ; cette légina- tion douce & tranquille , qui agit par la force de la vérité, qui enchaîne par le pouvoir de la raifon , nous ap- partient. Tel étoit le pouvoir refpec- table & légitime que les fages exer» cerent jadis fur les hommes , lorfqu'ils les firent fortir du fond de leurs forêts ^ pour les raflfembler fous des loix fages. Hélas ! elles ont été corrompues ; maisi du moins^ il y a tel genre de *v» 4^8 corruption dont on peut fortlr aValde des lumières ; il eft encore d'autre valeur que le poids de l'or , d'autres reflbrts que celui de l'incérêt. Don- Dons aux efprics une fecoufTe utile, & portons-les du côté de l'honneur & de la vertu. Et vous 9 anves fenfibles & timides , qui avez été eflfrayées par des terreurs paniques y raflurez vous; quelques abuit inévitables ne doivent pas balancer leii^ plus grands biens. Ce font ordinaire- ment les hypocrites qui Tonnent Tal- larme ; ils fement l'épouvante pour la communiquer aux autres ; ils ne veu* lent que nuire , ou venger leur orgueil. La vraie philofophie recommande la foumifTion à la Providence, Tobéif- fance aux PuiflTances de la terre , la patience dans les maux; il ne faut donc pas réduire au filence, les hom- mes qui ont cultivé leurs âmes; ce ieroit infulter à la raifon humaine. Croyez que les loix auront moins à faire, lorfque les loix feront établies par fon Empire. La philofophie; pro- duit doît le courage, établie la tranquillité de Tame, nous fauve des defîrs extra- vagans. Elle ènfeigne aux Rois à ré* gner , aux fujecs à chérir le devoir ; elle prépare les matériaux tout prêts au légiflateur ; elle t'éclaire , elle coq* duic fon ceil , & même fa main "*"• Elle parle fans ceflfe au peuple par Torgane touchant de la morale ; d'où viennent donc ces clameurs contre cette phi- lofopbie, refpeâée dans tous les tems, & cultivée d'Un pôle à l'autre par tous les fages de la terre ? Du moins pour Vattaquer , il £iudroit fe fervir des mêmes armes avec lefquelles elle a droit de fe défendre. Qu'on cefle de perfécùter des hommes tranquii* les , pour des opinions. Veulent-ils* les faite recevoir par force ou par furprîfe f N'a-t-on pas le droit de les combattre? En quoi peuvent - elles * Nota* On ne veut parler ici que de cette philofopbie fage , qui a pour but le progrès des arts f & Qui eft toujours fou- tnife aux lumières de la foi. II. Fanic. S 4^0 être" funeftes aif peuple? Il eft datif la Nature un cours de penfées , com- xhe un cours d'évéhemens , eft^ii e& notre pouvoir de rarrêter F qu'elle s'éloigne donc , cette intolérance qu'on décore du beau nom de zèle „ mais dont l'efièt terrible eft aufii étranger à la faine politique qu'à la bonne morale. Four nouS| élevés au*deflusde l'ain- bicion & de la fortune , plaçons-nous plus haut que les cris des méchans & des envieux ; ayiMis cette vigueur de Tame qui réfifte aux obflacles. La force d'efprit devient vertu dans les entreprifes juftes & raifonnables » qui ont pour but le triomphe de la vertu , & le bonheur des hommes. Fin de la /iconde partie •<